Africa-Press – Togo. En 2024, le centre de neuro-imagerie cérébrale par résonance magnétique nucléaire Neurospin du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a dévoilé les premières images cérébrales obtenues avec Iseult, son IRM à 11,7 teslas, le plus puissant au monde destiné à l’imagerie chez l’humain. De quoi dévoiler le cerveau avec une précision jamais vue, et améliorer la compréhension de certaines maladies neurodégénératives.
Des avancées fondamentales qui ne concernent pourtant que les adultes. « Passer chez l’enfant demande un effort supplémentaire », explique David Germanaud, neuropédiatre à l’Institut Robert Debré du Cerveau de l’Enfant et chercheur au CEA à Neurospin. Lui et son équipe ont décidé de relever ce défi, en adaptant l’utilisation de l’IRM 7T (teslas) au cerveau en développement. Au printemps 2025, les premières images cérébrales ont été obtenues sur six enfants de 6 à 12 ans, une première en France.
Observer les structures les plus fines
L’IRM 7T existe pour un usage expérimental depuis le début des années 2000. Pratiquée chez l’adulte de manière limitée en clinique depuis 2017 à Poitiers, Marseille et Paris, son utilisation chez l’enfant en est à ses balbutiements, puisque seules trois équipes de recherche ont déjà tenté l’expérience dans le monde. « L’IRM à 7 teslas nous permet de voir les détails fins du cerveau en développement, sa vascularisation, le métabolisme cérébral, toutes ces structures qu’on devine avec l’IRM à 1,5 ou 3T », précise David Germanaud, aussi responsable de l’unité de neuro-imagerie appliquée de NeuroSpin.
Ces innovations ont été effectuées dans le cadre d’un projet de recherche qu’il mène avec Jessica Dubois, chercheuse au CEA et à l’Inserm. Les chercheurs ont visé deux pathologies pour lesquelles augmenter la précision des images pourrait être bénéfique. Le premier groupe est composé d’enfants atteints d’épilepsie focale. Dans ce type d’épilepsie, les crises ne sont pas généralisées, mais proviennent de zones spécifiques du cerveau. « L’IRM 7T permet de voir des structures plus fines, comme de toutes petites lésions responsables de l’épilepsie focale ».
À gauche: IRM d’un cervelet sain à l’IRM 1,5T / À droite: IRM d’un cervelet à l’IRM 7T. Crédit: CEA / Sciences et Avenir.
L’utilisation de l’IRM 7T pourrait permettre de détecter rapidement ces petites malformations et ainsi bénéficier d’une intervention chirurgicale curatrice. Le deuxième groupe est composé d’enfants atteints du syndrome d’alcoolémie fœtale, un trouble du développement lié à une exposition à l’alcool pendant la grossesse. Ce syndrome entraine une malformation du cervelet provoquant des troubles moteurs, de l’équilibre, et des difficultés cognitives liées au langage et à l’apprentissage. Ces deux groupes seront comparés à un troisième composé d’enfants au développement typique.
Les images obtenues permettront également d’étudier le développement du cervelet, aussi appelé « petit cerveau », une région située à l’arrière du cerveau, qui coordonne les mouvements, l’équilibre et participe aussi à certaines fonctions cognitives. Mais avant cela, les chercheurs ont dû établir tout un protocole pour adapter l’usage de cette technologie de pointe à l’enfant de 6 à 12 ans, une étape cruciale, qui a pris plusieurs années.
Plus de puissance pour plus de précision
L’IRM à 7 teslas 3,5 fois plus fort qu’en examen clinique. Les IRM utilisées en routine, quel que soit l’âge, ont un champ magnétique compris entre 1,5 et 3 teslas (unité utilisée pour quantifier l’intensité du champ magnétique, nommée en l’honneur du physicien Nikola Tesla). Si ces puissances sont suffisantes pour beaucoup de diagnostics cliniques, elles ne permettent pas de résoudre certaines énigmes du neurodéveloppement.
C’est le cas par exemple avec le syndrome d’alcoolisation fœtale, « chez les enfants concernés, très affectés dans leur fonctionnement cognitif et dont le cervelet est trop petit, nous avons montré que les régions du cervelet les plus atteintes étaient des plutôt impliquées dans le fonctionnement moteur, explique David Germanaud. Aujourd’hui, l’IRM à 3 teslas ne nous permet pas d’explorer efficacement ce paradoxe neurodéveloppemental, alors nous nous tournons vers le 7T pour avancer ».
TECHNIQUE. Une IRM est une technique d’imagerie médicale qui utilise un champ magnétique et des ondes radio pour obtenir des images détaillées de l’intérieur du corps, sans utiliser de rayons X. Pour cela, le patient entre dans un scanner IRM, une sorte de tunnel équipé d’un aimant très puissant et d’antennes radio, qui captent le signal des protons et le transforment en images. En IRM, on parle des protons, des atomes d’hydrogène présents en grande quantité dans le corps, surtout dans l’eau et les graisses. Ces protons ont une propriété magnétique qui les rend sensibles au champ magnétique puissant de l’IRM. Quand on leur envoie des ondes radio, ils « résonnent » et renvoient un signal que la machine capte pour créer des images détaillées des tissus.
L’imagerie à très haut champ magnétique appliquée au cerveau en développement est tout d’abord une avancée en neurosciences fondamentales et cognitives. Plus la puissance du champ magnétique est élevée, plus l’image gagne en précision et offre une meilleure compréhension du cerveau et ses connexions. Augmenter la puissance du champ magnétique aligne plus de protons dans la direction de ce champ. Un meilleur signal accentue certaines différences entre les tissus, ce qui peut améliorer le contraste sur les images IRM, et permettre de mieux distinguer chaque tissu.
Mais jusqu’ici, l’IRM à 7 teslas était inutilisable chez l’enfant, car la distribution du champ magnétique dépend du poids et de la taille du patient. « Lorsque le premier IRM 7T a été approuvé pour un usage clinique, en 2017, le fait de peser moins de 30 kg était un critère d’exclusion », explique Vincent Gras, ingénieur-chercheur à Neurospin en charge de l’IRM à 7 teslas.
« Nous voulions offrir à l’enfant ce que la recherche permet déjà à l’adulte »
Plusieurs adaptations techniques ont été nécessaires pour adapter l’outil à l’enfant et répondre à des normes de sécurité très strictes. Quand on utilise un champ magnétique plus fort, il faut des ondes radio à une fréquence plus élevée. À fréquence plus élevée, celles-ci ont tendance à être plus énergétiques et sont mieux absorbées par le corps. Vincent Gras et son équipe ont dû « tout reprogrammer » pour que cette fréquence ne dépasse pas les seuils imposés, et obtenir l’autorisation de l’ANSM.
« Les enfants bougent beaucoup, affirme le Dr David Germanaud. Il a donc fallu s’assurer de respecter les normes, mais aussi les contraintes des enfants pour avoir des images exploitables ». Pendant une IRM, il faut rester immobile pendant que la machine prend des images très précises, sinon le signal varie et comme lorsqu’on prend une photo, et « il y a du brouillard sur l’image ».
Pour cela, l’équipe a fait en sorte de réduire le temps d’acquisition de chaque type d’image à moins de 5 à 6 minutes, pour une dizaine de minutes chez un adulte. Pour faire passer le temps plus vite, rien de tel que de faire partir l’enfant à l’aventure. « Avec les enfants, on joue à l’astronaute du cerveau », s’amuse le neuropédiatre. Manettes en mains, l’enfant entre dans le tunnel pour découvrir son cerveau.
« Nous voulions offrir à l’enfant ce que la recherche permet déjà à l’adulte », ajoute Vincent Gras. L’appareil 7T a été installé en 2008 au laboratoire Neurospin, entre protocole technique et recherche de financement, la route fut longue pour David Germanaud « contrairement à ce qu’on pourrait penser, la recherche en santé sur les enfants est loin d’être la plus financée, car ce n’est pas celle qui rapporte le plus », regrette-t-il.
L’importance d’une imagerie individuelle dans les troubles du neurodéveloppement
L’obtention de ces images pourrait apporter des réponses à des questions que les chercheurs n’ont pas envisagées. « Peut-être qu’on n’a pas les bonnes lunettes », s’interroge Jessica Dubois, qui espère par exemple observer la façon dont le cerveau « élague » les synapses, les connexions entre neurones, jugées peu efficaces au cours du développement.
Mais la puissance du champ magnétique ne fait pas tout. « Bien sûr qu’on envisage des images cérébrales de cerveau d’enfants avec l’IRM à 11,7 teslas, admet David Germanaud. Mais encore faut-il que cela apporte réellement quelque chose ». L’imagerie ne permet pas de surmonter une problématique majeure « et insupportable » pour le neuropédiatre dans l’étude des troubles du neurodéveloppement: le décalage entre ce qu’on voit à l’image et l’état du patient.
« Chez la plupart des enfants avec des troubles du spectre de l’autisme sévères, l’imagerie la plus nette ne montrera rien qui cloche, pourtant l’enfant va mal ». D’où l’importance, selon lui, de replacer la spécificité de l’individu dans la recherche sur le développement du cerveau, grâce à ces technologies. Car « même si on fait des grosses moyennes et des catégories bien utiles au classement des différents types de troubles, chaque cerveau se développe à sa propre manière. »
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press