Africa-Press – Togo. Il y a quelques années, nous avions publié un article sur l’encadrement des manifestations publiques. Déjà en 2018, alors que j’étais député, j’avais interpellé le Ministre de la Sécurité sur ce même sujet. Il est important de le rappeler, en soulignant que les agents des forces de l’ordre connaissent parfaitement la réglementation en la matière.
Pourtant, alors qu’aucune menace réelle ne le justifie, des citoyens togolais désireux d’exprimer pacifiquement leur désapprobation face à l’autisme politique, à la fuite en avant et au refus obstiné du régime autoritaire et patrimonial d’entendre le rejet massif de la Constitution de la Ve République, se heurtent systématiquement à une répression brutale. Face au désaveu populaire, le gouvernement répond par la terreur, comme en témoignent les récentes répressions de manifestants non armés.
Ces actes répressifs, dignes d’une autre époque, prouvent que l’État togolais continue de bafouer les lois qu’il s’est lui-même donné. Depuis longtemps, le dispositif sécuritaire au Togo est marqué par une confusion des rôles entre les forces de défense (armée de terre, de l’air, marine) et les forces de sécurité (police, sapeurs-pompiers, gardiens du territoire, gendarmerie).
Le système sécuritaire togolais est de nature duale: la police est en charge des zones urbaines, la gendarmerie du reste du territoire. Ces deux corps sont complémentaires: la police maîtrise les réalités urbaines, tandis que la gendarmerie, dotée d’un statut militaire, est préparée à intervenir aussi bien en temps de paix que de crise. Ce dualisme, censé être un atout, devient malheureusement un frein à l’exercice des libertés fondamentales.
Il convient de rappeler que, par principe, aucune loi de la République n’interdit une manifestation pacifique. Seules les manifestations armées sont prohibées. Interdire une émotion ou un sentiment exprimé à mains nues relève de l’absurde. Pourtant, au Togo, il est fréquent que des collectifs citoyens soient empêchés de manifester sous prétexte de préserver l’ordre public. Cette interdiction est systématique, et non fondée sur une appréciation objective du contexte.
La gestion des manifestations obéit aussi à une procédure légale. Seul un officier civil – en l’occurrence le maire ou son représentant dûment mandaté – peut ordonner la dispersion d’une manifestation, après avoir constaté, de concert avec les forces de l’ordre, un risque réel de dérapage. Le maire doit alors se rendre sur les lieux, revêtu de son écharpe, muni d’un haut-parleur, et adresser trois sommations claires aux manifestants. Ce n’est qu’en cas de refus d’obtempérer que le commandant des forces de l’ordre peut agir. Or, dans les récentes manifestations à Lomé, quel élu a rempli ce rôle?
Concernant l’intervention des forces, rappelons que si la police est dépassée, elle peut requérir l’appui de la gendarmerie. Mais dans ce cas, les gendarmes sont placés sous l’autorité de la police. La gendarmerie ne peut en aucun cas se substituer à cette dernière dans l’encadrement des manifestations. Malheureusement, cette hiérarchie est régulièrement bafouée: des officiers de gendarmerie donnent des ordres en présence de commissaires de police, ce qui est contraire aux règles établies.
En cas d’insurrection, l’armée peut être mobilisée, mais uniquement pour protéger les installations stratégiques du pays. Elle n’a pas vocation à réprimer les manifestants. Lorsque l’ordre constitutionnel est menacé, l’armée a pour rôle de conseiller le pouvoir exécutif à engager le dialogue… ou à se retirer. Jamais l’armée ne doit tirer sur des citoyens à mains nues.
Le respect de cette chaîne de responsabilité est essentiel pour garantir le droit à manifester et situer les responsabilités en cas de bavure. Toutes ces dispositions sont connues des forces de l’ordre.
Mais lorsque le seul objectif du régime est de réduire un peuple au silence, la répression devient systématique. Face au rejet populaire, le régime répond par la violence, foulant aux pieds les textes et la dignité humaine. Les récentes répressions, les exactions, les tabassages et l’usage disproportionné de gaz lacrymogène révèlent une stratégie de terreur, et non de maintien de l’ordre.
Pire encore, des milices – qui ne figurent dans aucun texte officiel – se permettent d’arpenter les quartiers et d’agresser les citoyens sous le regard passif des forces officielles. Que dire également de l’usage de forces spéciales, formées pour le contre-terrorisme, pour intervenir dans des quartiers civils et violer l’intimité des domiciles lors de manifestations pacifiques?
Les forces de l’ordre, tout comme le régime en place, foulent aux pieds la loi. Il ne s’agit plus ici de simples abus, mais de violations graves des droits fondamentaux, en toute impunité.
Il est temps de se ressaisir.
Les partis politiques attachés à la non-violence continueront de recommander à leurs militants et sympathisants de manifester pacifiquement, comme ils l’ont toujours fait. Ils les exhorteront à ne pas céder aux provocations, même de la part d’agents infiltrés ou de fausses forces de l’ordre.
Mais le gouvernement doit, de toute urgence, mettre fin à la militarisation des manifestations. Il doit garantir la neutralité et le professionnalisme des forces de sécurité, au lieu d’en faire des instruments partisans.
C’est en respectant les droits humains que nous pourrons restaurer la confiance, reconstruire le vivre-ensemble, et poser les bases d’une cohésion sociale durable.
Que Dieu protège et bénisse le Togo.
Aimé Guogue
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