Africa-Press – Togo. La découverte est pour le moins retentissante, tant la question de la maîtrise du feu, encore largement débattue, est cruciale dans la compréhension de l’évolution de notre espèce. Dans une étude publiée le 10 décembre 2025 dans la prestigieuse revue Nature, une équipe dirigée par Nick Ashton, archéologue et responsable des collections paléolithiques au British Museum, recule de plus de 350 000 ans la plus ancienne preuve de maîtrise du feu par l’Homme.
Datant de plus de 400 000 ans, ces nouvelles traces ont été mises au jour à Barnham, dans un champ du Suffolk, au Royaume-Uni, démontrant ainsi que les humains ont allumé des feux bien plus tôt qu’on ne le pensait jusqu’ici. Ces éléments de preuves consistent en une parcelle d’argile chauffée, des haches en silex brisées par la chaleur et deux petits morceaux de pyrite de fer, qui se sont avérés déterminants dans la démonstration de l’origine anthropique de ce feu.
Insaisissables preuves
Jusqu’ici, les plus anciens foyers « volontaires » avérés, c’est-à-dire allumés par l’Homme, remontaient à 50 000 ans seulement, sur un site néandertalien du Nord de la France. Et s’il existe bien d’autres sites de la même époque que Barnham présentant des traces d’utilisation du feu – Menez-Dregan et Terra Amata notamment, situés tous deux en France – les chercheurs ont pu « recueillir à Barnham, grâce aux conditions de conservation, ce qui vient à manquer ailleurs: des preuves de la manière dont le feu a été allumé, c’est-à-dire, ici, la pyrite », explique Nick Ashton à Sciences et Avenir. « Il est difficile de déterminer quand et comment l’utilisation du feu a évolué, car il est compliqué de distinguer les incendies naturels des incendies anthropiques, et ce même si les méthodes géochimiques ont amélioré l’interprétation des dépôts chauffés. En somme, trouver des preuves irréfutables de la fabrication délibérée du feu est une gageure. »
Plus d’un demi-million d’années plus tôt, l’exploitation du feu par l’Homme. Des sites en Afrique suggèrent que les humains utilisaient le feu naturel il y a plus d’un million d’années,
Il a justement fallu quatre ans à l’équipe pour démontrer que l’argile chauffée dans ce champ du Suffolk n’avait pas été causée par un feu de forêt. « Des tests géochimiques ont montré des températures supérieures à 700 °C et une utilisation répétée du feu au même endroit du site, ce qui indique un feu de camp ou un foyer qui a été utilisé à plusieurs reprises par des personnes », affirment les chercheurs dans leur étude.
Le premier fragment de pyrite a été découvert dans ce champ du Suffolk en 2017. Crédits: Jordan Mansfield/Pathways to Ancient Britain Project
Mais c’est sans doute la fameuse pyrite de fer qui constitue la preuve la plus solide que le feu ne pouvait être fortuit: ce minéral naturel, utilisé notamment pour créer des étincelles en frappant un silex à sa surface afin d’enflammer l’amadou (un matériau spongieux présent chez certains champignons qui, séché, servait de combustible à la Préhistoire), est rare dans la région. « La rareté de la pyrite dans la région suggère que ces premiers hommes connaissaient ses propriétés, savaient où la trouver et l’apportaient sur le site pour faire du feu », assure Nick Aston.
Booster biologique et social
Avant qu’ils n’apprennent à maîtriser le feu, les humains dépendaient des coups de foudre et des feux de forêts, bien entendu largement imprévisibles. À un moment où la taille de leur cerveau a commencé à s’approcher de celle de l’humain moderne, l’acquisition de la fabrication du feu leur a permis de choisir librement leurs lieux de campement et de ne plus avoir à alimenter continuellement ce feu, celui-ci pouvait être rallumé quand et où cela était nécessaire. « La maîtrise du feu a constitué un tournant majeur dans notre développement technologique, biologique et social », affirme Nick Aston.
Une vue du site sur lequel ont été excavées ces traces de feu. Crédits: Jordan Mansfield, Pathways to Ancient Britain Project.
La cuisson régulière des aliments a notamment permis d’élargir les ressources alimentaires en éliminant les toxines des racines et des tubercules, ainsi que les agents pathogènes de la viande. Elle a également rendu les aliments plus tendres, facilité la digestion et libéré de l’énergie pour le cerveau. « Sans parler du fait que le feu constitue un centre social favorisant le développement d’une meilleure communication, du langage et de la narration », détaille Nick Aston. « Cela a favorisé une augmentation de la densité démographique et permis la formation de groupes sociaux plus importants. »
« Cette découverte est le summum de ma carrière », confie le préhistorien britannique, « car non seulement elle revêt une importance scientifique capitale, mais elle raconte aussi une histoire à laquelle nous pouvons tous nous identifier: celle des premiers humains à s’être assis autour d’un feu de camp, à avoir discuté, mangé et contemplé pensivement les braises. »





