« Desmond Tutu, nous nous attendions à sa mort, mais nous n’étions pas prêts »

11
« Desmond Tutu, nous nous attendions à sa mort, mais nous n’étions pas prêts »
« Desmond Tutu, nous nous attendions à sa mort, mais nous n’étions pas prêts »

Africa-Press – Togo. Barney Pityana n’était qu’un jeune étudiant plein d’espoir et de revendications en 1967. C’est l’année où il rencontre Desmond Tutu, alors professeur de théologie et aumônier à l’université de Fort-Hare, où Barney étudie, l’une des seules universités de qualité pour les Noirs à l’époque. Ce fut le début d’une longue amitié qui durera plus de 50 ans, jusqu’à la mort de Desmond Tutu. « Il est devenu un mentor, une figure paternelle, quelqu’un que j’admirais beaucoup. Je suis très fier aujourd’hui de pouvoir dire qu’il était mon ami. » À l’époque, Barney Pityana fonde la branche étudiante du Black Consciousness Movement avec Steve Biko et Harry Ranwedzi Nenwekhulu. « Comme certains jeunes aujourd’hui [qui reprochent à Desmond Tutu d’avoir trop pardonné, NDLR], nous aussi, on trouvait parfois que Desmond Tutu était trop gentil. On était très en colère contre le système. Mais au final, sa pensée nous a tous survécu. Il a toujours été extrêmement cohérent dans sa volonté de montrer l’humanité en chacun, déjà à l’époque. »

Une voix dans l’obscurité

Pendant l’apartheid, alors que Nelson Mandela est en prison tout comme de nombreux leaders de la lutte contre le régime, Desmond Tutu est l’un des rares à encore pouvoir s’exprimer. « Il était une immense inspiration », raconte Gcina Malindi, juge à la Cour suprême, à l’époque jeune activiste en plein procès pour trahison. « Il était cette voix que nous n’avions plus en Afrique du Sud après que les mouvements de libération, l’ANC, Black Consciousness et les autres ont été interdits. » Pendant ce procès, le procès Delmas, Desmond Tutu n’a cessé d’apporter son soutien et de militer à l’international pour protester contre ces arrestations.

Desmond Tutu risque sa vie pour défendre la libération du pays, mais n’hésite pas non plus à prendre des positions peu appréciées des activistes. « Il est toujours resté inébranlable, il n’a jamais cessé de combattre pour la justice. Après la libération, il est resté cette personne qui parle sincèrement et avec vérité sur les problèmes de notre société. Que ce soit Mandela qui soit dans le tort, un président ou n’importe quelle personne très respectée, il n’avait jamais peur de s’exprimer quand il pensait que quelque chose était mal. »

Barney Pityana se souvient d’un jour où une foule voulait lyncher des personnes soupçonnées d’être des informateurs de la police. « Il n’a jamais hésité à se jeter entre les belligérants pour sauver une vie humaine. Et en général, les gens le respectaient. »

« Comme Mandela, il était une lumière dans nos vies », regrette Raks Seakhoa, poète et activiste, passé comme Gcina Malindi par Robben Island. « Il y a ce sentiment que tous les bons s’en vont. Il était l’un des derniers, et aussi le dernier Prix Nobel de la paix vivant du pays. »

Humour et bonté

Tous ceux qui l’ont croisé, même brièvement, n’ont pu manquer un trait de caractère emblématique de « L’Arch », comme on le surnomme en Afrique du Sud : un humour pétillant et terriblement contagieux. « Une fois, j’étais à un dîner chez [le Prix Nobel de littérature] Nadine Gordimer, se souvient Raks Seakhoa. J’étais à la table de Desmond Tutu et son épouse. Quand la musique a commencé, il s’est levé, dans sa soutane, et il s’est mis à danser, c’était un moment tellement joyeux ! C’est ce que j’aimais beaucoup chez lui comme beaucoup : il était un leader très sérieux, mais aussi un homme de tous les jours, et très drôle. »

« Il est devenu mondialement connu, mais est toujours resté proche des gens », renchérit Barney Pityana « Mais derrière cette attitude désinvolte, son rire, son humour, il y avait aussi un grand penseur, capable de rassembler les gens dans son espace de compréhension concernant des problèmes très graves. »

C’est l’exemple de Desmond Tutu qui a poussé Barney Pityana à bifurquer du droit vers la théologie, et à devenir lui-même pasteur. Ces dernières années, ils continuaient de se retrouver pour prier ensemble. « Ce matin, je n’ai pas pu pleurer. Nous avons ressenti une profonde tristesse, mais nous avons remercié Dieu de l’avoir libéré de ses souffrances, car il avait un terrible cancer. » Et Raks Seakhoa de résumer : « Nous nous attendions à sa mort, mais nous n’étions pas prêts ».

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here