Africa-Press – Togo. En théorie. Vous l’avez déjà expérimenté: vous retenez beaucoup plus d’informations d’un film documentaire lorsqu’il aborde un sujet qui vous est familier plutôt qu’une question à laquelle vous ne connaissez rien. « L’encodage varie selon les concepts qu’on a déjà construits », explique Emmanuel Sander, professeur à la faculté de psychologie et de sciences de l’éducation de l’université de Genève (Suisse). Ainsi, notre cerveau s’appuie sur les apprentissages précédents pour enregistrer une information.
Plus il dispose de traces mnésiques à mettre en relation les unes avec les autres, plus l’encodage est profond. C’est pourquoi une personne experte retiendra davantage d’informations dans son champ de compétences ; elle fera davantage de liens conceptuels ; elle percevra davantage de détails, et ceux-ci seront mieux mémorisés. « Lorsqu’on retient quelque chose à partir d’éléments superficiels, comme le contexte d’une situation, on parle de souvenirs de surface, explique Emmanuel Sander. En revanche, lorsqu’on rattache le souvenir à un concept, qu’on perçoit la similitude d’une situation avec d’autres de même nature, il s’agit de souvenirs de structure. Et ces derniers sont bien plus profonds. » C’est pour cela que les étudiants retiennent mieux, plus vite et plus longtemps les leçons qu’ils ont comprises, celles qu’ils peuvent mettre en relation avec d’autres.
En laboratoire. Les scientifiques utilisent la capacité à former des analogies pour tester cet effet. On demande, par exemple, à des volontaires de compléter une phrase du type « Les ballons flottent comme XX parce que YY. » C’est exactement l’exercice qu’une équipe menée par Micah Goldwater, de l’université de Sydney, a proposé en 2011 à un groupe de géo-scientifiques amateurs ou experts ainsi qu’à des étudiants d’autres disciplines.
Une autre phrase leur était soumise: « Attraper un rhume est comme XX parce que YY. » Parce que l’étude de l’atmosphère est beaucoup plus proche des géosciences que la virologie, les chercheurs avaient fait l’hypothèse que la première phrase serait mieux mémorisée que la seconde par les experts. À raison: plus les volontaires étaient spécialistes, plus ils trouvaient d’analogies pertinentes, mais aussi plus ils s’en souvenaient.
L’erreur. « C’est aussi comme cela qu’on crée de faux souvenirs, poursuit le chercheur. Sur un sujet maîtrisé, le cerveau complète les éléments manquants… » Prenons l’exemple de la description d’une scène dans laquelle une femme va au cinéma: elle entre, choisit son film, achète du pop-corn, s’installe dans la salle et regarde les bandes-annonces. Si l’on interroge des personnes auxquelles on aura raconté ainsi cette histoire, elles auront tendance à croire et même à se souvenir que la cinéphile a acheté son billet, tant cette étape est intriquée dans l’action « aller au cinéma »…
En pratique. Passer d’un souvenir de surface à un souvenir de structure nécessite de travailler pour le comprendre en profondeur. « C’est le cas, en classe, lorsque l’enseignant demande aux élèves d’identifier de manière explicite les similitudes entre deux énoncés destinés à illustrer différemment la même notion. » Par exemple, en comparant le mode de vie d’un dauphin et celui d’un hérisson pour discuter du concept de mammifère.
2/ Mettre ses cinq sens à contribution
En théorie. Plus on enregistre un souvenir dans plusieurs dimensions sensorielles – le goût, l’ouïe, l’odorat… -, mieux il sera ancré dans la mémoire. « Il s’agit d’encoder l’information avec plusieurs types de traces pour la renforcer », explique Édouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’université de Genève et directeur de recherches au CNRS. C’est la théorie de la cognition incarnée.
Notre cerveau n’est pas déconnecté du reste du corps: il centralise des informations sensorielles, motrices de toutes sortes, identifiées plus ou moins consciemment (comme la position du corps dans l’espace ou la vue d’un mouvement fugace). Le souvenir est ainsi enregistré dans un réseau de souvenirs sensoriels. Une fois le réseau structuré, une seule activation sensorielle suffira à le réactiver dans son intégralité. La simple vue d’un objet permettra de se souvenir du bruit qu’il produit. Du goût d’un morceau de madeleine trempé dans le thé émergera toute une scène de l’enfance.
Les neuroscientifiques appellent ce phénomène une activation multimodale de la mémoire. Et parce qu’elle implique plusieurs dimensions sensorielles, elle donne accès à des souvenirs ou connaissances plus élaborées, mieux encodées.
En laboratoire. L’activation multimodale n’est pas le propre de l’humain ! En 2023, une équipe de l’université britannique d’Oxford l’a même observée chez des mouches drosophiles… Les insectes ont appris plus rapidement à trouver une récompense dans un labyrinthe lorsque le chemin était indiqué par une odeur associée à une couleur que par un seul des deux stimuli.
L’erreur. Il ne suffit pas de mettre de la musique en fond sonore pour améliorer un apprentissage. Pire, cela pourrait nuire à l’attention. Et tous les sens ne se valent pas. Chacun facilite l’encodage d’éléments particuliers. La vue aide à mémoriser les espaces. L’ouïe améliore l’encodage des signaux temporels. Quand il s’agit de texture ou de température, c’est sur le toucher qu’il faut s’appuyer. Et l’odorat est souvent associé à des souvenirs émotionnels.
En pratique. C’est la force de l’expérience vécue ! Mieux vaut une balade dans les bois que le bachotage d’un guide ornithologique pour mémoriser les espèces d’oiseaux.
3/ Joindre le geste à la parole
En théorie. En associant le mouvement à ce qu’on veut apprendre, on maximise ses chances de récupérer l’information au fil du temps. C’est un autre volet de la multimodalité. « Mais il faut que ce mouvement soit produit par le sujet et qu’il ait du sens pour lui », précise Édouard Gentaz. En clair, par exemple, parler avec les mains aide à activer sa mémoire, mais ce n’est pas le cas si on les agite de façon aléatoire.
En laboratoire. L’expérience a été menée par Susan Goldin-Meadow, professeure de psychologie à l’université de Chicago. En 2008, elle a analysé l’apprentissage d’enfants âgés de 8 et 9 ans, auxquels on a enseigné un problème mathématique en combinant des gestes et des mots. Quatre semaines plus tard, les enfants étaient invités à réciter cette leçon soit en joignant le geste à la parole ; soit sans l’aide des mains ; soit au contraire en mimant la démonstration, mais sans paroles. Le résultat a été sans appel: ces derniers ainsi que ceux autorisés à mimer en parlant ont mieux réussi l’exercice que les autres.
L’erreur. C’est notamment ce que font les pédagogies qui utilisent les lettres rugueuses. Mais, d’après les travaux d’Édouard Gentaz, cela ne fonctionne pas avec toutes les explorations manuelles. Le geste ne doit pas être trop compliqué, afin de ne pas surcharger l’attention. Par exemple, explorer une lettre en trois dimensions peut impliquer beaucoup de mouvements (prendre l’objet dans la main, réfléchir à la manière dont on le tient, penser à éviter de le faire tomber…).
En pratique. Il s’agit de trouver comment engager son corps dans un apprentissage, sans que cela devienne une tâche de plus. Autorisons-nous à parler avec les mains pour expliquer une notion ou raconter une anecdote !
4/ Pratiquer une activité physique
En théorie. Bouger, c’est la santé… cognitive ! L’exercice physique favorise en effet la formation des vaisseaux sanguins et la croissance des neurones dans le cerveau, ce qu’on appelle la plasticité cérébrale.
En laboratoire. De nombreuses recherches ont établi que les personnes physiquement actives obtiennent de meilleurs scores aux tests cognitifs – dans les heures qui suivent cette activité – que celles qui sont sédentaires. Et en 2024, une étude britannique menée auprès d’individus âgés de 50 à 83 ans a montré que l’activité physique améliore – légèrement – la mémoire pendant plusieurs heures, jusqu’à 24. Un effet qui pourrait être lié à la meilleure qualité de sommeil que procure l’exercice.
L’erreur. Une activité physique intense constitue aussi un stress, pour le corps comme pour le cerveau. Elle entraîne une libération de glucocorticoïdes, des hormones importantes pour la régulation du métabolisme énergétique mais qui gênent la mémorisation… Des données suggèrent ainsi que des élèves ayant une activité physique très intense après la classe retiendront moins bien que les autres une leçon vue dans la journée.
En pratique. Cela plaide en faveur du sport à l’école, mais aussi du maintien d’une activité physique chez les personnes âgées.
5/ Contrôler ses émotions
En théorie. Les émotions influent sur la mémoire en focalisant l’attention. Elles enrichissent le traitement de l’information de traces mnésiques liées aux sens. « C’est un tunnel d’attention, précise Pierrick Laulan, chercheur au laboratoire Émotion et mémoire de l’université de Genève. L’émotion négative active l’amygdale. Elle désactive par ailleurs l’hippocampe, dont le rôle est d’associer les éléments d’une scène entre eux lors de l’encodage. »
Le rôle des émotions positives est plus difficile à établir. « Nous n’arrivons pas à trouver des stimuli qui provoquent des émotions positives aussi intenses que les émotions négatives », explique Pierrick Laulan. Ce biais de négativité complique la comparaison. Les scientifiques se demandent néanmoins si les émotions positives ne produiraient pas un champ de focalisation plus large, c’est-à-dire aideraient à mémoriser davantage d’éléments de contexte.
En laboratoire. Pour étudier ces phénomènes, les chercheurs utilisent des images: sur un fond neutre se détache un mot déclenchant une émotion, comme « poison », « maladie ». Plus l’émotion est intense, mieux les volontaires se souviennent du mot, au détriment du fond. Les seules images capables de générer des émotions positives intenses sont celles liées à l’excitation sexuelle… encore l’effet est-il moindre et varie-t-il d’une personne à l’autre. Par ailleurs, cet effet de boost ne se limite pas au mot ou à la situation qui provoque l’émotion. D’après des recherches menées à l’université de Californie à Berkeley, un stimulus neutre en termes d’émotion sera mieux retenu s’il est présenté dans la demi-heure suivant un stimulus qui ne l’est pas.
L’erreur. La focalisation de l’attention par les émotions négatives est un problème récurrent quand il s’agit des témoins oculaires d’un crime. Il n’est pas rare qu’ils se souviennent très intensément de l’arme mais peinent à reconnaître la personne qui la tenait. De même, dans le cas d’un syndrome post-traumatique, des éléments du contexte, comme un son ou une odeur, peuvent réactiver le souvenir traumatique de manière erratique.
Enfin, les émotions peuvent parasiter totalement le rappel de la mémoire. Cela arrive lors des stress intenses, avec des « trous de mémoire », par exemple à l’occasion d’un examen alors que l’étudiant connaît parfaitement son sujet.
En pratique. Il est possible d’apprendre à réguler ses émotions pour éviter le problème de focalisation ou de parasitage de la mémoire de travail. « Nous proposons de travailler avec la méditation », explique Pierrick Laulan. Des exercices de respiration aideraient à protéger sa capacité à rappeler des souvenirs même en cas d’émotions intenses.
6/ Éviter de faire plusieurs choses à la fois
En théorie. L’attention est le point de départ du traitement de l’information par le cerveau. Elle est le filtre qu’on dirige vers une petite fraction de ce que nos sens perçoivent, en fonction de nos motivations, de nos objectifs et de nos connaissances. Pour élaborer un plan, elle sélectionne les principales informations permettant à la mémoire de travail de les enregistrer.
En laboratoire. Pour mesurer notre attention, de nombreux laboratoires utilisent des outils high-tech, comme les eye-trackers (de petites caméras qui enregistrent la direction du regard) ou des systèmes de mesure des pupilles. Ils observent l’allongement des temps de réaction lorsque l’attention est dispersée. Mais des chercheurs de l’université Stanford vont plus loin… Ils ont programmé leur dispositif afin qu’il signale à la personne qu’elle est distraite.
L’erreur. Notre attention peut se distribuer sur deux ou trois objets en même temps… mais au détriment de la qualité de l’information recueillie et donc de notre capacité à la mémoriser. C’est la théorie des « ressources attentionnelles » de Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d’économie en 2002 pour l’application de ses recherches sur les comportements.
Ainsi, pour mémoriser en réalisant plusieurs tâches – ou en suivant plusieurs stimuli -, il faut qu’une partie d’entre elles soient automatiques. Il s’agit de ne pas entamer les réserves de ressources attentionnelles. Par exemple, si nous sommes capables d’écrire à la main tout en étant concentrés sur la conférence que nous prenons en notes, c’est parce que le geste d’écriture est si bien automatisé qu’il ne requiert aucune attention.
En revanche, un enfant peinera à écouter un cours et écrire tant qu’il n’aura pas automatisé l’écriture manuelle. Lorsque trop d’informations sont traitées en même temps, la mémoire de travail sature. L’attention passe d’un sujet à un autre, ce qui réduit la performance.
En pratique. Nous sommes soumis à tellement de stimuli qu’apprendre à faire attention constitue un enjeu croissant, notamment à l’école. C’est l’objet d’un programme mené par le Centre de recherche en neurosciences de Lyon, « Attentif à l’école » (Atole). Il a pour objectif d’inciter les enfants et enseignants à prendre conscience des mécanismes de l’attention. Les participants mesurent ainsi pourquoi il est délétère de faire plusieurs choses en même temps. Si les équipes qui participent au programme en louent l’intérêt, les études a posteriori peinent à en démontrer les effets positifs sur l’apprentissage. Pour Édouard Gentaz, « il faut davantage de recherche pour transposer les résultats dans la vie réelle « .
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