Plein et Vide Dans La Nouvelle Constitution Du Togo

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Plein et Vide Dans La Nouvelle Constitution Du Togo
Plein et Vide Dans La Nouvelle Constitution Du Togo

Africa-Press – Togo. L’écriture constitutionnelle est une œuvre perfectible. Toutefois, si des constitutions élaborées patiemment, par des organes ad hoc, et votées en toute solennité ne sont pas exemptes de lacunes, imaginez ce qu’il peut en être d’une constitution écrite en catimini, et votée furtivement la nuit…

La loi du 6 mai 2024 portant nouvelle Constitution du Togo, votée sans consultation du Peuple souverain, en donne une illustration. Parmi les insuffisances dont elle souffre, figure son mutisme au sujet de la compétence pour former le gouvernement. Elle ne dit pas explicitement qui a compétence pour nommer les ministres et selon quelle procédure.

La remarque avait été faite par certains spécialistes. L’enjeu est de taille. Car, face à l’absence de dispositions précises sur l’autorité compétente pour nommer les membres du gouvernement, la légalité des nominations effectuées est fortement contestable.

La polémique a évolué crescendo de la publication du texte jusqu’à la nomination du gouvernement de “transition”, avant de faiblir, puis de reprendre du poil de la bête avec la nomination des ministres du tout premier gouvernement de la Vème République. Aussi, le problème prend-il de l’ampleur selon que le degré de précision des dispositions constitutionnelles oscille du plein vers le vide.

La compétence de nomination des membres du gouvernement de transition: Du plein

Après la publication – tardive – de la nouvelle Constitution au journal officiel, des critiques s’étaient fait entendre au sujet des lacunes et des limites du texte. Mais, la polémique autour de la compétence pour nommer les ministres avait surtout été nourrie par la formation du Gouvernement de transition, qui devait œuvrer à l’installation des institutions de la nouvelle République.

Cependant, il existait des arguments pour fonder cet acte de gouvernement posé par Faure Gnassingbé alors Président de la République, qui faisait sa mue pour devenir Président du Conseil des ministres.

L’argument le plus important est celui fondé sur une disposition du régime de transition prévue par la Constitution du 6 mai 2024. Il s’agit de l’article 97 qui dispose que >.

Étant donné qu’il était le Président de la République au moment de la promulgation de cette Constitution, Faure Gnassingbé avait donc, au sens de l’article 97, conservé temporairement les prérogatives qu’il tenait de la Constitution de 1992 révisée.

Contrairement à la Constitution illicite de 2024, la Constitution de 1992 avait pris le soin de fixer la règle. L’article 66 de cette Constitution abrogée illicitement disposait, en effet, que >.

La lecture combinée des articles 97 de la nouvelle Constitution et 66 de l’ancienne permettait de régler la question à ce moment-là. La nomination, par Faure Gnassingbé, du gouvernement de transition trouvait son assise dans la Constitution qu’il venait lui-même de sacrifier sur l’autel d’un pseudo renouveau démocratique, qui cachait mal une volonté de se maintenir indéfiniment à la tête du Togo après 20 ans passés au pouvoir, avec une dette publique qui s’est envolée sans progrès conséquent.

Par ailleurs, durant la période de transition, nombreux sont les Togolaises et les Togolais qui ne savaient plus à quelle Constitution se vouer. Le Gouvernement surfait sur deux vagues, en fonction des enjeux et des objectifs visés. Quand la manœuvre devenait compliquée sur celle de la Vème République, il glissait sur celle de la IVème.

Mais, une fois que la période de transition est passée et que le Président du Conseil a prêté serment, nous précipitant ainsi mains et pieds liés dans l’aventure ambiguë de la Vème République, les vagues de la IVème se sont retirées, emportant avec elles les possibilités de surf ou de navigation qu’elles offraient.

En effet, une fois que le délai (d’un an) imparti pour la transition constitutionnelle s’est achevé, avec notamment la prestation de serment de Jean-Lucien Savi de Tové comme Président de la République pour inaugurer les chrysanthèmes, et de Faure Gnassingbé comme Président du Conseil des ministres, le 3 mai 2025, l’article 97 de la Constitution de 2024 et l’article 66 de la Constitution de 1992 révisée perdaient, de jure et de facto, leur pertinence et leur prégnance, toute leur vigueur et toute leur rigueur.

Il fallait, donc, trouver d’autres fondements juridiques à la compétence pour nommer et former un gouvernement de plein exercice. C’est alors qu’on assiste au spectacle désolant d’une navigation à vue ou dans le vide.

La compétence de nomination des ministres après la période de transition: Du vide

Du 3 mai au 8 octobre 2025, l’exécutif togolais a végété sous deux premiers ministres: le Président du Conseil des ministres, Faure Gnassingbé, et le Premier ministre démissionnaire, Victoire Tomegah-Dogbe, sans compter le Président de la République constitutionnellement démuni, Jean-Lucien Savi de Tove.

La nomination d’un nouveau gouvernement était donc attendue depuis 5 mois. Au soir du 8 octobre 2025, le Secrétaire général du gouvernement, nommé quelques semaines auparavant, annonce, à la télévision nationale, la composition de la nouvelle équipe gouvernementale.

Très vite, la polémique de la compétence pour nommer les ministres en vertu de la nouvelle Constitution renaît de ses cendres. Des juristes, des politologues, des journalistes et des observateurs de la scène politique togolaise s’interrogent, spéculent, conjecturent. Le point d’orgue a été l’émission culte du dimanche sur l’actualité socio-économique et politique du Togo et d’ailleurs, animée par le journaliste d’investigation Ferdinand Ayité. En abordant le sujet de la composition du gouvernement, le célèbre journaliste togolais, contraint à l’exil, n’a eu de cesse de marteler la question, tout en interpellant les spécialistes de la matière.

Pour tenter de sortir du gouffre, certains ont pu évoquer l’article 50 de cette nouvelle Constitution qui dispose que le Président du Conseil, chef du Gouvernement, >. Les difficultés que pose cette disposition sont si énormes que certains partisans du régime ne l’invoquent que très fébrilement.

La première difficulté est perceptible. Il s’agit de la nuance entre les emplois civils ou militaires et les fonctions politiques que sont les postes ministériels. Les charges gouvernementales sont des missions d’un caractère spécial. On ne saurait les ranger dans la catégorie générale et fourre-tout des “emplois civils et militaires”. La singularité des charges gouvernementales convoquait pour leur disposition le principe de spécialité (Lex specialis generalibus derogant, c’est-à-dire la loi spéciale déroge à la loi générale). Comme l’expliquait Bobbio, « le critère de spécialité est l’application de la règle de justice selon laquelle les personnes qui appartiennent à la même catégorie doivent être traitées de la même façon (…). De là la nécessité, pour respecter le principe de justice et pour ne pas régler de la même manière le cas de personnes appartenant à des catégories différentes, de déroger à la discipline de la règle générale et d’en établir une spéciale (…). La supériorité de la règle spéciale sur la règle générale, est l’expression de l’exigence du chemin de la justice, qu’il nous plaît souvent d’imaginer comme allant de l’abstrait au concret, de la légalité à l’équité. En faveur de la règle de spécialité, il y a une présomption de plus grande justice, justement parce que l’idéal d’une législation juste est la législation où chacun reçoit ce qui lui revient, grâce à sa singularité qui le distingue, en tant qu’homme, de tous les autres hommes » (Norberto BOBBIO, « Des critères pour résoudre les antinomies », in Dialectica 18 (69-72), pp. 248-249).

Ceci rappelle sans équivoque le principe d’égalité et certains de ces aménagements, en l’occurrence, le régime des traitements différentiels et des discriminations positives (voir Conseil d’Etat français, section, du 10 mai 1974, n°88032 et 88148, Denoyez et Chorques, publié au recueil Lebon). Dans son avis n°AV-001/21 du 30 septembre 2021 concernant le projet d’ordonnance relative à la présentation d’une preuve de vaccination contre la Covid-19 pour accéder aux bâtiments administratifs, la Cour constitutionnelle togolaise avait d’ailleurs inoculé cette piqure de rappel au Gouvernement: « il est de jurisprudence établie que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » ».

Ces considérations fondamentales devaient obliger les rédacteurs du texte, qui ne les ignorent probablement pas, à prévoir des dispositions spécifiques concernant la compétence spéciale pour nommer et démettre les ministres, la distinguant ainsi, à juste titre, de la compétence générale de nomination aux emplois civils et militaires. C’est pour cela que, s’agissant des postes ministériels, la Constitution de 1992 avait prévu une disposition spécifique (l’article 66 sus évoqué). Elle prévoyait aussi des dispositions spécifiques pour la nomination des ambassadeurs, des préfets, par exemple; fonctions qui doivent nécessairement être distinguées des emplois civils ou militaires ordinaires.

À ceci s’ajoute l’obstacle que représentent, en la matière, les principes de spécialité des compétences, d’interprétation stricte des règles de compétences, d’interdiction de l’extension implicite des compétences. C’est là que le mutisme du Constituant togolais de 2024 devient complètement insoutenable. En effet, en vertu du premier principe cité (celui de la spécialité des compétences), chaque institution ou autorité instaurée par la Constitution doit respecter le domaine de compétences qui lui a été assigné et mettre en œuvre ses pouvoirs, sans empiéter sur le domaine de compétences et les pouvoirs des autres. Aucune institution ne devrait exercer plus de pouvoirs que ceux que la Constitution lui reconnaît. Les deux autres principes, celui de l’interprétation stricte des règles de compétences et celui de l’interdiction de l’extension implicite des compétences, signifient qu’il faut, en principe, s’en tenir aux compétences que la Constitution a reconnu sans en rajouter subrepticement au détour d’une interprétation extensive. Les compétences constitutionnelles ne se présument pas et il est normalement proscrit de procéder à des augmentations implicites des attributions des institutions, au-delà de ce que le texte a expressément prévu. Abstraction faite des réserves d’interprétation, ces principes s’appliquent même au juge constitutionnel qui se garde de créer des compétences de son propre chef ou d’en étendre le champ et/ou la portée au-delà de ce que le Constituant a attribué.

Il résulte de ce triptyque qu’étant donné que la Constitution de la Vème République n’attribue à personne le pouvoir de nommer les ministres, nul ne devrait, en principe, s’arroger cette compétence. Dans cette logique, en l’état actuel des choses, le Président du Conseil des ministres, Faure Gnassingbé, est légalement incompétent pour procéder à la nomination d’un quelconque ministre.

En conséquence, tous les décrets de nomination des membres du Gouvernement sont entachés de vice de compétences et dépourvus de base légale. Ceci concerne:

– Le décret n°2025-017/PC du 3 septembre 2025 portant nomination du ministre, secrétaire général du Gouvernement, Bamouni Somolou Stanislas Baba;

– Le décret du 8 octobre 2025 portant nomination des membres du Gouvernement;

– Les décrets du 13 octobre 2025 relatifs à la nomination de Yark Damhame, Pascal Bodjona et Kokou Tengue respectivement en qualité de ministre directeur de cabinet, et de ministres conseillers du Président du Conseil des ministres. Il se pourrait, d’ailleurs, que de nouvelles nominations surviennent dans les semaines à venir, tant la liste des laudateurs et des courtisans éconduits et mécontents du fait du Prince reste longue.

Il convient de rappeler que l’article 48 de la nouvelle Constitution dispose que « le gouvernement est composé du Président du Conseil, des ministres d’Etat, des ministres, des ministres délégués et des secrétaires d’état ». Le secrétariat général du Gouvernement existe depuis un décret n°92-013/PMRT du 23 janvier 1992. Quel texte en vigueur sous la Vème République a créé le secrétariat général de la Présidence du Conseil des ministres, et en vertu de quel texte nominatif Sandra Johnson occupe ce poste?

La nomination du nouveau SG du Gouvernement a été rendue publique et son décret figure au Journal officiel. En revanche, à ce jour, aucun décret n’a été publié concernant la création d’un secrétariat général de la Présidence du Conseil qui serait confié à Mme Johnson, et, sauf erreur, aucun communiqué officiel n’a informé les Togolaises et les Togolais d’une telle nomination. La chose apparaît comme si, par une sorte d’abracadabra, la belle au bois dormant est passée de SG de la Présidence de la République à SG de la Présidence du Conseil des ministres. Une forme de translation vectorielle qui ferait retourner Euclide dans sa tombe.

N’empêche. La ministre exhibe publiquement ce titre officiel ou officieux, qui est, par ailleurs, mentionné en signature sous certains actes du Président du Conseil des ministres. Cette mention renvoie au contreseing, source d’une autre difficulté encore plus compromettante sous l’angle des exigences de compétences.

Le vice d’incompétence qui affecte la signature de Faure Gnassingbé semble plus virulent que le coronavirus. Par un effet de contagion rapide et généralisé, ce mal touche la quasi-totalité des actes qui émanent du fils du général Eyadema, depuis qu’il a revêtu les habits neufs du roi. En plus des obstacles précédemment évoqués, l’article 52 de la Constitution de la République fantoche dispose, en effet, que >. C’est la quadrature du cercle, sinon du gouffre, ou du vide, du vide juridique.

Le contreseing prévu à l’article 52 suppose l’existence de ministres de plein exercice, car il s’agit là d’une exigence de responsabilité politique et juridique. Les ministres démissionnaires ne pouvant voir leur responsabilité politique engagée devant le Parlement pour des actes postérieurs à leur démission, la compétence pour signer ou contresigner des actes de plein exercice leur est retirée. C’est aussi pour cette raison qu’en principe, une fois que le Premier ministre démissionne, le gouvernement démissionnaire ne peut valablement plus se réunir en conseil. Et, l’on sait qu’il y a plusieurs textes que l’exécutif ne peut prendre qu’en conseil des ministres.

Or, entre le 02 mai et le 7 ou le 8 octobre 2025, le Togo était sans gouvernement de plein exercice. Durant cette période, le Président du Conseil des ministres et le gouvernement démissionnaires n’ont cessé de prendre de nouveaux actes, alors qu’en principe, ils étaient formellement incompétents pour ce faire. Ceci est d’autant plus grave que, par les décrets n° 2025-045/PR et 2025-046/PR du 02 mai 2025, Faure Gnassingbé avait, non seulement, rapporté le décret n°2024-040/PR du 1er août 2021 portant nomination de Victoire S. Tomegah-Dogbe en qualité de Premier ministre, mais aussi le décret n°2024-041/PR du 20 août 2024 portant composition du Gouvernement. Ces deux décrets du 2 mai 2025 étaient inutiles, dans la mesure où, d’ordinaire, une lettre réponse ou un décret constatant et acceptant la démission du PM tout en le renvoyant, lui et ses ministres, à la gestion des affaires courantes, suffisent.

Toujours est-il que la nomination de Victoire Tomegah-Dogbe et de son équipe a été rapportée le 2 mai 2025. La portée de ces deux décrets varie selon qu’on leur fait produire des effets uniquement pour l’avenir, à l’instar des actes d’abrogation, ou pour le passé et l’avenir, à l’image des actes d’annulation. La réponse à cette question ne va pas de soi au regard de la formulation desdits textes. Par souci de sécurité et de stabilité, il faudrait leur reconnaître les effets d’une abrogation. Mais, s’il s’avère qu’ils sont constitutifs d’une annulation, les conséquences dépasseraient l’entendement.

En tout état de cause, on peut, sur la base de ces deux décrets du 2 mai 2025, penser que même l’idée de gestion des affaires courantes perdait de son essence et de sa quintessence. Puisque Faure Gnassingbé venait ainsi de supprimer l’existence juridique du gouvernement démissionnaire, et se trouvait seul à bord, sans équipage, donc à la tête de rien du tout, sinon du vide.

Il en résulte qu’en plus des décrets de ce mois d’octobre 2025, tous les autres actes que Faure Gnassingbé a pu signer dans les cinq mois suivant la démission de Victoire Tomegah-Dogbe, et soumis au contreseing, ainsi que tous les actes pris par les ministres démissionnaires, au moins sur la même période, sont tous entachés d’illégalité et encourent l’annulation. Sans être exhaustif, on peut citer:

– Le décret 2025-003/PC 21 mai 2025 précisant le nombre de conseillers municipaux et d’adjoints au maire par commune (contresignés par le ministre de l’administration territoriale, Hodabalo Awaté, et modifié par le décret n° 2025-005/PC du 28 mai 2025 après de vives critiques sur cette augmentation inopportune du nombre d’élus locaux, surtout dans un contexte d’endettement et de vie chère);

– Les décrets n°2025-019/PC et n°2025-018/PC du 18 septembre 2025 portant respectivement nomination du président de l’Université de Kara, Pr Prenam Houzou-Mouzou, et de nomination du président de l’Université de Lomé, Pr Kossivi Hounake, (décrets contresignés par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Kanka-Malik Natchaba, démissionnaire);

– Le décret n°2025-019-bis/PC du 18 septembre 2025 portant création, attributions et fonctionnement de l’Agence Nationale du Domaine et du Foncier (contresigné par le ministre de l’Urbanisme, de l’habitat et de la réforme foncière, Yawa Djigbodi Tségan, démissionnaire, et le ministre de l’Économie et des finances Essowè G. Barcola, démissionnaire à cette date).

En définitive, loin de dissiper les ambiguïtés pour garantir la stabilité et l’efficacité institutionnelle, la nouvelle Constitution est plutôt porteuse des germes d’une crise de système. Les obstacles quasi-inextricables résultant du vide dont elle laisse inonder le régime des compétences de nomination des membres du Gouvernement le démontrent. Ce flou juridique, propice aux contestations et à une instabilité politique latente, souligne l’urgence d’une réévaluation méticuleuse de ce texte, ou, mieux, une reprise du processus pour l’écriture d’une nouvelle Constitution, si tant est qu’on en a vraiment besoin. Car, seule une approche inclusive, fondée sur le respect des principes constitutionnels, démocratiques, et la transparence des mécanismes de gouvernance, pourra restaurer la légitimité des institutions et renforcer la confiance citoyenne.

Bibi Pacôme Mougue

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