Africa-Press – Togo. Même à une dose létale, toutes les grippes semblent vulnérables face à la même combinaison de trois anticorps développés par une équipe américaine. Administré de façon préventive la veille comme jusqu’à cinq jours après infection létale, le traitement a protégé jusqu’à 100% des souris étudiées et n’a entraîné aucun développement de résistance chez les virus, d’après ces nouveaux travaux publiés dans la revue Science Advances.
Marquer les cellules infectées plutôt que les virus
Le secret derrière ce cocktail antigrippal universel est l’utilisation d’anticorps non-neutralisants, c’est-à-dire qui ne ciblent pas spécifiquement le virus pour l’empêcher d’infecter la cellule hôte. Ces trois anticorps-là se fixent non pas au virus mais à une protéine virale insérée dans les cellules infectées, contre lesquelles ils activent la réponse immunitaire. Or, cette protéine virale, M2, est l’un des composants les plus conservés et donc universel du virus de la grippe. « Ce canal ionique est essentiel à l’entrée, à la réplication et à la libération du virus, ce qui le rend crucial pour son cycle de vie. En raison de son rôle indispensable, le virus ne peut pas facilement muter la protéine M2 sans compromettre sa capacité à se propager » explique à Sciences et Avenir la chercheuse en immunologie Silke Paust, qui a dirigé ces nouveaux travaux. Résultat, il est très difficile aux virus de la grippe d’échapper au traitement sans perdre de sa capacité infectieuse.
L’échappement aux traitements est un problème essentiel des stratégies thérapeutiques contre la grippe. Parce qu’il mute vite, le virus de la grippe saisonnière n’est neutralisé qu’à 40 à 60% par les anticorps que nous produisons sous les effets du vaccin mis à jour chaque année. Mais d’après ces nouveaux travaux, il se pourrait que les scientifiques aient jusque-là cherché du côté des mauvais type d’anticorps en se focalisant sur les anticorps neutralisants. « La plupart des chercheurs et des entreprises de biotechnologie ne s’intéresseraient pas aux anticorps non neutralisants en tant que traitements viables. Ce qui nous a aidés, c’est l’ordre dans lequel nous avons mené nos expériences », raconte Silke Paust. Avec son équipe, elle a d’abord généré et testé des anticorps produits pour cibler la protéine M2 sur des souris infectées avant d’évaluer leur potentiel neutralisant sur des cellules de laboratoire (in vitro). « Ce n’est qu’ensuite que nous avons évalué leur capacité de neutralisation in vitro, et c’est à ce moment-là que nous avons réalisé qu’ils n’étaient pas neutralisants ! »
Efficace en préventif et jusqu’à cinq jours après l’infection
Injectés aux souris, les trois anticorps se fixent chacun sur une partie différente de la protéine M2, à la fois sur le virus libre et sur la cellule pulmonaire infectée dont elle dépasse. C’est cette liaison qui recrute et active les cellules immunitaires chargées de la destruction des virus et des cellules infectées et de la mise en place d’une mémoire immunitaire protectrice en cas de réinfection. « Si les trois anticorps agissent comme des « drapeaux » pour mobiliser le système immunitaire, leurs différents sites de liaison sur M2 semblent avoir des effets complémentaires », détaille Silke Paust. Ce n’est pas la première fois que des anticorps non neutralisants sont testés contre la grippe, précise la scientifique. « Mais ils ont systématiquement échoué au cours du développement préclinique ou clinique précoce, soit parce qu’ils n’offraient pas une protection suffisante, soit parce que des mutants échappatoires sont apparus, soit parce qu’ils manquaient d’efficacité. »
C’est justement l’efficacité de cette nouvelle combinaison d’anticorps qui est impressionnante. Une dose administrée la veille d’une injection létale de virus de la grippe a permis une survie de 60 à 70% des souris (respectivement à faible et haute dose) contre la souche H1N1, à l’origine de l’épidémie de grippe A en 2009. Une survie qui atteint 50 à 90% contre la grippe aviaire H5N1 actuellement en circulation dans le bétail et animaux sauvages. « Le résultat le plus frappant a été obtenu avec le virus H7N9 de la grippe aviaire hautement pathogène, un sérotype considéré comme très mortel pour l’humain: nous avons obtenu ici un taux de survie de 100% avec les deux doses », rapporte la scientifique. Cette injection préventive donnait les meilleurs résultats, mais l’administration cinq jours après l’infection létale continuait à améliorer la survie des souris, avec 60% de survie au H7N9. « Sachant que les antiviraux actuels sont prescrits dans les 48 heures suivant les symptômes, cela suggère une potentielle augmentation de la fenêtre thérapeutique », appuie Silke Paust.
Encore plusieurs années de développement
9.000 personnes meurent chaque année de la grippe saisonnière en France, et 500.000 dans le monde. « Je pense que nous avons eu de la chance en 2009: la pandémie a atteint son pic environ deux mois avant que les vaccins spécifiques à la nouvelle souche ne soient disponibles. Si la létalité avait été plus élevée, les conséquences auraient pu être bien pires », analyse Silke Paust. L’épidémie de grippe A H1N1 avait duré un an et causé plus de 300 décès en France. En 2025, c’est la grippe aviaire H5N1 qui inquiète après un décès humain et sa propagation entre animaux – mais heureusement pas entre humains pour le moment – depuis les élevages de vaches américaines.
Si l’espoir est vivace, le chemin est encore long jusqu’aux patients. Avant même d’être testés dans des études cliniques, les trois anticorps doivent être humanisés, c’est-à-dire conçus pour apparaître invisibles au système immunitaire humain afin d’empêcher leur élimination rapide. Restera ensuite à estimer leur durée de vie dans l’organisme, et donc la portée préventive d’une injection. Un processus qui prendra plusieurs années. « Lors des saisons difficiles, lorsque les vaccins sont moins efficaces, ou chez les personnes qui ne réagissent pas bien, comme les très jeunes enfants, les personnes âgées, les personnes immunodéprimées et d’autres personnes souffrant de troubles médicaux, un traitement par anticorps prêt à l’emploi, largement efficace et résistant à l’échappement viral, pourrait constituer un filet de sécurité essentiel, en particulier en cas de complications graves de la grippe », conclut Silke Paust.
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