Fonctions Compatibles: Président D’Assemblée et Gérant

1
Fonctions Compatibles: Président D'Assemblée et Gérant
Fonctions Compatibles: Président D'Assemblée et Gérant

Africa-Press – Togo. Il ressort des documents publiés sur internet et relayés sur les réseaux sociaux, que M. Kodjo Adédzé est associé de la Société civile immobilière dénommée AHOE qui sert de « Support juridique de patrimoine immobilier familial sans activité de location ». Les autres associés de cette société sont Marie-Claire Adédzé née Hounakey-Adele, épouse de M. Adédzé, et leurs quatre enfants vivant en France et au Canada.

Des documents divulgués, on apprend que Mme Marie-Claire Adédzé aurait acquis, auprès de la SCI Les Marguerites le 30 décembre 2024, un appartement T4 d’une valeur de 848.000 euros, soit 556.3 Millions de FCFA, au 5ème étage d’un immeuble sis au 27, Allée Robert Doisneau, 92100 Boulogne-Billancourt, en France.

Pour rappel, avant d’être élu député et Président de l’Assemblée nationale, M. Kodjo Adédzé, par ailleurs évangéliste, fondateur du groupe de prières et d’évangélisation « Salut & Joie » initiateur de la Journée Nationale de Reconnaissance à Dieu, a occupé d’importante fonctions dans l’administration douanière/fiscale et au sein du Gouvernement. L’honorable député a respectivement été inspecteur des douanes ; directeur des études et de la législation douanière ; directeur général des douanes et de commissaire des douanes et droits indirects ; commissaire général de l’Office Togolais des Recettes (OTR) ; Ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Consommation locale ; Ministre d’État, Ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière. Durant ses années au Gouvernement, l’homme a souvent fait l’objet d’allégations ou de soupçons de détournement de fonds publics, dans des affaires pour lesquelles il n’hésitait pas à mettre en branle l’outil répressif de la justice.

Généralités sur les incompatibilités

Dans le langage juridique, notamment en droit constitutionnel et en matière électorale, les incompatibilités désigne des interdictions faites au titulaire d’un mandat ou d’une fonction politique de le (de la) cumuler avec d’autres mandats ou fonctions déterminé(e)s. Ces interdictions, qui pèsent sur certaines autorités politiques, en l’occurrence les élus et les ministres, poursuivent un double objectif. Il s’agit, d’une part, de garantir la disponibilité du titulaire des charges politiques concerné à réaliser les missions qui relèvent de ses attributions sans que d’autres responsabilités ou d’autres fonctions spécifiques en compromettent l’exercice. Il s’agit, d’autre part, de protéger l’indépendance, l’impartialité, voire la neutralité, du titulaire desdites charges politiques en le mettant à l’abri du risque de conflit d’intérêts auxquels l’exposeraient l’exercice d’autres fonctions déterminées ou d’autres activités professionnelles publiques ou privés spécifiques, au cours de son mandat.

Les incompatibilités se démarquent des règles d’inéligibilité, qui font obstacle à la candidature de certains citoyens, les empêchant ainsi de briguer certains mandats. Les règles d’inéligibilité ont pour but d’éviter que les électeurs n’élisent des personnes qui se trouvent, de fait ou de droit, dans des situations telles qu’ils ne peuvent occuper des fonctions électives données, soit parce qu’ils en sont incapables, soit parce que, bien qu’en étant capables, ils en sont écartés en raison de certaines condamnations ou du fait des fonctions qu’ils exerçaient ou exercent. C’est le cas des mineurs, des majeurs incapables, des magistrats, des comptables publics, etc.

Les règles d’inéligibilités s’appliquent dès l’étape des candidatures et leur méconnaissance entraine le rejet du dossier ou, si la situation d’inéligibilité n’est révélée qu’après la proclamation des résultats ou encore si elle survient en cours de mandat, elle entache la régularité de l’élection et entraine la déchéance de l’élu ou, du moins, l’annulation de son élection. En revanche, les règles d’incompatibilité ne sont opposables qu’une fois que les résultats proclamés et lui laissent un délai déterminé pour procéder à un choix en vue de démissionner ou demander son placement dans une position spécialement si emploi public, et en cas de violation de ces prescriptions, il est déclaré démissionnaire d’office.

Sanction des incompatibilités en droit Togolais

En droit Togolais, les incompatibilités opposables aux députés sont encadrées par les articles 24 à 35 de l’ordonnance n° 2024-002/PR qui leur est consacrée et par les articles 194 à 205 de l’ordonnance n°2024-003/PR portant code électoral, toutes deux en date du 5 nov. 2024. Ils prévoient, la démission d’office d’un député ayant enfreint les règles d’incompatibilités. Cette sanction est prononcée, sans délai, par la Cour constitutionnelle, à la requête du bureau de l’Assemblée nationale ou du ministère public. De plus, l’article 34 de l’ordonnance n° 2024-002/PR et l’article 204 du nouveau Code électoral qui en constituent le soubassement, imposent aux députés une obligation de déclaration d’activités concernant aussi bien celles qu’ils exerçaient avant d’être élus ainsi que celles qu’ils décident d’exercer en cours de mandat, ceci pour permettre un contrôle quasi-permanent de compatibilité.

Il est, en outre, interdit à tout député de faire ou de laisser figurer son nom suivi de l’indication de sa qualité dans toute publicité relative à une entreprise financière, industrielle ou commerciale. Le député en situation d’incompatibilité, qui choisit de démissionner de son mandat parlementaire ou qui est déclaré démissionnaire, est remplacé par son suppléant (article 33 de l’ordonnance n° 2024-002/PR et article 203 du nouveau Code électoral).

Le député en situation d’incompatibilité, qui choisit de démissionner de son mandat parlementaire ou qui est déclaré démissionnaire, est remplacé par son suppléant. Sur ce point, il se pourrait que l’état du droit ait évolué. Puisqu’à peine l’ordonnance portant Code électoral publiée au journal officiel le 3 décembre 2024, le gouvernement avait aussitôt repris le chemin de la Cité OUA, le 19 décembre 2024, pour son solliciter l’avis des Sages sur une révision de cette ordonnance. N’ayant pas pu accéder à l’ordonnance modificative promulguée, en raison de son indisponibilité en ligne, nous nous rabattons sur le contenu qui en a été retranscris par la Cour constitutionnelle dans son Avis n°005/24 du 23 décembre 2024 (en ligne). On y remarque une différence sensible s’agissant du sort de la suppléance.

En effet, dans sa version initiale l’article 205 du nouveau Code électoral en date du disposait que « Dans tous les cas, lorsque cesse la cause d’incompatibilité, le député retrouve de plein droit ses fonctions ». Cette disposition permettait de rétablir un député dans ses fonctions dès lors qu’il n’était plus en situation d’incompatibilité, de sorte que la durée de la suppléance était tributaire de la durée de la situation d’incompatibilité du principal titulaire du mandat.

Conformément à l’Avis constitutionnel sus évoqué, l’article 205 du nouveau Codé électoral révisé dispose désormais que « Dans tous les cas, le candidat ayant remplacé, selon l’ordre sur la liste, un député démissionnaire pour cause d’incompatibilité, reste en fonction jusqu’à terme du mandat ». La fin de l’incompatibilité n’autorise plus le rétablissement de l’élu principal dans son mandat, ce qui protège le suppléant.

Analyse de la situation de M. Kodjo Adédzé

Il ressort des documents publiés que M. Adédzé, Président en exercice de l’Assemblée du Togo depuis mai ou juin 2024, est non seulement l’associé majoritaire et le bénéficiaire effectif de la SCI AHOE, mais on découvre qu’il est également le gérant de cette société créée depuis novembre 2024.

L’article 29 de l’0rdonnance n° 2024-002/PR du 05/11/2024 (tout comme l’article 199 du nouveau Code électoral) dispose que: « Sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions de chef d’entreprise, de président de conseil d’administration, d’administrateur, d’administrateur délégué, de directeur général, de directeur adjoint ou de gérant, exercées dans:les sociétés ayant exclusivement un objet financier et faisant publiquement appel à l’épargne et au crédit ;les sociétés et entreprises dont l’activité consiste principalement dans l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’Etat, d’une collectivité ou d’un établissement dont plus de la moitié du capital social est constitué de participations de sociétés ou d’entreprises ayant ces mêmes activités ;les établissements publics et entreprises placés sous le contrôle de l’Etat./ Il en est de même des fonctions de président directeur général ou de chefs d’entreprises et de sociétés privées ». L’alinéa 2 de l’article 29 pose ainsi une incompatible entre les fonctions de députés et celles de président directeur général ou de chefs d’entreprises et de sociétés privées. Cette catégorie d’incompatibilités, qui n’est pas la seule d’ailleurs, puisqu’il existe en existe plusieurs, s’applique également aux sénateurs (article 29 de l’ordonnance n° 2024 – 001/PR du 05/11/2024).

En parlant de président directeur général ou de chefs d’entreprise et de sociétés privées, l’alinéa 2 de l’article 29 fait également et implicitement référence au gérant de sociétés privées. Le gérant d’une société privée est pour la société ce que le chef est pour l’entreprise, à savoir un dirigeant social. Le gérant d’une société privée en est le chef, car il en détient les pouvoirs de direction et de contrôle, il en est le représentant légal. Il accompli les actes de gestion et prends toutes les décisions nécessaires à la réalisation de l’objet social. Il convient d’ajouter qu’en l’espèce, au vu des documents publiés, on remarque que les associés étaient initialement partis sur une logique de co-gérance M. Adédzé et l’une de ses filles qui vit en France, avant que cette option soit biffée que le Président en exercice de l’Assemblée du Togo soit désigné seul gérant. De plus, sur l’attestation d’immatriculation au registre national des entreprises en France, M. Adédzé est bel et bien désigné sous la qualité de « dirigeant et associé » de la SCI AHOE, il en est le chef. De surcroît, dans son dernier alinéa sur lequel nous fondons notre analyse, l’article 29 fait abstraction de l’objet social ; que cet objet soit civil ou commercial importe peu. Il en est de même concernant la situation géographique de l’entreprise ou de la société, puisque l’article 29 ne distingue pas selon que la société est implantée au Togo ou dans un autre pays.

Il en résulte qu’en droit togolais, un député de la nation, peut certes être associé d’une entreprise ou d’une société privée, mais il ne saurait d’aucune manière et en aucune façon en être le président directeur général ou le chef ou le gérant. Il n’est pas surabondant de noter, encore une fois, que cette incompatibilité s’applique pareillement aux sénateurs.

Incompatibilités touchant l’exécutif

Il est opportun de s’interroger sur ce qu’il en est de l’incompatibilité des fonctions de l’exécutif avec la direction des sociétés et entreprises privées. Sur ce point, les textes sont muets ou incomplets, sauf en ce qui concerne le président de la République pour lequel la nouvelle Constitution, votée sans consultation du Peuple, stipule en son article 36 alinéa 2, que cette fonction est « incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique élective, de tout emploi public et de toute activité professionnelle ». Le Président de la République ne saurait donc être dirigeant d’une société privée.

S’agissant des fonctions de présidents du conseil des ministres et des autres ministres, la nouvelle Constitution se contente de stipuler, en son article 53, que la « loi organique détermine les conditionsd’inéligibilité, le régime des incompatibilités, de cumul desfonctions publiques, électives ou de nomination ». Pour l’heure, la formulation et le positionnement de cet article dans la loi fondamentale ne permet pas de dire si la loi organique à laquelle qui y est annoncée concernera uniquement le président du conseil des ministres ou si elle traitera aussi, dans le même ensemble, de tous les membres du gouvernement. Or, dans la Constitution de 1992 révisée, le constituant avait pris le temps de fixé la règle lui-même sans renvoyer à une loi organique, en stipulant à l’alinéa 2 de son article 76 que « Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et tout emploi privé ou public, civil ou militaire ou de toute autre activité professionnelle ».

Conclusion

En sommes, selon nous, en vertu des dispositions de l’article 29 de l’ordonnance relatif aux députés et de l’article 199 du nouveau Code électoral, les fonctions de Président de l’Assemblée nationale de M. Adédzé sont incompatibles avec ses fonctions de gérant de la SCI AHOE. Si on s’accorde sur cette analyse, il faudrait alors en tirer les conséquences qui s’impose…

Au demeurant, la question de l’origine des fonds qui ont servi à l’acquisition de l’appartement de l’épouse de M. ADEDZE, reste entière. Tout comme la question du circuit financier par lequel ces fonds ont transité pour aller en France. D’ailleurs, nonobstant le fait que l’épouse commerçante de notre président de l’Assemblée nationale ait acquis cet appartement sous son nom de jeune fille, ce bien tombe dans la propriété commune et est aussi la propriété de M. Adédzé en raison du fait qu’ils sont mariés sous le régime de la communauté de biens.

Car, s’il est vrai qu’une SCI peut être créée sans patrimoine immobilier, il n’en demeure pas moins que les fonds qui doivent servir à la création de cette société tout comme à la constitution de son patrimoine immobilier doivent être légalement acquis par les associés et que sa gérance soit assurée par des personnes non frappées d’incompatibilités.

Bibi Pacôme MOUGUE
Juriste

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here