Africa-Press – Togo. En partie inspirés par la science-fiction, modelés par l’urgence climatique et accélérés par la révolution numérique, les projets de villes de demain misent sur la technologie, l’écologie et le bien-être collectif pour réinventer la vie citadine. En plein développement, ces laboratoires d’innovation urbaine visent d’abord à adapter nos métropoles minéralisées et polluantes à la crise environnementale majeure que nous traversons. Dans un mouvement parallèle, les données et l’IA apportent un grand nombre de nouveaux services qui améliorent le fonctionnement des villes. Au croisement de ces deux tendances, à quoi pourrait ressembler la ville de demain?
Pour contrer les effets du changement climatique, l’intensification de la nature en ville fournit aux citadins un glacis protecteur face à l’augmentation des températures. La végétalisation permet en effet de refroidir sans polluer un bâtiment de 3 à 5 °C, selon l’étude « Agir pour le rafraîchissement urbain » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Les plantes ont pour autre avantage de capter le CO2 présent dans l’atmosphère grâce à la photosynthèse, et d’aspirer la plupart des polluants. Un arbre en ville piège en moyenne 100 grammes de particules fines par an, selon cette même étude.
À Paris, la superficie consacrée aux parcs et espaces verts a augmenté de 77,7 hectares depuis 2001, l’équivalent de cinq terrains de football chaque année, selon les chiffres de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). En complément, 130.000 nouveaux arbres ont été plantés dans la capitale depuis fin 2020, portant leur nombre à plus de 500.000. Ce virage vers le vert est observable partout dans le monde.
Autre évolution majeure, les données numériques et l’IA sont en train de devenir un outil de transformation urbaine à part entière. La multiplication des capteurs et des objets connectés, le déploiement de réseaux mobiles et d’environnements cloud plus performants améliorent le fonctionnement des villes. Cette nouvelle architecture technologique permet notamment de fluidifier le trafic automobile.
Ainsi, selon l’étude « L’impact de l’intelligence artificielle sur les smart cities » du cabinet français The Reveal Insight Project, les zones équipées de système d’analyse prédictive et d’ajustements dynamiques présentent un temps de trajet moyen inférieur de 15 %. À Los Angeles (États-Unis), la gestion adaptative des feux de signalisation a fait baisser de 12 % le temps passé dans les transports. Testée à Manchester (Royaume-Uni), la technologie Green Light de Google améliore de 30 % la fluidité aux intersections, réduisant ainsi l’attente aux feux pour les automobilistes.
La ville-forêt qui veut réconcilier urbanisation et écologie
Prévue pour être construite dans la région de Cancún par l’architecte italien Stefano Boeri, Smart Forest City (vue d’artiste en illustration de cet article) est un projet de ville-forêt inspiré par la façon de construire des Mayas, qui sera capable d’accueillir 130.000 résidents d’ici à la fin de la décennie. Conçue comme un écosystème régénératif, elle s’étendra sur 557 hectares, dont une part importante sera végétalisée. Les surfaces réservées à la nature et celles destinées à la construction seront équivalentes afin de trouver le juste équilibre entre urbanisation et écologie. Par ailleurs, la ville vise l’autosuffisance énergétique grâce à un immense anneau périphérique de panneaux solaires et à un système de canaux souterrains pour irriguer de façon économe et durable les espaces verts.
Des infrastructures conçues pour émettre moins de CO2
Par ailleurs, le numérique permet d’accélérer la mise en œuvre des innovations de pointe – véhicules autonomes, drones, systèmes domotiques avancés – afin de proposer des services toujours plus automatisés et toujours plus personnalisés. C’est ce que promettent les villes nouvelles de Songdo, en Corée du Sud, et de Woven City, au Japon.
Woven City (Japon): la ville intelligente selon Toyota
Construit par le constructeur automobile Toyota aux pieds du mont Fuji, ce laboratoire de l’innovation urbaine, d’une superficie de 70 hectares, a pour objectif de développer de nouveaux usages numériques et à faible empreinte carbone qui amélioreront la vie citadine. Tous les bâtiments ont été conçus avec des biomatériaux et sont alimentés par des énergies renouvelables. Chaque logement est équipé de technologies domotiques avancées qui optimisent la consommation d’eau et d’électricité, régulent le tri des déchets et anticipent les besoins des résidents.
Dans l’espace public, une grande variété de capteurs interconnectent infrastructures, véhicules et habitants pour faciliter la circulation, garantir la sécurité des piétons et mieux gérer les ressources énergétiques. La première phase des travaux a été achevée en 2025. D’ici à quelques années, Woven City accueillera 2000 habitants.
Au croisement de la révolution numérique et des enjeux climatiques, l’utilisation vertueuse des données et des algorithmes favorise par ailleurs l’apparition d’une ville mieux armée pour mener la bataille de la neutralité carbone. En équipant chaque bâtiment de capteurs, il est possible de faire baisser les émissions de CO2 en optimisant la consommation d’électricité.
Songdo (Corée du Sud): la smart-city coréenne
À environ 60 km au sud de Séoul, Songdo, le projet de smart-city, lancé dès 2001 sur 600 hectares de terres gagnées sur la mer, abrite aujourd’hui 76.000 personnes. La ville est équipée de 500.000 capteurs et d’un centre de contrôle intégré qui collectent et traitent en permanence une immense quantité de données afin de fluidifier le trafic automobile, optimiser la consommation énergétique, régler l’éclairage public et garantir la sécurité des habitants. Les constructions respectent des normes environnementales élevées et sont certifiées LEED (Leadership in energy and environmental design) en intégrant des panneaux solaires, des toitures végétalisées ainsi que des dispositifs de récupération des eaux pluviales et de recyclage des eaux grises. Chaque bâtiment est équipé d’un système d’évacuation pneumatique des déchets, qui sont collectés et acheminés via des réseaux souterrains vers des centres de tri et de traitement.
À Grenoble, l’immeuble IntenCity, conçu par Schneider Electric, utilise le système de pilotage intelligent EcoStruxure Building pour calibrer l’éclairage et le chauffage en évitant tout gaspillage, grâce à 60.000 données collectées (température, luminosité, présence, etc.) toutes les deux minutes. En Europe, c’est l’immeuble qui affiche la meilleure performance énergétique. Il ne consomme que 37 kWh par m2 et par an, soit presque dix fois moins que les autres bâtiments tertiaires de ce type.
Avec le changement climatique, l’architecture et les data vont devenir indissociables car en étant réunies, elles permettront de tendre plus efficacement vers la sobriété. C’est le pari que fait le gouvernement indonésien en construisant Nusantara, nouvelle capitale verte et high-tech de l’archipel.
Nusantara (Indonésie): une nouvelle capitale verte
Encore en développement, Nusantara, dont le nom signifie archipel en sanskrit, a été pensée pour être la future capitale politique de l’Indonésie. Située sur l’île de Bornéo, elle est destinée à remplacer Jakarta, mégapole surpeuplée de 30 millions d’habitants qui est menacée par la montée des eaux. C’est la première fois que le réchauffement climatique justifie le déplacement d’une capitale.
D’une superficie de 2561 km2, Nusantara accueillera à terme environ 5 millions d’habitants. Le modèle de développement urbain qui a été choisi est celui d’une ville écologique et high-tech, intelligente et inclusive, en grande partie végétalisée, maillée de forêts et de parcs, massivement alimentée par les énergies renouvelables, et sillonnée par des véhicules autonomes.
Mieux prendre en compte les besoins de chacun
Depuis le 20e siècle et l’organisation des villes en fonction des axes de circulation, les citadins qui vivent dans les quartiers centraux et à proximité des lignes de métro peuvent profiter de toutes les commodités – commerces, écoles, complexes sportifs, lieux culturels – dans un périmètre restreint. Dans les périphéries et les banlieues, la situation est inverse, avec des quartiers situés loin de tout.
Afin de corriger le tir, la ville du quart d’heure, théorisée par l’urbaniste Carlos Moreno en 2015, propose un modèle égalitaire en rapprochant les services à moins de quinze minutes à pied pour chaque habitant. Un cran plus loin, la démocratie participative réinvente la façon de décider en incluant les citadins dans les grandes orientations stratégiques des municipalités. Grâce aux applications citoyennes, comme Agora ou ConsultVox, la gouvernance devient horizontale afin de mieux prendre en compte les besoins de chacun. Le fonctionnement des villes tend actuellement vers une plus grande égalité.
Telosa (Etats-Unis): des citadins actionnaires de leur ville
Imaginé par l’homme d’affaires Marc Lore, Telosa sera dotée d’un modèle de gouvernance « équitiste », inspiré par les principes georgistes de meilleure répartition du capital. Les citadins deviendront actionnaires de leur ville, bénéficiant ainsi de services publics gratuits et de technologies avancées financées par l’impôt foncier. L’objectif est de proposer un nouveau modèle de société, où la richesse est créée et redistribuée de manière équitable. Le cabinet d’architectes Bjarke Ingels Group (BIG), qui a été mandaté pour mener les travaux, prévoit que la ville soit construite sur des terres désertiques. Celles de l’Utah, de l’Idaho, du Nevada, de l’Arizona, du Texas et des Appalaches sont des emplacements potentiels. La première phase de construction devrait accueillir 50.000 personnes dans les prochaines années.
Qu’elle soit technologique, renaturée ou égalitaire, la ville de demain sera avant tout intelligente et résiliente, c’est-à-dire capable de prendre soin des populations qui y vivent, de faire face au changement climatique, et de fonctionner dans des conditions plus difficiles.
The Line (Arabie Saoudite): une structure urbaine inédite
En construction en Arabie saoudite, The Line (ci-dessous, vue d’artiste) est une structure urbaine linéaire de 170 km de long, constituée de deux gratte-ciel parallèles hauts de 500 m, qui a été pensée pour abriter 9 millions de personnes en 2045. La façade extérieure réfléchissante servira de bouclier thermique. La ville proposera logements, espaces verts, commerces, et infrastructures publiques.
The Line étant dépourvue de routes, donc de voitures, la mobilité des résidents reposera sur des transports automatisés et une ligne de train à grande vitesse qui reliera les extrémités en 20 minutes. Chaque service de base sera accessible en moins de cinq minutes à pied. La végétalisation, le déploiement massif d’énergies renouvelables, l’absence de véhicules polluants et l’utilisation de l’IA pour optimiser la consommation des ressources visent à en faire une ville écologiquement exemplaire. En raison du coût des travaux, estimé entre 100 et 200 milliards de dollars, les objectifs de peuplement viennent d’être revus à la baisse.





