Africa-Press – Togo. « J’ai 78 ans. Le plus dur c’est mon corps. Je ne peux plus aller très loin. Je peux marcher deux jours, pas plus. » Cette phrase, surprenante pour nos populations industrialisées dans lesquelles même les jeunes sont peu à envisager de marcher deux jours d’affilée, a été prononcée par Juan Gutierrez Rivero, un membre de la population Tsimane (aussi appelée Chimani) de Bolivie sur la BBC World Service. Tout comme les Orang Asli de Malaisie, les Tsimane vivent à l’écart des villes et montrent très peu des marqueurs délétères du vieillissement des populations industrialisées. Notamment, ils ne sont pas concernés par la constante augmentation de l’inflammation que l’on pensait jusque-là être un marqueur universel du vieillissement, et très peu par les maladies chroniques qui y sont liées, rapporte une étude publiée dans la revue Nature Aging.
Une inflammation croissante avec l’âge que l’on pensait universelle
« Il était déjà connu que les Tsimane avaient toute leur vie des niveaux d’inflammation très élevés mais très peu de maladies chroniques », explique à Sciences et Avenir Alan Cohen, chercheur en santé environnementale à l’université de Columbia (Etats-Unis) et qui a dirigé ces travaux. « Nous avons donc soupçonné que ce qu’on pensait être des processus universels chez les adultes, à savoir cette augmentation de l’inflammation avec l’âge (« inflammaging » en anglais, ndlr) liée aux maladies chroniques, ne l’étaient pas ».
Effectivement, les 19 cytokines (protéines messagères de l’immunité) caractéristiques de cette inflammation liée à l’âge n’augmentaient avec le temps que chez les deux populations industrialisées examinées par les chercheurs: en Italie et à Singapour. En revanche, elles restaient constantes – quoiqu’à un niveau respectivement moyen et très élevé – chez les Orang Asli et les Tsimane. « Chez nous, l’inflammation à bas bruit qui augmente avec l’âge est sous-jacente à plusieurs maladies chroniques comme le diabète, les cancers, les maladies cardiovasculaires ou Alzheimer », énumère Alan Cohen. Un processus bien connu et pensé universel, tant il a même été décrit chez les drosophiles (de petites mouches).
Beaucoup d’inflammation, très peu de maladies chroniques
Mais chez les populations non industrialisées, il n’existe aucun lien entre les niveaux d’inflammation et les maladies liées au vieillissement, constatent les chercheurs, surpris par cet énorme écart avec les individus d’Italie et Singapour. « Ce n’est pas que les Tsimane et les Orang Asli n’ont pas cette inflammation, c’est que chez eux ces marqueurs restent moyens ou hauts toute la vie sans que cela n’amène à des conséquences en termes de maladies chroniques », constate Alan Cohen. Le niveau d’inflammation des Tsimane est d’ailleurs constamment si élevé qu’il alarmerait tout bon médecin s’il était retrouvé dans une population industrialisée.
Alimentation, activité physique, sommeil: de nombreux paramètres différenciant drastiquement de nos modes de vie industrialisés sont en cause, bien qu’il soit impossible d’en distinguer l’influence respective. « Tous ces critères changeront en même temps quand ces populations deviendront industrialisées », explique Alan Cohen. Chez les Orang Asli, ce processus a d’ailleurs déjà commencé, affectant déjà leurs résultats biologiques. « Ils commencent à montrer une légère augmentation de l’inflammation avec l’âge, bien qu’elle reste beaucoup moins élevée que chez les populations industrialisées », pointe Maximilien Franck, premier auteur de ces travaux.
« L’inflammation est le messager, pas le problème »
Au niveau biologique, cette désolidarisation entre le niveau d’inflammation de l’organisme et la survenue de maladies chroniques suggère que l’inflammation est le messager, mais probablement pas le problème. « Si on déclenche une alarme dans un bâtiment cela provoquera le chaos, mais il ne faut pas les désactiver pour autant, elles ont un effet bénéfique », illustre Alan Cohen. D’ailleurs, ce ne sont pas toujours les mêmes alarmes qui sonnent d’une population industrialisée à une autre. « En Italie, c’est l’interleukine-6 ou IL-6 qui est le principal marqueur de l’inflammation liée au vieillissement, mais pas à Singapour », relève le chercheur.
Une inflammation différente entre populations indigènes et industrialisées
Ces alarmes biologiques que sont les cytokines peuvent de surcroît avoir des effets différents selon les cellules qui les produisent et celles qui les détectent. « Peut-être que chez les populations industrialisées ces cytokines sont produites par des cellules sénescentes et pas chez les Tsimane chez qui elles s’accumuleraient moins, par exemple, on ne peut pas vraiment le savoir. La source n’est sans doute pas la même et les conséquences non plus », suggère Maximilien Franck.
Chez ces populations, 66% des Tsimane et 70% des Orang Asli vivent avec au moins une infection parasitaire parmi lesquelles des vers parasites appelés helminthes. Cette infection semble avoir des effets positifs en stimulant certaines voies de l’immunité innée et en diminuant d’autres processus inflammatoires. Des bénéfices potentiels qui rappellent l’importance du contexte. « Ces infections sont peut-être bénéfiques pour eux, mais elles ne le seraient pas forcément pour nous », appuie Maximilien Franck. En conséquence, et bien qu’améliorer son régime alimentaire et son niveau d’activité physique soient toujours une bonne idée, inutile d’essayer de copier le mode de vie des Tsimane et des Orang Asli en tout point.
Finalement, si chez nous l’inflammation élevée corrèle avec un surcroit de risque de maladies chroniques, ces résultats questionnent. « Ce surrisque vient-il de l’inflammation elle-même ou de ce qui l’a causée? », s’interroge Alan Cohen. « Même si c’est de l’inflammation elle-même, dans un contexte de vieillissement, elle est peut-être le moindre des maux ».
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