Africa-Press – Togo. Quelle mouche a donc soudainement piqué Nathaniel Olympio ce 18 mai, cet acteur politique généralement lisse et sans aspérité dans ses sorties? Pourquoi affirme-t-il avec force que Jean-Pierre Fabre est « devenu un obstacle à la lutte »?
Tout est parti d’une vidéo que le premier porte-parole du front « Touche Pas A Ma Constitution » a postée sur ses réseaux sociaux. Dans cette sortie, il revient sur son refus de participer aux élections qu’il juge contre-productives à la lutte. Rien de nouveau, c’est là une position qu’il défend depuis une dizaine d’années. On connait la constance et la cohérence politique de l’homme.
Curieusement, cette fois-ci cette vidéo a suscité une vive réaction sur X (ex-Twitter) de la part d’Eric Dupuy, conseiller spécial du président national de l’Alliance Nationale du Changement (ANC). Visiblement courroucé, le conseiller répond au post de la vidéo en écrivant: « Pour prendre part aux élections, il faut avoir un parti… » Egratigné, Nathaniel Olympio rétorque du tac au tac: « Ça, c’est méconnaitre la loi. Même les indépendants participent aux élections. »
Tout pouvait s’arrêter là. Mais la suite montre que le premier porte-parole du front « Touche Pas A Ma Constitution » a trouvé là, l’occasion offerte par Eric Dupuy de mettre le pied dans le plat, une ligne qu’il n’avait jamais franchie. Était-il excédé? Quoi qu’il en soit, il pond un texte au vitriol qu’il poste sur ses comptes X et Facebook. Un véritable scud dont la cible n’est pas Eric Depuy, mais son patron Jean-Pierre Fabre ; le Président National de l’ANC. Ce qui pouvait être une passe d’armes isolée prend la tournure d’une affaire politique.
Pour comprendre les raisons de cette déclaration incisive du porte-parole, il faut retourner au 3è congrès ordinaire de l’ANC qui s’est tenu la veille. Dans son discours d’ouverture, le Président National de l’ANC déclare: « Chers camarades, le système RTP/UNIR prospère sur nos querelles. » Un bout de phrase qui a servi d’amorce à la critique acerbe de Nathaniel Olympio qui écrit sur X:
« Au congrès de l’ANC ce samedi, Jean-Pierre Fabre déclare: ‘’Chers camarades, le système RTP/UNIR prospère sur nos querelles.’’ Seulement sur les querelles? Je pense plutôt que c’est essentiellement sur le mauvais leadership de l’opposition. Jean-Pierre Fabre, qui a longtemps combattu le régime, est devenu un obstacle à la lutte à cause de l’incohérence de ses choix et la poursuite d’intérêts partisans au détriment de l’intérêt général. » Il tague le compte d’Eric Dupuy, @anctg.
Depuis la mise en place du front « Touche Pas A Ma Constitution », son premier porte-parole a toujours mis en avant la nécessité de changer de leadership, c’est-à-dire la manière de conduire la lutte, explique-t-il. Dans sa critique contre Jean-Pierre Fabre, Nathaniel Olympio met en relief deux raisons: l’incohérence, d’une part, la poursuite d’intérêts partisans au détriment de l’intérêt général, d’autre part.
Y a-t-il une réalité derrière ces accusations?
Faisons un saut en arrière. Mars 2015. Nous sommes en pleine effervescence de la campagne présidentielle. Le Parti des Togolais venait de faire son entrée tonitruante sur la scène politique, en organisant un congrès qui remplit au 3/4 le stade de Kégué qui offre 25 000 places. Une première pour un parti d’opposition. Alberto Olympio, alors Président du parti, se porte candidat. C’est un spécialiste des bases de données informatiques. Il décortique le fichier électoral et prouve que le fichier est corrompu. Il présente ses résultats lors d’une conférence publique à Lomé. Intervient alors l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui fait une évaluation du fichier et arrive aux mêmes conclusions qu’Alberto Olympio. Le régime est pris la main dans le sac. Il faut souligner que le contexte était très électrique à l’époque, c’était l’élection du 3è mandat de Faure Gnassingbé, après une modification de la Constitution. Le Président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire a dû jouer le médiateur.
Alors qu’on pouvait penser que la confirmation de l’OIF conduirait à une refonte du fichier électoral, le plus grand parti d’opposition du moment, celui de Jean-Pierre Fabre, annonce une position devenue célèbre « Le fichier n’est pas fiable, mais il est consensuel », douchant ainsi les possibilités d’actions de l’opposition contre le fichier. Ce qui a conduit Alberto Olympio à se retirer de la course présidentielle. Au Parti des Togolais, on n’a jamais digéré cette sortie du président de l’ANC.
Deux ans plus tard, Tikpi Atchadam crée le remous dans le pays avec le Parti National Panafricain (PNP) qui organise dans l’ensemble du pays des manifestations très réprimées, ce qui donne naissance à la coalition C14, regroupant les partis d’opposition. Alors qu’à l’unanimité de la conférence des présidents la décision est prise au sein de la C14 de faire les manifestations sans afficher les couleurs politiques, les militants de Jean-Pierre Fabre portent le T-shirt de leur parti durant les manifestations. Cette attitude a également déplu aux autres formations politiques de l’opposition.
On arrive en 2024. Le parti au pouvoir remplace la Constitution sans consulter le peuple, en pleine campagne électorale des législatives et des régionales. L’opposition est vent debout. L’ANC participe aux élections d’avril 2024. Jean-Pierre Fabre devient le seul député de son parti. Il refuse de siéger à l’Assemblée nationale pour ne pas cautionner la Vème République, motive-t-il. Puis viennent les élections sénatoriales. L’ANC refuse cette fois-ci d’y participer, au motif de ne pas contribuer à l’installation des institutions de cette nouvelle République. Ce qui crée de profondes turbulences au sein du parti. S’en suit les élections municipales prévues pour le 10 juillet prochain. Nouveau rebondissement, l’ANC décide de participer à ces élections-là, bien que sous l’égide de la nouvelle Constitution de la Vème République qu’elle conteste.
Pour Nathaniel Olympio, la conclusion est claire. Les positions de Jean-Pierre Fabre sont incohérentes et en s’évertuant à défendre les couleurs de son parti aux élections, le président national de l’ANC défend des intérêts partisans. Pour le porte-parole du front « Touche Pas A Ma Constitution », l’intérêt général ne peut être que de se battre pour la fin du régime.
La question se pose. Sommes-nous en présence d’une profonde divergence de stratégie entre Jean-Pierre Fabre et Nathaniel Olympio, ou s’agit-t-il d’une guerre de leadership? A quelques semaines des municipales, le décor est planté et chacun défend ses positions, mais toujours est-il que le fossé se creuse entre l’un, qui prône la participation aux élections et l’autre, qui clame l’illégitimité d’un jeu pipé d’avance. Chacun brandit sa méthode comme l’unique voie vers la fin d’une dictature profondément enracinée depuis plusieurs décennies.
Mais au fond, qui a raison?
La voie des urnes est-elle encore une option crédible ou un mirage entretenu? La réponse viendra peut-être du score du parti Orange, et surtout, des retombées concrètes pour les citoyens. Ce sera le véritable baromètre – ou peut-être même un tournant décisif.
Car, derrière cette guerre des stratégies se cache une autre bataille, plus profonde: celle de l’incarnation crédible de l’alternative au sein d’une opposition togolaise en quête d’un nouveau cap.
Source: Ben Laté/ Liberté N°4012 du lundi 26 mai 2025
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