Ondes gravitationnelles: nouvelles messagères du cosmos

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Ondes gravitationnelles: nouvelles messagères du cosmos
Ondes gravitationnelles: nouvelles messagères du cosmos

Africa-Press – Tchad. Lundi 14 septembre 2015, à 10h50, heure de Paris, l’espace-temps se met à trembler. Une cascade d’ondes gravitationnelles déferle sur la Terre. Elles sont nées de la fusion de deux trous noirs situés à 1,3 milliard d’années-lumière de nous. Les deux monstres de 29 et 36 masses solaires ont entamé une spirale infernale avant de se heurter et de fusionner en un seul astre. Le choc a été tel qu’il a fait vibrer l’espace-temps, comme un caillou jeté dans un lac fait onduler sa surface.

Et pour la première fois dans l’histoire, cette vibration a été captée par un instrument. Les interféromètres jumeaux de Ligo aux États-Unis, séparés de 3000 km, ont saisi ces ondes prédites par Albert Einstein un siècle plus tôt. Le père de la relativité générale doutait alors qu’on puisse les détecter un jour. C’est bien le seul point sur lequel il s’était trompé…

À peine le signal enregistré, l’alerte est lancée au sein de la collaboration scientifique internationale qui regroupe plus de 1000 scientifiques, dont les chercheurs de Virgo en Europe. Ceux-ci finissent la mise au point de leur propre détecteur situé près de Pise en Italie, encore en travaux au moment de la détection, mais une partie d’entre eux participent à l’analyse des données de Ligo.

Le signal est bref, à peine 0,2 seconde, mais parfaitement net. Trop, même: « Le signal était si parfait qu’on peinait à croire qu’il fût réel. On a d’abord cru à une fausse alerte, destinée à tester nos capacités à détecter un tel événement. De nombreux exercices de ce type avaient déjà eu lieu « , se souvient Éric Chassande-Mottin, chercheur au CNRS et directeur du laboratoire Astroparticule et cosmologie (APC), situé à l’université Paris Cité. En 2015, il était le coordinateur du groupe chargé d’identifier les signaux gravitationnels. Or, cette fois, ce n’est pas un exercice. « Il a fallu quelques heures pour réaliser, mais je me souviens d’un grand moment d’excitation « , raconte le chercheur. En coulisses, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans la communauté scientifique. Mais il faudra attendre la parution de l’article officiel dans Physical Review Letters le 11 février 2016 pour que la plus grande découverte en physique de ces dernières décennies devienne officielle.

Pour les artisans de Virgo/Ligo, il aura fallu la foi du charbonnier pour en arriver là. Catherine Nary Man, spécialiste des lasers et de l’interférométrie au CNRS, désormais retraitée, était présente au tout début du projet en 1994, l’année où fut prise la décision de construire Virgo. Elle se souvient des réticences, pour ne pas dire plus, de certains de ses collègues. « Au départ, on nous disait: ‘Vous n’y arriverez pas. Et même si vous y parvenez, vous verrez un événement tous les trente ans.’ Ce n’était pas très encourageant « , confie-t-elle aujourd’hui en riant.

La méthode choisie repose sur l’interférométrie, seule capable de mesurer les infimes contractions de l’espace causées par le passage de l’onde: l’équivalent de la taille d’un atome… sur la distance Terre-Soleil. Sur le papier, le principe semble simple: un faisceau laser est divisé en deux, chaque rayon parcourant un bras perpendiculaire de l’interféromètre. Ils sont réfléchis par des miroirs, puis recombinés. Si les bras sont parfaitement égaux, les deux ondes lumineuses s’annulent. Mais si une onde gravitationnelle modifie la longueur de l’un des bras, une variation lumineuse trahit son passage.

Traduire ce principe en réalité instrumentale relève de l’exploit technologique. La précision requise impose notamment une course au gigantisme. Dans les années 1980, les Américains et les Allemands construisent déjà des prototypes de 30 à 40 mètres. Mais en France, une petite équipe, menée par Alain Brillet et Catherine Nary Man (CNRS) ainsi que Jean-Yves Vine (École nationale supérieure de techniques avancées), opte pour une autre stratégie: un modèle réduit, rigide, posé sur un simple banc optique. Objectif: valider pas à pas les technologies nécessaires.

« En général, quand vous concevez une nouvelle expérience de laboratoire, il y a un point ou deux qui sont à la limite de la technologie actuelle, explique Catherine Nary Man. Ici, tout était à la limite: le laser, les optiques, les miroirs. On devait faire attention à tout, ce qui était impossible avec les grandes installations de nos concurrents. Grâce à notre montage, nous avons pu nous attaquer à chaque problème individuellement, et résoudre une à une les difficultés.  »

Lasers puissants, miroirs géants, suspensions ultrastables…

Finalement, les bras de Ligo et de Virgo mesureront respectivement 4 km et 3 km. Il faudra des lasers de 20 à 40 watts (mille fois la puissance d’un pointeur laser standard) et des miroirs géants pour canaliser des faisceaux élargis à 20 cm après avoir parcouru des kilomètres, un vide quasi absolu sur toute la distance, des suspensions ultras-tables, et un alignement à quelques millionièmes de degré près. « On ne peut pas empêcher la Terre de vibrer. Un simple camion à un kilomètre suffit à fausser les mesures. D’où l’extrême sophistication des systèmes d’amortissement « , explique encore la chercheuse. Ligo est achevé en 2002, Virgo en 2003. Mais de nombreuses mises à niveau techniques seront nécessaires avant la détection historique de 2015.

Dès décembre de la même année, un second signal, bien net, est détecté. Un troisième survenu en octobre sera découvert a posteriori , après une analyse plus fine. « Alors on s’est dit: ‘C’est bon, c’est parti.’ On savait qu’une nouvelle fenêtre sur l’Univers venait de s’ouvrir « , se souvient Éric Chassande-Mottin. Bien plus qu’une validation de la relativité générale, les ondes gravitationnelles offrent un regard nouveau sur l’Univers, sensible uniquement aux masses en mouvement, même si ces astres n’émettent aucun rayonnement, comme certains trous noirs.

En août 2017, Virgo est enfin opérationnel, et un autre jalon est franchi avec GW170817: la première fusion d’étoiles à neutrons détectée simultanément par Ligo et Virgo. Surtout, grâce à l’observation par trois détecteurs, elle est localisée précisément et cela permet de braquer les télescopes optiques vers la cible. Un flash de rayons gamma est enregistré deux secondes après le signal gravitationnel. Et une source lumineuse éclaire brièvement la galaxie NGC 4993. C’est donc de là qu’est parti le train d’ondes, lors de la collision des deux étoiles à neutrons.

L’astronomie dite multimessager acquiert une nouvelle dimension. « GW170817 constitue un événement majeur dans ce domaine, souligne le chercheur. Nous nous attendions à en voir d’autres. Hélas, les nouvelles détections conjointes se font attendre.  » Mais c’est bien la seule déception. En dix ans, une centaine d’événements ont été recensés, révélant peu à peu une démographie des objets compacts: masses, distributions, fréquences… L’Univers sombre se dévoile. Avant la fin de l’année, la quatrième campagne d’observations, démarrée en mai 2023, sera révélée. On sait déjà qu’elle a été fructueuse…

La quête de la « rumeur » des trous noirs dans l’Univers

Cette moisson alimente notamment l’espoir de découvrir un jour le fond gravitationnel de l’Univers. « C’est une sorte de rumeur des trous noirs dans le cosmos, résume joliment Éric Chassande-Mottin. Un peu comme lorsque l’on se trouve dans un cocktail: on ne parvient pas à comprendre les conversations, mais le niveau de bruit global nous indique la taille de la foule.  » Cette « rumeur » est en effet issue de la superposition d’ondes résultant d’une multitude de fusions lointaines, trop faibles pour être isolées individuellement.

Ce signal diffus n’est qu’un des nombreux objectifs de l’astronomie gravitationnelle née en 2015, et qui s’apprête à changer d’échelle. En Europe, le projet Einstein Telescope doit voir le jour dans la prochaine décennie: un observatoire souterrain, plus sensible, capable de capter des signaux plus faibles et plus lointains.

À l’horizon 2035, ce sera au tour de la mission spatiale Lisa, développée par l’Agence spatiale européenne, de traquer les ondes gravitationnelles depuis l’espace. La lumière n’est décidément plus la seule messagère des astres, il faut compter désormais sur les vibrations de l’espace-temps…

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