Assurance maladie universelle au Togo, un excellent programme mais ça va mettre du temps à se mettre en place

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Assurance maladie universelle au Togo, un excellent programme mais ça va mettre du temps à se mettre en place
Assurance maladie universelle au Togo, un excellent programme mais ça va mettre du temps à se mettre en place

Africa-Press – Togo. L’assurance maladie universelle est sans doute la réforme sociale la plus importante de gouvernement depuis notre indépendance. Si elle devient opérationnelle, elle va régler l’un des problèmes qui préoccupent le plus les Togolais, à savoir la prise en charge des soins de santé. Les dépenses de santé appauvrissent les Togolais et le manque de ressources financières envoient à la mort des milliers de compatriotes chaque année. C’est donc un bon programme.

Je suis même surpris que ni le gouvernement, ni le parti au pouvoir n’en fasse pas l’objet central de leur communication. De toutes les façons, ni le gouvernement ni le parti au pouvoir n’ont une communication proactive. Même les choses qu’ils font bien, ils ne savent pas en parler et le vendre. Si j’étais aux affaires, tous les Togolais à cette heure devraient savoir ce c’est sait que l’assurance maladie universelle. Bref, revenons à nos moutons.

L’assurance maladie universelle vise à garantir à toute la population togolaise l’accès aux soins de santé essentiels. En gros, étendre les services de l’inam (8% de la population) à toute la population.

C’est un système basé sur la solidarité nationale avec deux régimes. Le régime de l’assurance maladie obligatoire (Ramo) où les assurés (fonctionnaires, travailleurs dans les institutions publiques, salariés et pensionnaires du secteur privé, travailleurs indépendants du secteur informel et agricole) cotisent obligatoirement pour la prise en charge de leurs soins de santé, mais ces cotisations couvrent aussi les bénéficiaires du Régime d’assistance médicale (Ram) constitués des personnes vulnérables. L’état, les collectivités territoriales et d’autres partenaires complètent les ressources de l’organisme de gestion de l’amu. La banque mondiale a déjà promis 70 milliards de francs pour lancer le programme.

Comme je l’ai dit, c’est un bon mécanisme qui va offrir, à terme, aux Togolais une protection efficace contre les risques financiers liés aux maladies. La phase des cotisations commence le 1er janvier 2024 et les prestations commencent le 1er avril (ou bien c’est poisson d’avril ?)

J’ai plusieurs réserves sur le projet, mais je vais me limiter à 5. Je vais de toutes les façons envoyer une interpellation parlementaire au gouvernement, sur un certain nombre d’inquiétudes.

1. La faible implication des députés à la phase opérationnelle de cette loi, à savoir les décrets d’application. Sur une loi de 106 articles, il y a 27 alinéas qui renvoient à des décrets d’application. Tout ceci est certes légal, sauf que les décrets ne passant plus à l’assemblée nationale, les députés ne sont plus informés de la mise en œuvre effective des lois qu’ils votent. Nous avons à plusieurs reprises émis le vœu que les lois soient votées avec leurs décrets d’application, sans succès. Je me souviens qu’à l’adoption de la loi sur l’assurance maladie universelle, je m’étais ému du trop grand nombre de renvois aux décrets d’application. Les députés finissent par adopter des textes minimalistes, dont le corps est finalement façonné par voie réglementaire. Ceci n’est pas bien, quoique légal. Au pire des cas, que le gouvernement organise des séances d’information au profit des députés avant l’adoption des décrets, pour recevoir nos observations (ceci devrait être possible. Non ? ). Je suis par exemple certain que peu de députés ont simplement lu les décrets d’application pris par le gouvernement dans le cadre des la mise en œuvre de cette loi. L’un fixe le panier de soins de référence pour les salariés des secteurs public et privé, le second les taux, montants et modalités de recouvrement des cotisations sociales et le troisième encadre le cadre contractuel entre les organismes de gestion de l’AMU et les organismes gestionnaires délégués. Il reste encore une vingtaine de décrets. Il se trouve que si la mise en œuvre de cette loi a des ratés, on dira que c’est la faute aux députés. Il faut trouver le moyen de régler ce décalage.

2. Les taux me paraissent excessifs pour la période, vu le contexte, pour le secteur privé. Pour les fonctionnaires, la situation reste inchangée car ils étaient déjà à l’inam pour l’assurance maladie. Le privé lui, payait déjà pour la sécurité sociale: 21,5% du salaire de l’employé (on va faire simple) à raison de 17,5% pour l’employeur, et 4% pour l’employé. Les cotisations pour l’amu vont ajouter 10% de contribution supplémentaire, à partager entre l’employeur (5% minimum) et l’employé (5% maximum). Les cotisations passent donc à 31,5 % du salaire. Si on considère que la valorisation du smig ne s’est pas accompagnée de mesures d’accompagnement, les entreprises auront du mal à suivre. Prenons une entreprise qui employait 10 personnes payées au smig à 35000 f avant 2023, soit une masse salariale de 350 000f. Elle versait à la cnss des cotisations mensuelle de 61250f en part patronale, et 14 000f pour les employés, soit 75250f, ( 1400f par employé). Dans nos petites sociétés, on prend souvent tout en charge, pour éviter les plaintes quotidiennes. Avec la revalorisation du smig, la masse salariale est passée à 522500 f, soit une hausse de 34%, sans mesures d’accompagnement. La cotisation patronale pour les 10 employés est donc passée à 91440f et 2090f pour chaque employé. Avec les 10% supplémentaires de l’amu, la cotisation du salarié va donc passer à 9% et celle patronale à 22,5%. Dans notre exemple, le salarié qui est au smig va donc payer 4700f contre 2090f, et l’employeur va payer pour ses 10 salariés 117 560f, contre 61250d en 2022, soit une hausse de 47 %.

Il quitte donc des charges partielles (salaires plus cotisations sociales ) de 411 200f avec le smig à 35000f, pour 640 060f en 2024 , soit une différence de 228 860f. Comme il est déjà au smig, il ne peut pas baisser les salaires. Sauf si son chiffre d’affaire augmente, il va donc virér au minimum 3 de ses employés, pour rester dans ses charges initiales. Quand on considère qu’on sort d’une période de Covid-19 compliquée, je crois qu’on doit davantage discuter pour ne pas avoir d’effet inverse à l’objectif recherché, à savoir une mise au chômage pour raisons économiques de salariés pour se conformer à la loi.

3. Un manque de pragmatisme. Le code de travail adopté en 2021 faisait obligation aux entreprises de souscrire à des polices d’assurance maladie aux employés. Ce que les entreprises ont fait, en prenant tout en charge, et souvent pour des cotisations allant de 3 à 5% des salaires, avec des prestations rapides et efficaces, à l’opposé de l’usine à gaz que constitue l’inam. Ce bel équilibre va être rompu car d’après ce que j’ai compris, c’est la cnss qui va se charger de l’assurance maladie des employés du secteur privé. Ce n’était pas son domaine. Va-t-elle dupliquer les process de l’inam qui sont si décriés, ou dupliquer ses propres process, qui n’étaient pas destinés à l’assurance maladie. Je sais qu’on veut une contribution solidaire, mais on aurait dû prévoir un système de complémentarité.

Par ailleurs, si la mise en œuvre n’est pas inclusive, des assureurs vont grincer les dents en cas de non sélection. Ce n’est pas forcément bon. Des employeurs généreux vont conserver leur police initiale, pour plus d’efficacité. Encore des charges supplémentaires.

4. Peu d’informations sur les cotisations des travailleurs indépendants des secteurs informels et agricoles. L’inam et la cnss ont déjà leur base de données et peuvent commencer à par majorer les 10 % de cotisation obligatoire (cnss) , mais le gros des troupes, c’est le secteur informel et agricole. Quel est leur effectif ? et quel est le montant du forfait qu’ils sont supposés payer ? Les décrets restent muets sur le sujet. Sachant que 60 % de la population togolaise travaille dans le secteur primaire, si en avril ces 60 % ne sont pas intégrés dans l’amu, on aura rien fait. L’inam c’était 8% de la population, j’estime que les salariés et pensionnaires de secteur privé font maximum 10 % de la population (si vous avez les données réelles, je suis preneur). Donc les 82 %, c’est le secteur informel, agricole et les personnes vulnérables. S’ils ne sont pas dedans, ce n’est pas universel.

5. Pas d’informations sur les personnes vulnérables. Ces personnes sont soumises au régime d’assistance médicale, donc elles ne paient pas mais bénéficient des prestations. Quel est leur effectif ? Il est dit qu’elles participent aux prestations, mais suivant quelles modalités, on ne le sait pas. Ces informations sont capitales.

Conclusion. L’assurance maladie reste une reforme sociale importante, mais nous ne serons pas, de mon point de vue, prêts au mois d’avril pour la rendre universelle. En avril, elle sera uniquement disponible pour les fonctionnaires et les employés du secteur privé. Ce qui normalement est déjà le cas actuellement puisque les entreprises ont obligation de souscrire à une police d’assurance pour les employés.

Ma proposition est plutôt de cibler quelques communes pur une phase pilote. Sur une ou deux années, le temps de finaliser les insuffisances que j’ai relevées. Mais il n’y a pas que moi. Beaucoup de personnes que j’ai contactées ont d’autres observations légitimes. Le patronat et les syndicats ont-ils suffisamment été impliqués, je n’en sait rien. Si le débat était revenu à l’assemblée, on aurait posé toutes ces questions.

Gerry Taama

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