Africa-Press – Togo. Plus de vingt ans de campagnes de sensibilisation n’y auront rien fait: en 2021, seuls 19 % des hommes et 25 % des femmes âgés de 18 à 85 ans atteignaient la fameuse recommandation des « 5 fruits et légumes par jour ». Des chiffres rapportés par une étude de Santé publique France publiée le 29 avril 2025. De quoi mesurer l’ampleur du défi qui reste à mener. Dès 2001, le tout premier Plan National Nutrition Santé (PNNS) avait pourtant fait de ce conseil nutritionnel un pilier de sa stratégie — au sommet des neuf objectifs jugés prioritaires pour la santé publique.
L’âge est un déterminant important. Le revenu et le niveau d’études aussi
« Les écarts de consommation sont particulièrement marqués selon l’âge: près de 73% des 18-24 ans ne respectent pas cette recommandation, contre 46% seulement chez les 65-85 ans », précise Valérie Deschamps, co-autrice de cette étude. Le niveau d’études et les revenus influencent également les habitudes, bien que dans une moindre mesure. Les personnes diplômées du baccalauréat ou plus, ainsi que les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont plus nombreuses à atteindre l’objectif, soit respectivement 25,9% et 23,7%, contrairement aux ouvriers, qui ne sont que 17,2 % à y parvenir.
« Ces résultats s’inscrivent dans la continuité d’un constat déjà bien établi sur l’alimentation des Français », rappelle l’épidémiologiste. L’étude Esteban, menée en 2014-2015, révélait déjà que près de 90% des adultes ne consommaient pas assez de fruits et légumes pour couvrir leurs besoins quotidiens en fibres. Un récent sondage OpinionWay sur les habitudes alimentaires confirmait par ailleurs que celles-ci ont tendance à s’améliorer avec l’âge: 71% des parents déclarent mieux s’informer sur la nutrition à l’arrivée d’un enfant, et 70% des plus de 50 ans affirment accorder plus d’attention à leur alimentation.
Que signifie concrètement manger 5 fruits et légumes par jour?
Cette recommandation équivaut à la consommation de 400 grammes de fruits ou légumes, soit cinq portions de 80 à 100 grammes chacune. Pour les adultes comme pour les enfants, une portion correspond en moyenne à la taille du poing. Par exemple, pour les fruits, cela peut être une pomme, deux abricots, quatre ou cinq fraises, ou encore une banane. Pour les légumes, cela peut être une poignée de haricots verts, une endive, une tomate moyenne, un bol de soupe (250 ml), ou encore une part de gratin de légumes.
Bien que la diversité des fruits et légumes consommés soit bénéfique pour la santé, il est préférable de manger cinq fois le même fruit ou légume plutôt que de ne pas atteindre la quantité recommandée. Les compotes, soupes, conserves et surgelés sont des alternatives possibles, à condition qu’elles ne contiennent pas de sucres ou de sels ajoutés.
Par contre, il est conseillé d’éviter les jus de fruits et les fruits séchés en raison de leur teneur élevée en sucres. Enfin, les produits transformés comme les yaourts ou biscuits aux fruits ne sont pas considérés comme des portions valables dans le cadre de cette recommandation.
Beaucoup de petits consommateurs dans les familles avec enfant et chez les ouvriers
« Nous avons également cherché à dresser le profil des petits consommateurs de fruits et légumes — ceux qui en mangent quotidiennement, mais en quantité insuffisante (moins de 3,5 portions par jour) », précise la chercheuse. Un public que les messages de prévention aimeraient cibler en priorité. « La structure familiale et la catégorie socioprofessionnelle apparaissent comme des facteurs déterminants », complète-t-elle. Les familles monoparentales comptent la plus forte proportion de petits consommateurs de fruits et légumes (66,6%), devant les couples avec enfants (64,8%). À l’inverse, les couples sans enfant semblent moins concernés (54,8%). Côté professions, les ouvriers sont les plus touchés (66,3%), loin devant les cadres et professions intellectuelles (55,1%).
Des inégalités territoriales marquées
L’étude confirme des disparités régionales bien connues. Par exemple, concernant les taux d’obésité, la dernière évaluation nationale montre que les Hauts-de-France affichent un taux supérieur à 22%, tandis que les Pays de la Loire présentent un taux bien inférieur, à 14,4%.
La consommation de fruits et légumes suit la même tendance: près de 65% des femmes vivant dans les Hauts-de-France n’en consomment pas suffisamment, contre 56,4% dans les Pays de la Loire. Le Grand Est, la Normandie, ainsi que plusieurs DROM — comme la Guadeloupe, la Martinique et surtout la Guyane — affichent également des résultats préoccupants.
« 5 fruits et légumes par jour »: un slogan fondé sur la science
Cette recommandation ne relève pas du « bon sens »: elle repose sur des bases scientifiques solides. Dès 1996, une synthèse du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), compilant des données épidémiologiques, mettait en lumière un risque réduit de développer certains cancers chez les personnes ayant une consommation régulière de fruits et légumes.
Parallèlement, d’autres recherches publiées dans des revues médicales de référence — comme le Journal of the American Medical Association (JAMA), l’International Journal of Epidemiology ou encore l’American Journal of Clinical Nutrition — ont souligné l’importance des fibres végétales dans la prévention des maladies coronariennes, et plus largement, des maladies cardiovasculaires.
Ces éléments ont conduit, en 2003, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à formuler une recommandation claire: consommer au moins 400 grammes de fruits et légumes par jour. Cette directive a été reprise par de nombreux pays, et d’autres études sont venues depuis valider ce seuil, consolidant ainsi l’idée des « 5 portions quotidiennes ».
À noter que certaines régions du monde avaient pris de l’avance. En Californie, des campagnes de sensibilisation allant dans ce sens étaient déjà en place dès 1988, bien avant les recommandations internationales.
Des recommandations utiles mais pas suffisantes pour modifier le comportement des Français
« Si l’information et la sensibilisation des consommateurs sont nécessaires, elles ne suffisent pas à inverser la tendance croissante du nombre de personnes atteintes de diabète de type 2 ou en surpoids. Malgré plus de 20 ans d’existence du PNNS, ces courbes n’ont pas fléchi de façon significative et les inégalités sociales persistent », analyse Serge Hercberg, responsable du PNNS pendant 17 ans.
Car d’autres facteurs entrent en jeu, notamment le niveau de revenu. Une étude de l’Observatoire national de la vie étudiante, menée en 2023, révélait que près d’un étudiant sur deux éprouve des difficultés à se nourrir correctement — un contexte qui freine logiquement la consommation de fruits et légumes.
Plus largement, une analyse du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) constatait qu’en 2022, un tiers des Français déclaraient ne pas pouvoir manger tous les aliments qu’ils souhaiteraient.
« On voit bien, dans cette étude, qu’il existe une corrélation entre la consommation de fruits et légumes et les indicateurs de pauvreté. La région Hauts-de-France, avec un taux de pauvreté de 18 % selon l’Insee, est la région où le profil des petits consommateurs de fruits et légumes est très marqué », observe Pierre Levasseur, économiste en santé publique. « Ainsi, si on veut améliorer les repas de ces petits consommateurs, les leviers d’action sont nombreux. Améliorer l’accès à l’éducation et offrir de meilleures conditions de vie figurent parmi les stratégies les plus prometteuses ».
Des constats déjà anciens
« En 2013, nous avons constaté que le PNNS s’embourbait. Avec la chercheuse Chantal Julia, j’ai alors rédigé, à la demande de la ministre de la Santé, un rapport visant à le redynamiser », précise Serge Hercberg. Ce rapport formulait plusieurs recommandations, parmi lesquelles: taxer l’ensemble des produits de malbouffe, tout en soutenant financièrement une alimentation de qualité (via des subventions ou des chèques fruits-légumes) ; réguler le marketing et la publicité des produits à faible valeur nutritionnelle ; ou encore adopter une loi favorisant la diversité des images corporelles dans la mode, la publicité… Seul le Nutri-Score a réellement réussi à s’imposer — et encore, uniquement de manière consultative.
Quant à la taxe soda, elle a bien été mise en place, mais sans que les recettes générées ne soient affectées à l’amélioration de la qualité nutritionnelle des repas des Français.
Des stratégies nationales en retard
En attendant que les grandes stratégies nationales — comme le prochain Programme National Nutrition Santé (PNNS), déjà en retard, ou la Stratégie Nationale pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC) — voient le jour, des initiatives locales commencent à émerger: sécurité sociale de l’alimentation, projets d’ordonnances vertes, etc.
Parallèlement, les campagnes nationales d’information ont elles aussi évolué. Le célèbre slogan « cinq fruits et légumes par jour » n’est plus au cœur du message. « Nous avons adopté une nouvelle approche, fondée sur la notion de chaque pas compte », explique Valérie Deschamps. « L’idée est de promouvoir une politique des petits pas, pour encourager chacun à augmenter progressivement sa consommation de fruits et légumes. Car les cinq par jour restent encore une réalité lointaine pour beaucoup ».
Les limites de l’étude
Les autrices et auteurs de l’enquête sur la consommation de fruits et légumes en France reconnaissent des limites de leurs données. Basée sur le Baromètre santé, ce travail ne répond pas aux standards européens des enquêtes en nutrition. En effet, la méthode utilisée, consistant à interroger directement les sondés sur la fréquence de leur consommation de fruits et légumes, présente « un biais de désirabilité sociale ». Ce biais se manifeste lorsque les répondants, consciemment ou non, fournissent des réponses qu’ils estiment être celles attendues, plutôt que de refléter leur comportement réel.
Afin de contourner ce biais, il est plutôt recommandé d’adopter une méthode d’interrogation plus précise. Au niveau européen, il est préconisé d’utiliser des « rappels de 24h » c’est-à-dire d’appeler les personnes pour leur demander le détail de leur menu de la veille sur les dernières 24h. Cette approche permet de mieux refléter les habitudes alimentaires des individus tout en réduisant les risques de distorsion des réponses liées à des attentes sociales.
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