Première carte 3D d’un cerveau de souris

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Première carte 3D d'un cerveau de souris
Première carte 3D d'un cerveau de souris

Africa-Press – Togo. Il ne sert à rien de demander l’impossible, comme, par exemple, le schéma électrique exact d’un millimètre cube de tissu cérébral et la façon dont tous ses neurones s’activent », écrivait en 1979 Francis Crick, co-lauréat du prix Nobel de médecine pour la découverte de la structure de l’ADN. C’est pourtant précisément ce qu’ont réalisé les 154 scientifiques du MICrONS Project en combinant des millions d’images en microscopie électronique du cortex visuel de souris avec des données d’activation de chaque neurone pendant que l’animal regardait une vidéo. Neuf publications sur ces travaux sont parues dans les revues du journal Nature.

A l’écran, attaché sur une chaise, Morpheus – sous les traits de l’acteur Laurence Fishburne – relève lentement la tête vers l’agent Smith. Sans transition, un travelling avant sur un chemin forestier évoque le point de vue d’un promeneur en accéléré. Les clips se succèdent par dizaine, alternant balades en nature et scènes de films ou compétitions de sport. Face à cette succession d’images hétéroclites, une souris cours sur un tapis roulant, la tête fixée sous un microscope. Génétiquement modifiée, ses neurones émettent un signal lumineux lorsqu’ils s’activent et permet aux chercheurs de suivre par la technique de microscopie à deux photons l’activation de chacun des 70.000 neurones de son cortex visuel.

Le choix de cette zone du cerveau a d’abord un intérêt pratique. « Le cortex visuel permet de facilement montrer aux animaux des stimuli variés », explique à Sciences et Avenir le chercheur Forrest Collman de l’Allen Institute (organisation scientifique américaine à but non lucratif), qui a co-signé ces travaux. En outre, et puisque tous les cortex ont des couches et des types de cellules similaires, ce cortex visuel est une bonne porte d’entrée pour l’étude de l’ensemble du cortex, d’une importance fondamentale pour le fonctionnement du cerveau de tous les mammifères – humains compris.

Un grain de sable coupé en 28.000 tranches

En plus de l’enregistrement de l’activité cérébrale du cortex visuel de la souris, les scientifiques décortiquent sa structure en le découpant à l’aide d’un couteau diamant sur un appareil de précision appelé « ultramicrotome ». La machine découpe ce millimètre cube de cerveau (un grain de sable !) en 28.000 tranches, mille fois plus fines qu’un cheveu. Les sections ont ensuite été traitées par microscopie électronique, créant plus de 100 millions d’images ensuite réassemblées numériquement et avec des algorithmes d’apprentissage automatique pour obtenir une reconstruction en 3D du volume cérébral, comprenant tous les liens et synapses (connexions entre neurones) au niveau de chaque cellule individuelle.

« Imaginez que vous enregistrez tout ce que disent les gens dans une pièce, sans savoir à qui ils s’adressent. Puis séparément vous obtenez l’information des groupes qui conversent entre eux. En combinant ces deux jeux de données, vous pouvez comprendre qui dit quoi à qui, et c’est l’idée de ce projet », image le chercheur Nuno Maçarico Da Costa, qui a co-signé ces travaux. « Cet ensemble de publications couronne plus de sept ans de travail pour tenter de reconstruire le plus gros volume de cerveau par microscopie électronique jamais décrit », précise Forest Collman.

523 millions de synapses et 200.000 cellules

Cette prouesse a permis de décrire 523 millions de synapses, 200.000 cellules (des neurones et autres cellules support) et quatre kilomètres d’axones – ces longues queues des neurones. L’ensemble représente 1,6 pétabytes de données, soit 22 ans de vidéo HD en continu, précise l’Allen Institute. Le résultat est en libre accès et permettra à toute la communauté scientifique d’explorer le lien entre la structure du cerveau et sa fonction. « Pour comprendre un moteur (de voiture), il est utile non seulement d’avoir une description de toutes ses pièces, mais aussi de comprendre comment ces pièces fonctionnent ensemble. L’équipe MICrONS a appliqué cette idée au cerveau », illustrent les scientfiiques Mariela Petkova et Gregor Schuhknecht, qui n’ont pas participé à ces travaux, dans un commentaire publié dans le même journal.

Les neurones inhibiteurs sont bien plus sélectifs qu’on ne le pensait

Plusieurs des travaux publiés dans Nature explorent de premières avancées basées sur cette nouvelle carte détaillée d’un fragment de cerveau de souris. « Les neurones inhibiteurs sont beaucoup plus spécifiques que certaines théories et expériences ne l’avaient suggéré », explique Forrest Collman à titre d’exemple en citant une des publications. Le MICrONS Project a ainsi révélé un niveau de spécificité et de coordination entre les neurones inhibiteurs (chargés d’inactiver d’autres neurones) que ce qui était jusque-là connu. « De nombreux neurones inhibiteurs n’agissent que sur une sous-population très spécifique de cellules excitatrices », précise Forrest Collman.

Plus surprenant, les cellules ciblées par ces neurones inhibiteurs peuvent se retrouver dans d’autres populations distinctes de neurones inhibiteurs, comme des quasi doublons ou des « cellules cousines », comme l’explique le neuroscientifique. Ainsi, si certains travaux avaient précédemment suggéré que les neurones inhibiteurs se connectaient à la plupart des neurones excitateurs proches d’elles dans le cerveau, « il s’agit plus de l’exception que de la règle », en déduit Forrest Collman.

Dans d’autres travaux, le MICrONS Project révèle un nouveau principe fondamental de l’organisation du cerveau: les neurones avec un profil de réponses (activations) similaire se connectaient préférentiellement entre eux, même éloignés géographiquement. D’autres encore proposent de repenser la façon dont sont classés les neurones excitateurs pour utiliser des spectres ou des continuums au lieu de catégories définies. « La diversité morphologique des neurones excitateurs semble mieux comprise en considérant des axes de variation plutôt que des types distincts », expliquent les auteurs dans la publication.

Certains anticipent des usages médicaux. « Si vous avez une radio en panne et que vous avez le schéma du circuit, vous serez mieux à même de la réparer », image Nuno da Costa, chercheur associé à l’institut Allen. « Nous décrivons une sorte de Google Maps ou de plan de ce grain de sable. À l’avenir, nous pourrons l’utiliser pour comparer le câblage cérébral d’une souris en bonne santé à celui d’un modèle de maladie. »

Vers un cerveau de souris complet

Tout impressionnants que soient ces travaux, ils ne sont que le début, pointe Forrest Collman. « Les NIH (autorités de santé américaines, ndlr) mènent actuellement un programme appelé BRAIN CONNECTs dont l’objectif, au cours des quatre prochaines années, est de franchir les barrières technologiques qui nous empêcheraient de réaliser un cerveau de souris entier », explique-t-il, anticipant la réussite de ce projet sous cinq à dix ans.

Nulle intention en revanche n’est exprimée quant à renouveler l’exploit sur le cerveau humain. « Un cerveau humain entier est environ 1 300 fois plus grand qu’un cerveau de souris, soit 650.000 fois plus grand (que ce que vient de décrire le MICrONS Project). La réalisation d’un cerveau humain entier de cette manière pose des problèmes techniques, économiques et éthiques encore plus importants, et la plupart des scientifiques ne pensent pas qu’il s’agisse d’une solution pratique à mettre en œuvre de sitôt »

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