Africa-Press – Togo. Une découverte unique vient d’être annoncée par les musées de l’Ötztal en Autriche. Il ne s’agit pas d’une nouvelle momie préhistorique, comme Ötzi, qui a émergé de la glace un peu plus au sud dans cette région du Tyrol traversée par la frontière italienne, mais d’objets datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale. À première vue, ils semblent liés à une opération des services secrets américains, qui s’appelaient alors l’Office of Strategic Services (OSS). Entre fin février et début mai 1945, trois agents – un Allemand et un Néerlandais engagés dans l’US Army, et un déserteur autrichien de la Wehrmacht – y ont en effet accompli une mission des plus périlleuses: informer les Alliés sur la fameuse « forteresse des Alpes » tant vantée par les Nazis, et négocier la reddition de la ville d’Innsbruck. Des vestiges du matériel enfoui après leur parachutage viennent d’être retrouvés.
Le matériel d’une opération des services secrets américains refait surface dans les Alpes
« Cette découverte est un heureux hasard », a déclaré la conservatrice des musées de l’Ötztal, Edith Hessenberger, à la radio autrichienne ORF. Car la thématique choisie par les établissements qu’elle dirige, pour ce 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, est celle de la résistance au nazisme dans cette vallée du Tyrol. Les vestiges qu’elle vient de récupérer tombent donc à point nommé.
Au mois d’août 2025, des alpinistes ont signalé à plusieurs reprises à l’équipe du refuge Amberger (Amberger Hütte), situé à 2 135 mètres d’altitude dans le massif du Stubai, que des objets jonchaient le glacier de Sulztal (Sulztalferner). Alertée, la conservatrice s’est rendue sur place avec une équipe pour y mener deux campagnes de recherche.
La fonte des glaciers est massive dans le Tyrol
Après avoir récupéré les premiers objets signalés, le terrain a été passé au peigne fin pour en détecter d’autres moins évidents. « Nous avons reçu les coordonnées du premier site et une description détaillée du deuxième site, ce qui nous a permis de nous orienter à l’aide d’un GPS, indique à Sciences et Avenir Edith Hessenberger. Pour affiner nos recherches, nous nous sommes distribués sur cette partie du glacier en espérant ne rien oublier, ce qui n’est pas évident car le Sulztalferner est très sale en raison de sa fonte. »
Cette découverte est en effet directement liée à la fonte des glaciers dans la région, poursuit la conservatrice: « Ils fondent actuellement de manière massive, encore plus fortement cette année que les années précédentes. C’est pourquoi, d’un point de vue historique et archéologique, il est particulièrement important d’être prudent lorsque l’on se déplace sur les glaciers et sur leur front, car des objets historiques particuliers peuvent être libérés de la glace à tout moment. »
Le matériel est en très mauvais état
Les artefacts récupérés en plein milieu du glacier, à 2 900 mètres d’altitude, sont « tous en très mauvais état après avoir passé 80 ans dans la glace », explique la conservatrice. Pour ceux qui sont identifiables, il s’agit de restes d’une housse pour voilure de parachute, de restes d’un sac militaire, de vestiges de cordes avec des inscriptions, de mousquetons, boucles et sangles, et de restes de jute. Avant même de consulter des sources historiques, Edith Hessenberger a tout de suite pensé qu’il pouvait s’agir du matériel enfoui lors d’une opération des services secrets américains connue sous le nom de code « opération Greenup », car « il ne pouvait s’agir de presque rien d’autre ». Quelques jours après la découverte, elle est à même de nous le confirmer: « Nous avons reçu le rapport de débriefing de l’OSS, ce qui nous a permis de comparer les listes de matériel de l’opération avec les découvertes. Le matériel décrit correspond aux découvertes. »
Un ouvrage récent sur le sujet
Si les vestiges ont attiré l’attention des alpinistes, c’est aussi parce que les habitants de l’Ötztal sont aujourd’hui familiers de cette histoire, remémorée par un ouvrage publié en 2019 par l’historien Peter Pirker (Codename Brooklyn: Jüdische Agenten im Feindesland. Die Operation Greenup 1945. Innsbruck, Tyrolia), de l’université de Vienne. « Cette opération des services secrets était jusqu’à récemment totalement inconnue dans la région, commente Edith Hessenberger. C’est le livre de Peter Pirker qui en a ravivé le souvenir, ce qui a certainement contribué à ce que les personnes qui ont trouvé les artefacts les aient identifiés pour ce qu’ils sont. Sinon, ils n’auraient probablement pas prêté attention à ces ‘déchets’ rejetés par le glacier. »
Mais de l’autre côté de la chaîne alpine, l’opération Greenup est restée dans l’ombre, alors même qu’elle semble avoir inspiré quelques scénarios de films bien connus: Quand les aigles attaquent (Where Eagles Dare), réalisé par Brian G. Hutton (1968), et Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009), qui sont si loin des faits réels qu’ils ne rendent pas justice au véritable héroïsme des agents de l’OSS.
Trois jeunes gens décidés à en découdre avec les Nazis
L’opération Greenup a été accomplie par trois jeunes gens à peine âgés d’une vingtaine d’années: Fred Mayer (1921-2016), Hans Wijnberg (1922-2012) et Franz Weber (1920-?). Les deux premiers, de confession juive et respectivement originaires de Fribourg-en-Brisgau dans la Forêt Noire et d’Amsterdam, ont fui le régime hitlérien avant la guerre et se sont enrôlés dans l’US Army ; le troisième est un Autrichien, natif du Tyrol, qui a déserté l’armée allemande. Ils ont tous les trois été repérés par l’OSS pour leur maîtrise des langues (ils en parlaient couramment plusieurs), leur audace et leur volonté d’en découdre avec les Nazis. Fred Mayer est le chef du groupe, Hans Wijnberg, le radio, et Franz Weber connaît le terrain comme sa poche. Ils sont parachutés sur le Sulztalferner dans la nuit du 26 février 1945.
Trouver la forteresse imprenable
D’après le pilote de l’avion qui les a largués, c’est une folle mission, et pour cause: les trois hommes devaient être parachutés sur un lac gelé, tous les terrains d’atterrissage dans la vallée étant occupés par des militaires. Ils ont finalement abouti sur un glacier à presque 3000 mètres d’altitude. Ils ont ensuite pris le temps de camoufler leurs parachutes en les enterrant dans la neige et se sont abrités plus bas, dans le refuge d’Amberg, alors abandonné. Ils y sont restés deux jours, afin de récupérer leur matériel qui s’était dispersé sur le glacier, avant de s’atteler à leur mission, qui consistait à évaluer la réalité du mythe de la « forteresse alpine », observer les mouvements de troupes et les transports de munitions à travers le col du Brenner qui reliait le Reich allemand à l’Italie, espionner les usines Messerschmitt situées dans le village voisin de Kematen, et établir des contacts avec les groupes de résistants locaux, rien que ça !
Ils communiquent des informations primordiales pour les Alliés
Première étape: Oberpfuss, le village natal de Franz Weber où ils ont pu bénéficier de la complicité de l’aubergiste Anna Niederkircher. Depuis sa cachette dans une ferme voisine, Hans Wijnberg a réussi à envoyer en tout une soixantaine de rapports à la station de l’OSS de Bari, dans le sud de l’Italie. Tandis que Weber nouait des relations avec les réfractaires, Mayer a pris tous les risques en se faisant d’abord passer trois mois durant pour un officier de la Wehrmacht à Innsbruck, puis, sentant le danger approcher, pour un électricien français.
Sous ces deux couvertures, il a réussi à obtenir des informations primordiales, dévoilant en premier lieu que la soi-disant « redoute nazie » était un mythe ; on sait en effet aujourd’hui qu’il s’agissait d’un leurre élaboré par la propagande nazie, pour faire croire que le régime pouvait tenir pendant des années grâce à des réserves en hommes et en matériel dissimulées dans une forteresse imprenable.
Mayer obtient la reddition de l’état-major allemand
Mais Mayer fut trahi par un de ses contacts et arrêté par la Gestapo. Bien qu’affreusement torturé, il n’avoua rien et sauva la vie de son radio et de leurs supports à Oberpfuss en ne dévoilant pas sa cachette. Reconnu par un autre agent américain également prisonnier, ils arrivèrent tous deux à retourner la situation en faisant comprendre à leurs geôliers qu’ils avaient désormais tout intérêt à négocier avec les Américains. C’est ainsi que Fred Mayer et la résistance tyrolienne obtinrent la reddition du responsable de la région Tyrol-Vorarlberg, le Gauleiter Franz Hofer (1902-1975), et de son état-major, livrant la ville d’Innsbruck à la 103e division d’infanterie de la 7e armée américaine sans aucun combat.
On comprend pourquoi, en 2013, lors d’un hommage rendu à Fred Mayer par le Congrès des États-Unis d’Amérique à la demande du sénateur démocrate Jay Rockefeller, ce dernier a déclaré que l’opération Greenup fut « l’une des opérations de l’OSS les plus réussies de la Seconde Guerre mondiale ». Elle fut aussi, selon Peter Pirker, la plus spectaculaire.
Un pan méconnu de l’histoire du Tyrol
L’historien, tout comme les fils de Franz Weber, a prévu de se déplacer au musée de l’Ötztal, à Längenfeld, pour voir les objets retrouvés sur le Sulztalferner. Il est d’ailleurs envisagé de les intégrer dans le cadre de l’exposition en cours intitulée « Qui a résisté? Les déserteurs de la Wehrmacht et ceux qui les ont aidés ».
Alors que dans notre mémoire collective française, l’Autriche est associée au nazisme et à sa persévérance au cours du 20e siècle, il est bon de savoir que dans les montagnes du Tyrol, certains ont lutté pour mettre à mal le régime hitlérien. Selon Edith Hessenberger, « dans la seule vallée de l’Ötztal, on compte 80 déserteurs connus », ce dont nous n’avions pas forcément conscience. Et c’est bien pour cette raison que les vestiges de l’opération Greenup, même endommagés, restent si importants: ils apportent la preuve concrète de la réalité de cette résistance, et donnent corps au courage de ces jeunes gens, qui ont accepté de mettre leur vie en péril et qui ont vaincu sans armes, mais avec leur intelligence, loin de l’image ultraguerrière ou grotesque véhiculée dans certains films. Cette découverte nous donne enfin l’occasion de leur rendre hommage.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press