Trouble De Stress Post-Traumatique Et Réparation

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Trouble De Stress Post-Traumatique Et Réparation
Trouble De Stress Post-Traumatique Et Réparation

Africa-Press – Togo. « Il suffit parfois d’un son, d’une image ou d’un autre stimulus évocateur pour que certains traumatisés revivent le choc qu’ils ont subi jusque dans leur corps. Par exemple, qu’ils soient repris par les mêmes tremblements que ceux dont ils ont été pris ce soir-là, au Bataclan, raconte Jacques Dayan, pédopsychiatre et coresponsable scientifique du programme de recherche 13-Novembre.

Le soir du 13 novembre 2015, un groupe de dix terroristes commettait une série d’attentats quasi simultanés à Paris et Saint-Denis. Des explosions retentissaient aux abords du Stade de France, tandis que des fusillades éclataient sur des terrasses des 10e et 11e arrondissements de Paris. Quelques minutes plus tard, trois terroristes pénétraient dans la salle du Bataclan en plein concert et tiraient sur la foule.

Ces attentats figurent parmi les plus meurtriers d’Europe. On dénombre 131 morts, 413 blessés physiques et près de 1.300 blessés psychiques, civils ou professionnels, dont des pompiers, policiers, médecins intervenus sur les lieux des crimes. Face à l’ampleur de la catastrophe, des scientifiques de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, du CNRS et de l’Inserm lancent le programme de recherche 13-Novembre, qui vise à mieux comprendre les effets du traumatisme sur le cerveau. Des mécanismes sous-jacents aux facteurs de résilience jusqu’à la transmission intergénérationnelle, les études 1000, Remember, Care, Espa et Crédoc éclairent d’un jour nouveau les répercussions des traumatismes.

« Après un an, la moitié des personnes exposées aux attentats et qui avaient participé aux études présentaient un trouble de stress post-traumatique », rapporte Francis Eustache, chercheur en neuropsychologie à l’Inserm impliqué dans le programme 13-Novembre. Ce type de trouble peut se développer chez les victimes et les témoins d’un événement violent collectif comme un attentat, mais aussi lors d’un épisode de la vie privée comme un accident, une agression sexuelle… Il devient pathologique lorsque ses manifestations durent plus de quatre semaines. Généralement, celles-ci disparaissent spontanément après trois mois mais, pour 20 % des personnes qui en sont atteintes, le syndrome devient chronique.

L’amnésie traumatique, ou quand le contexte s’évanouit

Une mémoire en bonne santé fonctionne de manière dite « associative » ou « intégrée »: elle enregistre les souvenirs en les associant aux émotions ressenties sur le moment et à des détails spatiotemporels. On se souvient par exemple de moments heureux – un mariage ou une naissance – en se remémorant le lieu et les personnes présentes. Lorsqu’une personne subit un événement traumatique, qui menace sa survie ou est lié par exemple à une agression sexuelle, il arrive que sa mémoire ne puisse plus intégrer ces éléments de contexte. Elle n’a donc plus de repère pour solliciter ses souvenirs. On parle alors d’amnésie dissociative ou plus communément d’amnésie traumatique.

« Les souvenirs sont enregistrés, mais ils ne sont pas consciemment accessibles », précise Géraldine Tapia, maîtresse de conférences en psychopathologie à l’université de Bordeaux. Les mécanismes biologiques de l’amnésie traumatique sont mal connus, les études expérimentales ne pouvant être menées – pour des raisons éthiques – que sur des animaux. « On suppose qu’il s’agit d’un défaut de fonctionnement de l’hippocampe et du cortex frontal qui, en temps normal, sont là pour donner des éléments de contexte aux signaux d’alerte reçus par l’amygdale », complète la chercheuse. Ces souvenirs isolés peuvent ressurgir plusieurs années après, réactivés par des stimuli sensoriels qui rappellent la scène traumatique et permettent à la mémoire de se « réassocier »: la couleur d’un paréo sur une plage rappelant celle du tee-shirt porté par le violeur, l’anneau d’un rideau qui scintille évoquant le métal de l’arme de l’agresseur… Des souvenirs qui sont vécus le plus souvent avec une grande charge émotionnelle.

Hypervigilance, cauchemars, troubles du comportement alimentaire…

« Le cerveau met en place des mécanismes de défense psychiques spontanés pour faire face à un événement violent, précise Jacques Dayan: la dissociation, qui est une déconnexion du corps et de la pensée, mais aussi le déplacement qui permet de rediriger l’émotion vers un autre objet ou une autre situation, l’évitement, le déni, etc. S’ils ne s’estompent pas, ils peuvent aboutir à une phobie, un trouble dissociatif de l’identité ou un trouble obsessionnel compulsif. »

Les symptômes du trouble de stress post-traumatique, très variables, dépendent de nombreux facteurs liés à l’événement lui-même, mais aussi à l’individu et à son environnement: hypervigilance, cauchemars, troubles du comportement alimentaire, flash-backs, pensées intrusives… « Je suis devenue très sensible aux différentes odeurs de lessive, révèle ainsi Éloïse, victime d’agressions sexuelles dans son enfance. En quelques secondes, un parfum peut me ramener au moment des faits, avec la même intensité émotionnelle que ce que j’ai ressenti alors. »

Cette sensation d’intrusion que décrit Éloïse, beaucoup de victimes de traumatismes en font l’expérience: il suffit d’un stimulus sensoriel pour réactiver les circuits neuronaux de l’expérience vécue, dont le système limbique, qui associe les émotions à un souvenir. « Ce qui fait toute la différence avec un souvenir classique, c’est que l’on revit son traumatisme au présent », indique Francis Eustache. Tous les jours, chacun d’entre nous refoule des pensées intrusives. C’est ainsi que nous parvenons à chasser l’image de la plage qui nous attend lorsque nous devons nous mettre à travailler, ou que nous réussissons à faire abstraction des petites contrariétés de la journée afin de nous endormir. Chez les victimes, cette inhibition est perturbée: « Juste après mon traumatisme, je n’arrivais pas à faire face à la moindre préoccupation, au moindre problème. Tout prenait une ampleur démesurée, sans que je puisse passer à autre chose « , témoigne Éloïse.

Étudier ce trouble de l’inhibition est l’un des objectifs du programme 13-Novembre. Et pour mieux le comprendre, il faut se pencher sur la réaction du cerveau lorsqu’il est confronté au choc d’un traumatisme. En réponse au stress intense d’une telle situation, une cascade d’hormones y afflue. Des cellules, en particulier les neurones, sécrètent notamment des molécules d’adrénaline qui suractivent l’amygdale, siège des émotions, plongeant ainsi l’organisme dans un état d’alerte. Le cœur s’emballe, la respiration s’accélère… Et plus la réaction est forte, plus le risque de développer un trouble de stress post-traumatique chronique est élevé, d’après une étude de Jacques Dayan.

« On se retrouve surstimulé par l’environnement, incapable de réguler ses pensées correctement car le cerveau est envahi par les stimuli externes », éclaire Pierre Gagnepain, chercheur en neurosciences au CNRS et responsable scientifique de l’étude Remember du programme 13-Novembre. L’hippocampe, sorte de bibliothèque de la mémoire, n’est alors plus capable de consolider correctement le souvenir en lui donnant un contexte: celui-ci se fige. Contrairement aux autres, il ressurgit à l’identique et de manière incontrôlée. Mais pourquoi?

Grâce aux images IRM des participants de l’étude Remember, les chercheurs ont pu déceler des singularités dans le fonctionnement du cerveau des personnes atteintes de trouble de stress post-traumatique. « On observe un découplage entre l’hippocampe et certaines aires cérébrales, notamment le cortex préfrontal, qui joue un rôle essentiel dans l’inhibition des pensées intrusives », révèle Francis Eustache. L’hippocampe lui-même est affecté. Une étude de la neuropsychologue Charlotte Postel montre que sa densité est moindre. « Mais ce n’est absolument pas irréversible, précise Francis Eustache. Chez les personnes qui sont rétablies, l’hippocampe retrouve un volume et une densité de neurones comparables à ceux des participants contrôle, à mesure que les symptômes régressent. »

Cette plasticité est un indice de résilience, c’est-à-dire de la capacité à surmonter l’adversité. Une faculté que l’équipe de Pierre Gagnepain a évaluée grâce à un exercice difficile: le think / no think. Les participants ont appris à associer un mot – « table », par exemple – à une image – un ballon de foot. Lorsqu’ils étaient allongés dans l’appareil IRM, un mot s’affichait devant leurs yeux. S’il était écrit en rouge, ils devaient repousser volontairement l’intrusion de l’image qui avait été associée. Cette gymnastique implique directement le cortex préfrontal, qui inhibe les pensées indésirables.

Les chercheurs, qui ont publié leur étude dans Science Advances, ont montré que l’inhibition était moins efficace chez les personnes atteintes de trouble de stress post-traumatique. Et que parmi elles, celles qui avaient obtenu les meilleurs résultats ont présenté par la suite une plus grande rémission des symptômes. Plus étonnant encore: d’autres travaux ont montré qu’il était plus efficace de repousser l’intrusion – contrôle réactif – que de tout faire pour ne pas être confronté aux éléments déclencheurs – contrôle prédictif.

Alors, peut-on modeler consciemment sa résilience? Oui, et cela pourrait même représenter une piste thérapeutique intéressante, selon les scientifiques. Par exemple au moyen d’un exercice similaire au think / no think, ou même en renforçant la production de nouveaux neurones dans l’hippocampe: « La neurogenèse participe fortement à l’établissement d’une mémoire saine après un traumatisme, souligne Pierre Gagnepain. Elle permet notamment de bien séparer les traces mnésiques des différents souvenirs. Et la bonne nouvelle, c’est qu’on peut la stimuler, grâce à l’exercice physique, par exemple !  »

Les survivants transmettent aussi à leurs enfants des facteurs de résilience

La résilience ne résulte donc pas seulement d’une combinaison de facteurs biologiques, tels qu’une prédisposition génétique ou une régulation hormonale efficace. Elle se travaille. Au cours de la vie, plusieurs mécanismes d’adaptation peuvent la stimuler ou, au contraire, nous rendre plus vulnérables. « Faire face à des frustrations ou à des situations désagréables à dose homéopathique, si je peux dire, entraîne notre résilience, explique Pierre Gagnepain. En revanche, bien sûr, un traumatisme fragilise… Pour mieux comprendre cette ambivalence, il faut imaginer une courbe en U inversé. À dose raisonnable, des situations difficiles stimulent le système, mais quand ces traumatismes sont sévères, tout s’effondre. »

L’équipe de Jacques Dayan a ainsi montré qu’on est plus enclin à développer un trouble de stress post-traumatique et une anxiété pathologique quand on a déjà vécu un ou plusieurs autres traumatismes. En témoigne son étude sur la pandémie de Covid-19: « L’anxiété des personnes traumatisées par les attentats du 13-Novembre atteignait bien plus souvent un niveau pathologique lors du confinement que celle des participants non exposés. »

Plusieurs travaux ont montré que les symptômes d’une mémoire traumatique peuvent se transmettre aux futures générations par des modifications épigénétiques de l’ADN. Mais qu’en est-il des enfants déjà nés? Pour le programme 13-Novembre, Jacques Dayan et la neuropsychologue Bérengère Guillery étudient les répercussions du traumatisme des parents sur la famille: « Les premières informations recueillies nous amènent à penser que les enfants ne souffrent pas de stress post-traumatique à proprement parler, mais que certains peuvent en manifester des symptômes. » L’hypervigilance ou l’évitement, par exemple.

Mais Jacques Dayan souligne que cette transmission n’est pas systématique. Et surtout, elle n’est pas seulement négative ! Les parents exposés à un traumatisme peuvent aussi transmettre ce qui leur a permis de résister: des facteurs de résilience qui s’expriment dans leur façon d’appréhender la vie, la frustration, etc., et dont les enfants sont témoins.

« Le trouble de stress post-traumatique naît d’une rencontre entre une personne et un environnement délétère à un instant t, mais il évolue aussi en fonction de ses interactions ultérieures », signale Francis Eustache. Le soutien social – la présence des proches, notamment – joue un rôle particulièrement important. L’évolution post-traumatique est un processus dynamique, qui passe notamment par la reconnaissance.

« Pour un événement collectif comme celui de 2015, il est important de parler de tous les attentats du 13-Novembre et pas seulement de celui du Bataclan, par exemple, afin que certaines victimes ne se sentent pas invisibilisées », ajoute-t-il. Le soutien peut aussi passer par des associations, et bien sûr par différentes thérapies qui visent à rendre le souvenir supportable. La thérapie d’exposition repose ainsi sur la confrontation progressive aux éléments angoissants, tels que des sons ou des images.

Femme traumatisée, petite-fille stressée

Gaza, Ukraine, Soudan, Birmanie… Les enfants des victimes de violences extrêmes, notamment de conflits armés, sont susceptibles de développer des troubles post-traumatiques. Cette vulnérabilité s’explique non seulement par les conditions matérielles et psychologiques liées à la guerre, mais aussi par une mémoire biologique des traumas. En situation de stress « courant », le corps humain libère des hormones spécifiques, dont le cortisol, qui permettent à l’organisme de se mobiliser. Mais un stress intense et répété peut entraîner des modifications dites épigénétiques de l’ADN – la séquence ADN ne change pas, mais l’expression des gènes liée à la régulation du stress est durablement influencée, ce qui peut affaiblir cette réponse lors de futurs épisodes.

Des chercheurs des universités de Floride et d’Amman (Jordanie) ont montré qu’une femme peut transmettre ces marques épigénétiques à son fœtus, par l’intermédiaire de ses gamètes. Si l’enfant à naître est une fille, ses ovules, formés avant la naissance – contrairement aux gamètes mâles qui ne sont pas produits avant l’adolescence -, peuvent eux aussi transmettre ces marques à la troisième génération. « L’enfant aura peut-être une moins bonne résilience biologique au stress, explique Ariane Giacobino, ancienne professeure de génétique à l’université de Genève. Mais cette transmission épigénétique ne semble pas systématique. Il faut poursuivre les recherches. »

Une thérapie efficace pour diminuer la charge émotionnelle et réorganiser la mémoire

« Grâce à l’EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires, ndlr), qui a des points communs avec l’hypnose, mes cauchemars ont quasiment disparu », témoigne Éloïse. Cette psychothérapie repose sur des mouvements oculaires alternés, les yeux suivant par exemple une baguette. Elle permet de réorganiser la mémoire traumatique et la façon dont elle est stockée afin de diminuer la charge émotionnelle qui lui est associée.

Des chercheurs néerlandais ont même réussi à renforcer l’effet bénéfique de cette thérapie en stimulant sa consolidation pendant la nuit à l’aide d’un stimulus sonore. « Cette idée est d’autant plus pertinente qu’il existe une parenté, non encore parfaitement élucidée, entre les mécanismes en jeu dans l’EMDR et dans certaines phases du sommeil où sont observés des mouvements rapides des yeux », réagit Francis Eustache, enthousiaste.

D’ici deux ans, le programme de recherche transdisciplinaire 13-Novembre devrait livrer ses derniers résultats. Ces travaux, qui ont pu voir le jour grâce à la détermination dont ont fait preuve les victimes, constituent à la fois un corpus historique de témoignages et un nouveau faisceau d’indices afin d’améliorer la prise en charge des victimes de traumatisme.

« La cicatrice restera, même si je vis sans sa douleur »

David Querolle est un journaliste qui était présent au Bataclan le 13 novembre 2015.

Les Dossiers de Sciences et Avenir: Quels sont vos souvenirs de cet instant?

David Querolle: Des cris superposés au bruit des tirs, l’odeur âcre qui a envahi la salle. Des personnes sont tombées sur moi et j’ai pensé que je vivais ma dernière heure. Une poussée d’adrénaline m’a permis de m’extirper de la foule et j’ai réussi à rejoindre la sortie de secours qui était ouverte. J’ai couru longtemps pour m’éloigner de là. Je comprenais ce qui se passait, mais j’étais dans un état de sidération. Quand j’ai réussi à retrouver l’ami avec lequel j’étais au concert, et que j’avais perdu, on s’est étreints longuement, et on a cherché à se mettre en sécurité dans un hôpital. Mais tout me paraissait suspect, et je n’arrêtais pas de penser aux personnes qui étaient encore à l’intérieur. J’étais terrorisé, je savais que ce serait un massacre. Ce n’est qu’une fois dans le taxi que je me suis senti en sécurité.

Les Dossiers de Sciences et Avenir: Comment s’est manifesté votre stress post-traumatique?

C’est devenu une obsession. Pendant plus d’un an, j’ai été incapable de fréquenter un lieu public. Et quand j’ai réussi à retourner au restaurant, je m’asseyais systématiquement face à la porte d’entrée. J’avais besoin d’un certain contrôle. J’avais une peur irrationnelle que cela se produise à nouveau, et je m’y préparais. J’étais dans un état d’hypervigilance.

Les Dossiers de Sciences et Avenir: Aujourd’hui, vous dites que votre « convalescence » est terminée. Qu’est-ce qui vous a permis d’avancer?

C’est un tout: une prise en charge efficace, le soutien sans faille de mes proches, et les petites choses que j’ai réussi à mettre en place pour ne pas sombrer. Le lendemain des attentats, je me suis rendu aux urgences psychiatriques, conscient que j’avais besoin de prendre rapidement les choses en main. Ma thérapie a duré deux ans. Peu à peu, les symptômes ont disparu. Ce n’est qu’après huit ans, et par hasard, que je me suis retrouvé devant le Bataclan. Mais je ne retournerai jamais assister à un concert là-bas. J’aurais l’impression de danser sur un cimetière.

Après les attentats, il m’a fallu un an et demi avant de pouvoir assister à nouveau à un concert. Une catharsis. Je m’y étais préparé, je m’étais placé à côté d’une sortie de secours. Par la suite, j’ai fait deux, trois, dix événements similaires et je me suis surpris à ne plus prendre mille précautions, à profiter du moment sans être envahi par des pensées intrusives. Je savais que le temps serait mon allié. Mais je sais aussi que cette mémoire, je ne peux pas la fuir. La cicatrice restera, même si je peux vivre sans sa douleur lancinante.

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