Africa-Press – Togo. Fouillée au cours des années 1930, la colline fortifiée de Maiden Castle, dans le Dorset, est l’une des découvertes archéologiques les plus importantes de Grande-Bretagne. À tel point que le site, interprété par ses découvreurs comme le symbole de la résistance à l’envahisseur romain, fait partie des récits fondateurs de l’histoire de l’île britannique. Mais un nouvel examen des corps retrouvés sur place infirme cette première interprétation: selon les archéologues de l’université de Bournemouth, les marques d’extrême violence détectées sur les squelettes sont antérieures à l’invasion et seraient donc plutôt le fait de luttes intestines. Leur étude démontre que juste avant le débarquement des troupes impériales, les tribus celtes qui peuplaient l’Angleterre étaient marquées par une forte instabilité, ce qui a sans doute favorisé l’envahisseur.
Un épisode phare de l’histoire britannique remis en question: les Celtes n’ont pas affronté les Romains à Maiden Castle, ils s’y sont plutôt entretués !
Si les fouilles menées au cours des années 1930 par le couple d’archéologues Tessa et Mortimer Wheeler (1890-1976) dans l’impressionnante forteresse de Maiden Castle sont toujours valables aujourd’hui, c’est l’interprétation du cimetière situé à l’intérieur de la porte est qui pose problème. « Les traumatismes manifestes sur de nombreux squelettes ont été interprétés par Mortimer Wheeler comme le résultat d’une attaque romaine au milieu du premier siècle de notre ère », rappellent les auteurs dans l’Oxford Journal of Archaeology.
Or de nouvelles fouilles réalisées au cours des années 1980 ont déjà remis en question l’hypothèse d’un assaut romain, mais sans s’attaquer au point nodal de cette attaque présumée: le « cimetière de guerre ». Les chercheurs se concentrent donc sur le corpus de squelettes mis au jour lors des fouilles initiales, tout en précisant qu’il est loin d’être exhaustif car « la zone étudiée en 1930 ne constituant que 1,08% de l’ensemble de la colline, les 82 individus retrouvés (70 adultes et 12 enfants) représentent des découvertes fortuites et ne doivent être considérés que comme un petit échantillon de l’ensemble probable des sépultures« .
Des sépultures très inhabituelles
Au cours de ce réexamen, les archéologues passent en revue divers aspects du corpus: la position et l’orientation des squelettes dans la tombe, l’âge et le sexe des défunts, le dépôt éventuel d’objets funéraires. Ils en déduisent qu’il s’agit de sépultures « très inhabituelles à plus d’un titre ». Non seulement, car elles relèvent en gros de quatre « styles » d’inhumation différents, dont deux sont proches de ceux de la tribu celte des Durotriges, mais surtout parce qu’elles témoignent d’un « haut degré de sélectivité ».
En effet, y reposent surtout de jeunes hommes d’âge adulte qui ont subi des blessures par arme au moment de leur mort. Mais la présence d’offrandes funéraires (viande, céramiques, bijoux, armes) et le soin des dépôts contredit la possibilité qu’il s’agisse d’exécutions, indiquant au contraire que ces individus ont pu appartenir à l’élite.
Trois épisodes de violence avant la conquête romaine
Des datations au radiocarbone permettent ensuite de reconstituer la durée globale au cours de laquelle les sépultures ont été creusées et de savoir si certaines d’entre elles datent de la période romaine. L’hypothèse de Mortimer Wheeler présumait un massacre et donc un fait unique, or les sépultures de Maiden Castle se sont accumulées au fil du temps, les analyses permettant de distinguer trois séquences temporelles, réparties entre la fin du 1er siècle avant notre ère et la première moitié du 1er siècle de notre ère. Ce qui conduit les chercheurs à interpréter les inhumations comme le résultat de « trois épisodes probablement brefs de violence mortelle, chacun à une génération d’intervalle », correspondant à « un stress sociétal croissant dans les décennies qui ont précédé la conquête romaine au milieu des années 40 après J.-C., à la suite de laquelle la région a été officiellement pacifiée ».
Une surenchère de violence confinant à la psychopathologie
Première conclusion: Les Romains ne sont donc pas responsables de toutes les atrocités commises dans le sud de l’Angleterre à l’âge du fer. Les tribus celtes étaient tout à fait capables d’en commettre aussi, et d’assez corsées, puisque les chercheurs vont jusqu’à qualifier de « psychopathologique » la forme de violence exercée sur certains corps retrouvés à Maiden Castle. Ceux-là ont subi une quantité de blessures bien supérieure à ce qui était nécessaire pour les achever, soulignent-ils, « ce qui soulève des questions sur le contexte social dans lequel cette ‘surenchère’ s’est produite ».
Il existe bien d’autres dépôts de massacres datant de l’âge du fer
Si les sépultures de Maiden Castle sont inhabituelles, le déchaînement de violence que l’on y décèle n’est pas unique dans le contexte archéologique britannique de l’âge du fer. D’autres sites similaires, au sein d’enceintes fortifiées, ont livré des dépôts funéraires qualifiés de « dépôts de ‘massacre ou de profanation’ », dans tout le sud de l’Angleterre, et même plus au nord (Somerset, Hampshire, Hertfordshire, Worcestershire, Cambridgeshire et Derbyshire). Les victimes, hommes, femmes ou enfants, diversement mutilées, y ont été inhumées dans les fossés, à la lisière de l’enceinte commune et en dehors de tout espace ritualisé, ce qui a été interprété comme une tentative d' »anéantissement de l’identité sociale du groupe ».
La singularité de Maiden Castle s’explique peut-être par le pouvoir accordé aux femmes chez les Durotriges
« Raids, règlements de différends ou conflits dynastiques », il est difficile de déterminer précisément les causes réelles des violences perpétrées. Mais dans la mesure où la société durotrigienne était matrilocale, les richesses et le pouvoir se transmettaient par la lignée féminine, ce qui peut expliquer la singularité de Maiden Castle. « Compte tenu du statut d’élite implicite des individus mutilés à Maiden Castle, les exemples d’extermination qui prévalent renforcent l’idée qu’il s’agit d’une lutte dynastique épisodique dont l’issue était destinée à envoyer un message clair à un public plus large », concluent ainsi les chercheurs.
L’instrumentalisation du récit historique
Une chose est sûre: les défunts n’ont pas tous été enterrés lors d’une même occasion, et leur inhumation précède pour la plupart l’arrivée des Romains. Maiden Castle n’a donc pas été le lieu d’un affrontement illustrant la résistance héroïque à l’envahisseur, un récit dont les chercheurs pensent qu’il a sans doute été forgé pour répondre aux circonstances dans un contexte de préparation à la guerre. C’est ainsi que le directeur des fouilles, Miles Russell, analyse en effet la consécration de l’hypothèse de Wheeler: « Depuis les années 1930, l’histoire des Britanniques combattant les Romains dans l’une des plus grandes forteresses du pays est devenue un élément incontournable de la littérature historique, relate-t-il dans un communiqué. La Seconde Guerre mondiale approchant à grands pas, personne n’était vraiment prêt à remettre en question ces résultats. L’histoire de ces innocents, hommes et femmes de la tribu locale des Durotriges, massacrés par Rome est puissante et poignante. Elle figure dans une quantité d’articles, de livres et de documentaires télévisés, si bien qu’elle est devenue un moment déterminant de l’histoire britannique, marquant la fin soudaine et violente de l’âge de fer. »
Les Celtes se sont entretués sans l’aide des Romains
Or ce récit incarné, véhiculé pendant des décennies, est aujourd’hui anéanti. Non seulement, les Romains n’ont pas décimé les Durotriges à Maiden Castle, mais les Celtes s’y sont entretués sans leur aide, le site, d’ailleurs en grande partie déjà abandonné, leur servant alors à enterrer des sortes de proscrits. Mais pour continuer de comprendre l’histoire forcément plus complexe de ce lieu, il sera nécessaire de l’étudier plus avant, car selon les estimations des chercheurs, il est fort probable que d’autres sépultures aient été creusées dans les remparts de la forteresse.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press