Togo/Mali : Bataille pour une médiation à tous risques

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Togo/Mali : Bataille pour une médiation à tous risques
Togo/Mali : Bataille pour une médiation à tous risques

Africa-Press – Togo. L’information est tombée il y a quelques semaines comme pour faire ‘’Buzz’’. Mais il s’agit bien d’une réalité, celle de la volonté du Togo de jouer la médiation entre le Mali et la Communauté internationale. C’est un secret de polichinelle, les autorités togolaises ont depuis la prise de pouvoir par la junte au Mali exprimer leur proximité implicitement avec les nouvelles autorités. Ce n’est que la confirmation de cette promiscuité qui a été dévoilée après la visite du Ministre malien des affaires étrangères, Abdoulaye Diop au Togo.

Du coup, le Togo pense se repositionner sur la scène internationale après s’être englué dans plusieurs contradictions diplomatiques qui ont rétréci le champ de sa notoriété internationale. Entre la réélection d’Emmanuel Macron en France et la guerre d’Ukraine, entre l’influence israélienne et l’ouverture du Togo à la Turquie d’Erdogan, dans la foulée des changements de régimes aux Etats Unis et en Allemagne, dans l’imposante influence de la France sur le leadership des Etats d la CEDEAO, quelles sont les marges de manœuvre du Togo dans cette nouvelle aventure diplomatique ?

Les multiples fréquentations à Bamako de Robert Dussey, ministre togolais des affaires étrangères aux côtés du Président de la transition, Assimi Goita et les militaires au pouvoir ont porté leur fruit : la volonté des nouvelles autorités maliennes de confier la médiation de la crise politique au Togo. Une volonté exprimée après 48h de visite du ministre malien des affaires étrangères Abdoulaye Diop au Togo. Une visite sanctionnée par un point de presse annonciateur du scoop: ‘’Au nom du président de la transition, nous avons sollicité le président Faure Gnassingbé pour user de bons offices et de sa sagesse et de son expérience pour aider à faciliter le dialogue avec les acteurs régionaux et plus largement le dialogue avec l’ensemble de la communauté internationale pour pouvoir trouver un compromis pouvant nous permettre de sortir le Mali de cette situation », a déclaré le chef de la diplomatie malienne. Son homologue du Togo, Robert Dussey a rassuré le Mali de la disponibilité du chef de l’Etat togolais à jouer ce rôle : ‘’ Le président Faure Gnassingbé se réjouit de cette offre. Volontiers, il aidera le Mali pour aller vers des élections libres, en vue d’un retour à l’ordre constitutionnel.»

Comme on le voit, le Togo vient enfin de gagner le pari d’une médiation post-putsch, après avoir vainement tenter de s’octroyer la place de médiateur au Tchad à la prise de pouvoir de Mahamat Deby après la mort de l’ex Chef d’Etat Idriss Deby, son père.

Le Togo, petit pays de l’Afrique de l’Ouest est un pays à tradition médiatrice et de résolution de conflits. Son ancien président, Gnassingbé Eyadema aimait bien inviter les protagonistes autour des diners de gala et des bains de foule nourris d’animations populaires en lieu et place d’une sérieuse médiation destinée à mettre fin aux tensions entre belligérants. C’est de cette façon particulière, ironisée par les détracteurs de ‘’médiation folklore’’ de régler les conflits que Feu le Général Eyadéma était passé à côté de la résolution de la guerre de Biafra entre le Nigéria et le Cameroun pour ensuite rater le coche en 2004 dans la médiation sur la crise ivoirienne. Après sa mort en 2005, la tradition de la quête de notoriété par la recherche des médiations s’est poursuivie avec Faure Gnassingbé, son fils. Le Chef de l’Etat togolais a réussi à trouver pour mener la cadence, la gâchette pour partir à la ‘’chasse’’ des conflits à médier: Robert Dussey, conseiller diplomatique puis Ministre des affaires étrangères. Trois semaines sont passées après l’annonce de la médiation largement relayée par les médias qui sont restés factuels sur le sujet. Trois semaines donc après, on semble constater le statu quo, ce qui augure des difficultés pour le Togo à poser les bases de cette mission délicate.

La diplomatie selon Robert Dussey.

Ancien moine franciscain, proche de la célèbre communauté catholique de San Egidio, près de la cinquantaine, Robert Komlan DUSSEY a réussi sans doute là où ses prédécesseurs n’ont pas convaincu pour un pays constamment raillé sur le plan international par ses insuffisances en matière de gouvernance et de respect des libertés.

Si Robert Dussey a su garder son portefeuille depuis dix ans à la tête de la diplomatie togolaise, c’est qu’il fait œuvre utile à Faure Gnassingbé, le Chef de l’Etat. La pédagogie diplomatique du Professeur Dussey est plutôt basée sur l’exploitation des relations personnelles, religieuses à la limite. Membre de plusieurs confréries spirituelles, où sont présents certains dirigeants du monde, le philosophe amène les interlocuteurs à comprendre la situation du Togo comme celle d’un Etat fragile qui fait des efforts, qui a la volonté et qui a besoin de l’appui des partenaires pour réussir les reformes.

Une méthode dialectique de demander à ses interlocuteurs la concession de ce qu’ils veulent exactement du Togo, à condition de fermer les yeux, si possible sur les excès en privation de liberté, en mauvaise gouvernance et en attitudes antidémocratiques dénoncées par l’opposition togolaise, la société civile et la presse. Du coup, dans le but de renflouer la gibecière de notoriété diplomatique, le chef de la diplomatie togolaise n’hésite pas à rapprocher le Togo de tous les Etats volontaires du monde, même si ceux-ci ne peuvent rien apporter au pays. Le cas de plusieurs accords de coopération signés ça et là avec des pays comme, le Kosovo, la Malaisie, etc. dont les fruits vantés par cette coopération restent encore en rade. La méthode diplomatique du Togo est qualifiée par les critiques austères de ‘’diplomatie fourre-tout.’’

Un expert béninois en relations internationales dont le pays a décidé, avec le Président Talon de fermer les ambassades et représentations diplomatiques budgétivores et non productives, a qualifié la stratégie Dussey de ‘’diplomatie de quantité plutôt que de qualité.’’Le Chef de l’Etat ne s’en plaint en tout cas pas.

En effet, depuis 2017, année de la montée en puissance de l’opposition à travers une crise politique, la diplomatie togolaise a perdu des plumes. La consécration de Faure Gnassingbé du quatrième mandat avec son cortège de violences politiques et d’interpellation de ses opposants ont sûrement affecté le plaidoyer du ministre togolais dans son art de reconnaître les faiblesses du système politique et de promettre d’améliorer grâce à l’aide des partenaires. Plus récemment en 2020, les contestations de l’élection présidentielle et les scandales internationaux du genre l’espionnage de ses opposants avec le logiciel israélien Pégasus ou encore l’affaire du bradage du port de Lomé à Bolloré contre une campagne électorale ont donné du fil à retordre au Togo dans ses relations internationales.Il faudrait donc redoubler d’efforts, expliquer les insuffisances politiques afin d’amener l’opinion internationale à faire confiance au Togo et croire que les engagements démocratiques ne sont pas que de la poudre aux yeux.

Englué dans des contradictions

Il y a encore quelques années, le relations entre le Togo et l’Allemagne s’étaient réchauffées. Le règne de l’Union Chrétienne Démocrate parti de l’ancienne chancelière Angela Merkel avait favorisé la tolérance du régime togolais par l’Etat Allemand sur certaines exigences démocratiques. Le Chef de l’Etat togolais a multiplié des visites en territoire allemand dans la foulée de la facilitation des courants chrétiens auxquels appartenait son ministre des affaires étrangères. L’Allemagne, l’aile dure de la suspension historique de la coopération d’avec le Togo avait donc renoué avec son ancienne colonie. Mais depuis l’arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates et la prise de pouvoir par Olaf Scholz, le nouveau chancelier, la température a baissé. Des indiscrétions ont fait état des tentatives infructueuses de réchauffement des relations avec l’Allemagne. Elles ne sont pas au beau fixe comme il y a quelques années en tout cas. Du côté des Etats Unis d’Amérique, l’arrivée au pouvoir de Joe Biden a aussi coupé les ponts. Le ministre des affaires étrangères s’était vanté, on se rappelle, d’être le premier des ministres africains à rencontrer Rex Tillerson, secrétaire d’Etat sous Donald Trump. Mais le contact tarde à s’établir avec Anthony Blinken le nouveau secrétaire d’Etat américain depuis l’arrivée des démocrates à la tête des Etats Unis d’Amérique. Du coup, du côté de l’Allemagne comme des Etats Unis, il y a d’ores et déjà du flottement dans les relations sur la base des exigences démocratiques de courants de gauche au pouvoir. La fragilité actuelle de la France dans son influence en Afrique de l’Ouest a semblé émousser la propension des autorités togolaises à s’approprier le soutien français. Surtout que le jeu d’influence mené par le Togo ne semble pas mettre en confiance l’Elysée. Malgré la visite obtenue à l’Elysée par Faure Gnassingbé, les portes de Macron ne sont pas largement ouvertes au Togo. Le Président Macron déjà occupé sur le front des contestations internes en France au-delà d’un second mandat qu’il vient d’obtenir, a plutôt du pain sur la planche avec le casse-tête malien, les coups d’Etat répétitifs en Afrique de l’ouest et la montée en puissance des courants panafricanistes. Donc, le Togo, quoique stratégiquement positionné sur certaines questions géopolitiques n’est pas en très bonne posture avec une France éprouvée par la recherche des solutions pour l’arrêt de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Sur ce plan donc, le Togo passe au dernier plan.

Les paradoxes de la diplomatie togolaise.

Les autorités de la transition malienne n’ont sans doute pas effectué le premier pas à solliciter le Togo pour les rapprocher de la communauté internationale. C’est l’insistance zelatrice des fréquentations suspectes de la junte malienne par Lomé depuis le coup d’Etat et les prises de positions ambiguës des autorités togolaises qui ont fini par persuader le Président Assimi Goita et ses lieutenants à faire confiance au Togo. En diplomatie comme en politique internationale, il y a des signes qui ne trompent pas. Le pouvoir togolais, dans sa position actuelle partage-t-elle avec le Mali les offensives montant en crescendo contre la France et la CEDEAO ? Dans le cas échéant, cela ne devrait pas réjouir la France, si de plus en plus, le Mali pousse le bouchon en éloignant davantage la France et ses intérêts. Dans la vie courante comme en politique, l’ami de mon ennemi est mon ennemi. Ou bien le Togo est en train de jouer à un jeu subtil de conciliation factice en tentant de plaire à tout le monde à la fois afin de tirer les marrons du feu pour satisfaire son désir de redorer le blason, ou bien le pays de Faure Gnassingbé s’engage dans une aventure périlleuse dont il est le seul à maîtriser les retombées. Dans tous les cas, la médiation dans la crise malienne est plus complexe qu’on ne le pense. Puisque, dans la foulée, le Togo sera confronté à la difficulté de trouver une place au médiateur nigérian de la CEDEAO, l’ancien président Goodluck Jonathan, affronter le sentiment d’hostilité du Mali à l’endroit du président ivoirien Alassane Ouattara, rassurer le président en exercice de la CEDEAO, le ghanéen Nana Akufo Addoh dans son aveu d’échec de la gestion de la crise, convaincre le Chef de l’Etat nigérien Mohamed Bazoum dans son influence au sahel et rassurer la France de voir restaurer son image écorchée dans l’émergence des courants panafricanistes avant de prétendre maîtriser cette médiation. Ce n’est donc pas un jeu de quille. Le Togo a donc du boulot.

Erdogan, ou le rapprochement controversé.

L’autre faiblesse, présentée par des analystes politiques observateurs de l’action diplomatique du Togo comme une maladresse est le tapis rouge dressé par l’exécutif togolais au Président turc. C’est sous les couleurs nationales meublées d’affiches décoratives exprimant l’atmosphère de complicité que Recep Tayyip Erdogan, le Président de la Turquie a été accueilli par Faure Gnassingbé à Lomé. Pour donner la solennité à l’évènement, l’exécutif togolais a jugé bon d’organiser un mini-sommet de quatre chefs d’Etats. Georges Weah du Libéria et Roch Christian Kaboré, (Chef d’Etat burkinabè récemment classé dans le trombinoscope de chefs d’Etat déposés par les militaires) souriaient dans une ambiance narquoise et détendue dans les jardins de la présidence togolaise comme pour se moquer des sanctions infligées par la communauté internationale à la Turquie.

L’union européenne et les Etats unis reprochent à la Turquie non seulement la traque de ses opposants jugés proches de l’occident, mais aussi et surtout les offensives turques menées contre les partisans du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).Les opérations militaires et les raids réguliers menés par Ankara contre les positions kurdes sont dénoncés par l’Europe et suivies de sanctions. C’est ce moment que le Togo a choisi pour réserver un accueil des plus chaleureux à celui qui est présenté par l’occident comme un dictateur. Sans doute que cet acte diplomatique jugé par les uns et les autres comme une défiance à l’occident ne serait pas bien accueilli à l’Union Européenne, dont la France et aux Etats Unis.

On comprend donc pourquoi le Président Burkinabè, hôte du fameux mini-sommet a été déposé par un coup d’Etat militaire au lendemain de cette visite togolaise alors que dans la foulée, le Togo accueille ses premières attaques djihadistes, une première dans l’histoire de ce pays considéré comme épargné par les terroristes. Le rapprochement du Togo avec la Turquie de Erdogan, s’il n’a pas créé un isolement stratégique du Togo sur le plan international a nourri une attitude de méfiance vis-à-vis du pays depuis octobre 2021 date de la visite de Recep Tayyip Erdogan.

Cette méfiance a d’autant sa raison d’être avec les accords militaires animés par les généraux togolais dépêchés à Ankara au grand dam de l’occident. Du coup, voyant les chances d’une existence diplomatique s’amenuiser, le régime togolais s’évertue à s’inviter dans les dossiers de médiation dans le paradoxe de satisfaire et les parias de la diplomatie et la communauté internationale.

Situation nationale, facteur limitant.

Interrogée sur RFI, la coordinatrice de la Dynamique Kpodzro, l’opposante Kafui Adjamagbo Johnson a sévèrement critiqué la décision de la junte d’opter pour le Togo de créer la conciliation entre les autorités militaires maliennes et la communauté internationale. Pour l’opposante, le pouvoir de Lomé ne saurait être qualifié à mener cette médiation en raison des multiples violations des droits de l’homme, des libertés et de la traque systématique de son opposition. Même son de cloche dans l’opinion togolaise et la diaspora : ‘’balayez devant votre maison avant de vous préoccuper de la propreté chez le voisin’’ lance une activiste du Mouvement Pyramide, plateforme d’opposition au Togo.Les autres acteurs des forces démocratiques au Togo interrogés ont préféré garder le silence pour voir comment le Togo pourrait réussir là où toute une communauté internationale est mise à l’épreuve de l’intransigeance et de la témérité des officiers de la junte au pouvoir au Mali.Quant au Chef de la diplomatie togolaise, il suit son chemin. Se frayer passage pour atteindre le sommet, pourquoi pas, se voir propulser à la tête d’une organisation internationale comme un Gilbert Houngbo, cet ancien Premier ministre togolais élu récemment à la tête de l’Organisation Internationale du Travail. Le philosophe joue ses cartes.

Carlos KETOHOU

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