Municipales au Togo Entachées de Sang et Protestations

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Municipales au Togo Entachées de Sang et Protestations
Municipales au Togo Entachées de Sang et Protestations

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Togo. Les organisateurs des manifestations populaires au Togo ont renouvelé leur appel à manifester les 16 et 17 juillet, à l’occasion de la tenue des prochaines élections municipales, pour dénoncer la politique gouvernementale et la « mort de manifestants » lors des précédents rassemblements protestataires.

Ces appels interviennent dans un contexte de fortes tensions politiques et sociales croissantes, marquées par des protestations et une répression violente:

1. l’arrestation de figures de l’opposition,

2. la hausse des prix de l’électricité,

3. l’adoption d’un amendement constitutionnel accordant des pouvoirs étendus au président Faure Gnassingbé, ce que les manifestants considèrent comme une consolidation du pouvoir.

• Des générations en mouvance continue

Contrairement aux générations de leurs parents et grands-parents, les jeunes générations africaines semblent plus audacieuses à s’élever contre les régimes en place, confiantes dans leur capacité à façonner elles-mêmes l’avenir, en capitalisant sur les opportunités et les possibilités offertes par les réseaux sociaux, qui leur permettent de transcender les cadres traditionnels dans la lutte pour la défense de la démocratie au sein des pays africains.

Dans ce contexte, une grave crise politique a éclaté au Togo, le 26 juin 2025, avec des manifestations organisées dans la capitale, Lomé, et dans d’autres villes également, contre le régime de l’ancien président togolais, Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, devenu officiellement « Président du Conseil des ministres », transmettant à l’occasion le « sceptre de la présidence » à l’ancien Chef de l’opposition « Jean-Lucien Savi de Tové », devenant à son tour le 5ème président du Togo, investi dans son poste le 3 mai dernier.

Cependant, les membres de l’opposition ont critiqué ces changements, estimant que Gnassingbé pourrait rester au pouvoir à vie.

C’est pourquoi, depuis juin 2025, les manifestations contre Gnassingbé se sont multipliées, exigeant sa démission.

• Contexte et origines de la crise togolaise

Les manifestations de la dernière semaine du mois de juin dernier, notamment du 26 au 28 du mois dernier, ont vu l’implication de « l’Alliance nationale pour le changement (ANC) » et « les Forces démocratiques pour la République (FDR) », qui ont lancé leur campagne contre le régime en place. Des manifestations massives ont eu lieu dans la capitale, Lomé, au début du mois passé contre ce que l’opposition considérait comme un « coup d’État constitutionnel » après la nomination de Gnassingbé, chef de « l’Union pour la République (UPR) », au poste de Premier ministre.

Parmi les revendications formulées par plusieurs partis de l’opposition dont l’ANC et les FDR et par des organisations de la société civile, on relève ce qui suit:

– Le report sine die des élections municipales, jugées illégitimes dans un climat de violence et de peur.

– Une enquête internationale indépendante sur les morts et les violences policières.

– La libération des prisonniers politiques et l’annulation de la réforme constitutionnelle.

– Certains partis, comme la DMP, ont même quitté les instances de dialogue national, dénonçant une « mascarade » du régime.

• Une réaction gouvernementale basée sur la « Répression »

Selon le journal français Le Monde, la répression a été la réponse immédiate du gouvernement aux manifestants, et environ 80 d’entre eux ont été arrêtés dès le début des manifestations, dont des opposants politiques, des militants de la société civile et même des journalistes qui couvraient les événements. Certains ont ensuite été libérés, justifiés par une mesure de sécurité visant à préserver les institutions de l’État.

Suite à ces évènements, une justification officielle a alimenté la colère de l’opposition face à la gestion par les forces de sécurité des manifestations civiles pacifiques. Le cercle des participants s’est élargi, sept nouveaux partis ayant adhéré à une déclaration commune le 24 juin. Ce mouvement, surnommé localement « réveil civil », a été lancé le 6 juin par les forces politiques et civiles pour exiger la démission du régime de Gnassingbé, qui avait transformé le pays en un « cimetière de l’espoir ».

Les manifestations, dont l’ampleur populaire grandissante confirme la réalité de la crise politique que traverse le pays, incitent le gouvernement à les « diaboliser » en pointant du doigt des acteurs extérieurs, affirmant que ces événements ont été « orchestrés de l’étranger », selon un communiqué publié le 29 juin 2025, qui évoquait l’entrée illégale d’étrangers dans le pays pour participer à ces manifestations et dénonçait également ce qu’il considérait comme une « campagne de désinformation et d’incitation à la haine et à la violence visant à déstabiliser le régime ».

Les forces de sécurité auraient réprimé violemment ces manifestations, faisant au moins sept morts, dont deux mineurs retrouvés noyés. L’un des deux corps est celui d’un élève de troisième, identifié par sa famille qui l’a aussitôt récupéré et l’aurait inhumé sans qu’aucune constatation n’ait été faite», tandis que le second est celui d’un adolescent âgé de 15 ans, dont les résultats d’une expertise médico-légale ont conclu à une mort par noyade, sans compter des centaines de blessés et des arrestations massives. Les autorités attribuent les décès à des noyades accidentelles, mais l’opposition et des ONG dénoncent une « barbarie d’État ».

Ce changement radical de la structure de l’État reflète la volonté du régime actuel d’imposer une nouvelle répartition du pouvoir au sein de l’État, grâce à un système parlementaire où les pouvoirs exécutifs sont transférés en totalité au Premier ministre.

Cela a légitimement justifié la violence excessive contre les manifestations, qui incluaient divers groupes de la communauté et étaient menées par des figures de l’opposition, des artistes et des influenceurs des réseaux sociaux.

Le Front civique du Togo (FCI) a confirmé la mort de plus de sept personnes à ce jour, mais ces allégations ont été rejetées par les autorités, qui accusent l’opposition d’exploiter la tragédie à des fins politiques.

• Réactions internationales et climat électoral

Dans ce contexte, on a relevé que:

– La CEDEAO a exprimé ses regrets face aux violences et proposé une médiation, mais sans obtenir de concessions du gouvernement.

– La campagne électorale, officiellement lancée le 1er juillet, se déroule dans un climat de méfiance, avec des craintes d’intimidation et des accusations de fraude électorale.

– L’opposition reste divisée, car certains partis boycotteront le scrutin, tandis que d’autres y participeront malgré leurs réserves.

Quant à « Amnesty International », l’organisation a appelé à une enquête « indépendante et transparente » sur les violations des droits humains commises lors des dernières manifestations, soulignant l’importance de demander des comptes aux autorités afin de garantir le respect des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Elle estime que le pays traverse une tension politique sans précédent, les manifestants exigeant que les personnes impliquées dans les violences rendent des comptes et rejetant l’utilisation des élections comme un outil pour renforcer leur emprise sur le pouvoir ou falsifier la volonté populaire, estimant que la transparence et l’obligation de rendre des comptes sont les seuls moyens de rétablir la confiance entre les citoyens et les autorités.

• Faure Gnassingbé et son « coup d’État en douceur…du présidentiel au parlementaire »

Il importe de noter que la crise togolaise a éclaté à Lomé, suite aux amendements constitutionnels adoptés en avril 2024, qui prévoyaient la « transition d’un régime présidentiel à un régime parlementaire », transformant ainsi le système de gouvernement présidentiel en un régime parlementaire.

Le 3 mai 2025, le chef de l’Union pour la République, Faure Gnassingbé, a prêté serment devant la Cour constitutionnelle en tant que « Premier ministre », inaugurant ainsi la Ve République.

Pour rappel Faure Gnassingbé s’est présenté à trois autres mandats en 2010, 2015 et 2020, après un amendement constitutionnel de 2019 qui lui a permis de briguer deux mandats supplémentaires.

Ce bond en avant a permis au président de rompre avec l’autorité d’un quatrième mandat, censé mettre fin au règne de la famille Gnassingbé au Togo.

Un changement radical dans la structure de l’État qui reflète la volonté du régime actuel d’imposer une nouvelle répartition des pouvoirs au sein de l’État, grâce à un système parlementaire où le pouvoir exécutif est transféré au Premier ministre.

Cet amendement constitutionnel a mis fin à l’élection présidentielle directe et a accordé le pouvoir exécutif à un Premier ministre élu par le Parlement. Cela a incité les forces d’opposition à s’unir et à renforcer le « Front non constitutionnel » contre ce qu’elles considèrent comme un « coup d’État constitutionnel ».

Les Togolais semblent avoir compris que l’obsession du régime derrière cet amendement n’était pas tant la réforme constitutionnelle que l’auto-préservation et l’auto-protection, ce qui les a poussés à descendre dans la rue pour défendre ce qui restait d’esprit démocratique dans le pays. Cette décision a bouleversé les règles du jeu au profit d’un petit groupe aux intérêts particuliers liés au président, laissant le régime sans légitimité populaire ni base populaire pour le défendre, à l’exception de la minorité qui partage ses intérêts et ses avantages.

Aujourd’hui, il fait face à une légitimité brisée, confirmée par son insistance sur la violence et la répression, qui l’a conduit à suspendre les médias internationaux en raison de ce qu’il considérait comme une couverture biaisée de manifestations pacifiques.

• Les observateurs jugent que la crise est plus grave qu’un amendement constitutionnel

Dans un pays habitué à l’épuisement politique et à une opposition divisée, les manifestations de la fin du mois passé ont marqué un tournant majeur. Ce qui se passe, avec les appels renouvelés à manifester les 16 et 17 juillet, à l’approche des prochaines élections municipales, va au-delà d’un simple rejet des amendements constitutionnels: « il s’agit d’un clivage générationnel dans le paysage politique du pays ».

C’est ce qu’a confirmé le journaliste local Pap Kodjo, qui a déclaré: « Ces jeunes ne protestent pas seulement contre une nouvelle constitution. Ils rejettent 58 ans de règne héréditaire de père en fils, qui n’ont apporté que pauvreté, oppression et humiliation » au peuple du Togo.

Le gouvernement semble bien conscient de ce phénomène et a déployé tous les moyens à sa disposition pour contenir la colère, en décidant de:

a) Suspendre la hausse de 12,5 % des tarifs de l’électricité,

b) Libérer le rappeur « Amron », fervent critique des autorités,

c) et autres mesures visant à diviser l’opposition dans la rue.

L’avenir du Togo est donc ouvert à toutes les éventualités, la présence croissante de la société civile dans les manifestations comblant le vide laissé par l’opposition traditionnelle, épuisée politiquement, financièrement et organisationnellement par des décennies d’un dialogue infructueux et raté.

De facto, les élections municipales se tiendront dans un contexte explosif, avec:

a) une opposition fragmentée,

b) une société civile mobilisée,

c) et un pouvoir accusé d’autoritarisme.

La crédibilité du scrutin se retrouve donc fortement remise en question, et les risques de nouvelles violences restent très élevés.

D’ailleurs, des fissures ont commencé à apparaître au sein du gouvernement, même au plus haut niveau, sachant que l’ancienne ministre de la Défense, Marguerite Gnacadé (démise de ses fonctions en décembre 2022 et son ministère est rattaché à la présidence de la République), a publié une rare déclaration condamnant les violences.

De même, les évêques catholiques, connus pour leur retenue, ont mis en garde contre « le risque d’explosion sous le poids de la frustration accumulée », appelant au respect de la vie des manifestants. Selon eux: « une répression excessive ne saurait se justifier, même si les manifestations ne sont pas officiellement autorisées ».

• Quelles solutions pour les Togolais

D’après les observateurs, le régime de Lomé n’a guère d’autre choix que de chercher à accorder de nouvelles concessions, même formelles, aux manifestants jusqu’à la fin de la crise, comme la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Il exploite les prochaines élections, que l’opposition appelle à boycotter, rien que pour fracturer les rangs de l’opposition. Cette option est limitée, car le front de l’opposition s’étend au-delà des partis politiques et inclut une large représentation de la société civile et de la jeunesse. Il pourrait choisir de maintenir son emprise sécuritaire et sa brutalité dans l’espoir d’intimider les manifestants et de les contraindre à abandonner leur mouvement.

L’avenir du Togo est ouvert à toutes les possibilités, avec la présence croissante de la société civile, notamment des groupes de jeunes et des influenceurs des réseaux sociaux, dans les manifestations. Ce mouvement comble le vide laissé par l’opposition traditionnelle, épuisée politiquement, financièrement et organisationnellement par des décennies de dialogue infructueux.

Bien que la situation n’ait pas encore atteint le stade d’une révolution contre le régime, comme l’a dit quelqu’un: « nous sommes confrontés à une profonde fracture. Si le régime continue de nier, le coût pourrait être plus élevé que prévu ».

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