L’avenir du bloc de la CEDEAO après le retrait des pays sahéliens et ses enjeux géopolitiques en Afrique de l’Ouest

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L’avenir du bloc de la CEDEAO après le retrait des pays sahéliens et ses enjeux géopolitiques en Afrique de l’Ouest
L’avenir du bloc de la CEDEAO après le retrait des pays sahéliens et ses enjeux géopolitiques en Afrique de l’Ouest

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Cameroun. Les pays sahéliens du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont annoncé, le dimanche 28 janvier 2024, leur retrait de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), après s’être retirés précédemment du G5 Sahel.

Suite à cet évènement, nous revenons dans ce dossier sur les raisons de ce retrait, son contexte et ses enjeux, à la lumière des transformations régionales importantes en cours dans la région, tout en identifiant les effets potentiels de ce retrait sur l’avenir de la CEDEAO.

Mais avant tout, nous nous devons de rappeler les trois points essentiels liés à ce dossier, à savoir:

• Le Mali, le Burkina Faso et le Niger se sont retirés du groupe de la CEDEAO pour protester contre les sanctions économiques et commerciales qui leur étaient imposées et contre la menace d’une intervention militaire directe au Niger pour ramener au pouvoir le président Mohamed Bazoum.

• Même si le retrait des trois pays ne sera définitif qu’un an après son annonce, il constitue, selon la charte du groupe, une étape qualitative sur le chemin du groupe ouest-africain, confronté à des défis sans précédent.

• Ainsi, si les trois pays quittent également l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), ils auront jeté les bases d’un système sahélien indépendant, qui se heurtera à de sérieux obstacles et pourrait conduire à redessiner les équilibres régionaux dans cette région.

Les causes ayant poussé les trois pays à se retirer de la CEDEAO

Il faudrait revenir presque 50 ans en arrière, pour rappeler que le groupe de la CEDEAO a été fondé le 28 mai 1975 avec comme siège la Capitale nigériane Abuja et 16 pays membres: le Bénin, les îles du Cap Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Sénégal, le Ghana, la Guinée, le Libéria, la Sierra Leone, le Togo, le Nigeria, la Guinée-Bissau, la Mauritanie (déjà retirée depuis 2000), le Mali, le Niger et le Burkina Faso (récemment retirés).

L’organisation vise à établir l’intégration économique et monétaire et à libéraliser les échanges commerciaux entre ses membres. Depuis 1999, l’organisation a élargi son champ d’action pour inclure l’intervention militaire et sécuritaire en cas de guerres civiles et de crises politiques graves, y compris la création de forces de sécurité spéciales conjointes chargées de missions directes dans certains pays.

A noter que, selon l’article 58 de l’Accord amendé de la CEDEAO, complété par le Protocole de Dakar sur la démocratie et la bonne gouvernance, le groupe peut imposer des sanctions aux États membres en cas de violation des systèmes constitutionnels légitimes, allant de la suspension de l’adhésion et des pressions économiques à l’intervention militaire.

C’est ainsi que le groupe a continué d’imposer des sanctions économiques, financières et commerciales aux pays où se produisent des coups d’État militaires, comme c’est actuellement le cas dans quatre pays de la région, à savoir la Guinée et les trois pays sahéliens qui viennent de se retirer de la CEDEAO.

Bien que le groupe ait interdit toutes relations économiques avec le Mali après le coup d’État de mai 2021 et le Burkina Faso après le coup d’État de septembre 2022, et ait suspendu leur adhésion à l’organisation, la situation était différente lors du coup d’État survenu au Niger en juillet 2023, car la sanction a atteint le point de menacer d’une intervention militaire directe pour ramener au pouvoir le président, Mohamed Bazoum. Ce à quoi le Mali et le Burkina Faso ont annoncé leur soutien au Niger, et leur rejet de toute opération militaire contre les autorités putschistes de Niamey, dans le cadre d’un processus de concertation et de coordination qui a abouti à la formation d’une alliance entre les trois pays sahéliens en septembre 2023.

En plus, le 2 décembre 2023, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé leur retrait du groupe des pays du G5 Sahel, dont le Mali s’est déjà retiré en 2022, ce qui a pratiquement marqué la fin de ce groupement stratégique que les trois pays formaient avec la Mauritanie et le Tchad.

Selon l’annonce publiée par les trois pays le 28 janvier 2024, leur retrait de la CEDEAO intervient en signe de protestation contre la « frustration » liée à l’écart du groupe par rapport « aux objectifs des pères fondateurs de l’intégration africaine ». Faisant référence au pouvoir et à l’influence des puissances étrangères, le communiqué indique que l’organisation est devenue un « danger » pour les États membres et leurs peuples au lieu de rechercher leurs intérêts et leur bien-être. Le communiqué conclut que l’organisation n’a joué aucun rôle dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent auxquels les pays sahéliens sont confrontés, mais leur a plutôt imposé des sanctions illégales et inhumaines, d’où la décision de se retirer immédiatement de ce groupement ouest-africain.

Même si la direction du groupe de la CEDEAO a douté de la légitimité et du sérieux de ce retrait, étant donné qu’elle n’en a pas été informée par écrit, ni pris en compte les conditions de retrait précisées à l’article 91 de la Charte de l’Organisation soit (déposer une demande écrite, à condition que le retrait ne soit définitif qu’un an après cette demande), toutefois, les trois pays ont déjà soumis leur demande de retrait aux instances administratives du groupe, rendant cette démarche officielle et définitive.

Les défis et les enjeux majeurs

Il faut dire que l’une des caractéristiques communes aux trois pays sahéliens qui se retirent du groupe de la CEDEAO est qu’ils sont géographiquement enclavés (c’est-à-dire sans côtes maritimes), confrontés à des défis de sécurité similaires et qui se chevauchent, et sont gouvernés par des régimes militaires putschistes.

Après avoir quitté la CEDEAO, ces pays seront confrontés à des défis sans précédent, dont le plus important est l’isolement économique et commercial, compte tenu de leur besoin vital des ports des pays voisins (Sénégal, Côte d’Ivoire et Togo), et de leur connexion organique avec la zone de libre-échange formée par ce groupe, dont la portée des échanges commerciaux entre ses membres atteint en moyenne 22 milliards de dollars par an. Il sera donc difficile pour ces pays de parvenir à de nouveaux accords alternatifs garantissant leur bénéfice des acquis de l’intégration économique régionale, problème auquel la Mauritanie a été confrontée lorsqu’elle s’est retirée de la CEDEAO en 2000 malgré la disponibilité de ports maritimes et d’une monnaie indépendante.

Le Mali, le Niger, et le Burkina Faso, ont laissé entendre leur possible sortie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui fait partie du groupement de la CEDEAO, et qui comprend, outre les trois pays, cinq autres pays d’Afrique de l’Ouest: le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Togo et la Guinée-Bissau, qui adoptent tous la monnaie du Franc ouest-africain. Lors d’une réunion consultative tenue en novembre 2023 à Bamako, les trois pays ont discuté de l’établissement d’une monnaie commune entre eux, alternative au franc ouest-africain. D’ailleurs, il ressort des récentes initiatives des responsables de la Banque centrale ouest-africaine qu’ils prennent cette possibilité au sérieux, sachant déjà que trois des pays de l’union monétaire ont déjà créé des monnaies nationales indépendantes, à savoir la Guinée, la Mauritanie et Madagascar, en plus du Mali, qui a quitté l’union monétaire pour y revenir plus tard. Mais l’établissement d’une monnaie sahélienne commune nécessite des arrangements complexes, au premier rang desquels les garanties extérieures que les gouvernements des trois pays semblent exiger du groupe des BRICS et de ses alliés russes en particulier.

Ainsi, force est de constater que les enjeux majeurs de la décision de retrait du groupe de la CEDEAO peuvent être énumérés dans les trois grandes tendances suivantes:

• L’émergence d’un pôle côtier dirigé par des régimes militaires populistes, qui ne semblent pas avoir tranché sur l’option d’une transition civile et démocratique (les gouvernements militaires du Mali et du Burkina Faso ont reporté les élections électorales prévues en 2024, et les autorités nigériennes fixer le plafond de la transition civile à trois ans).

• La sortie blocs économiques et monétaires ouest-africains tout en cherchant à établir des structures alternatives, qui pourraient accueillir d’autres pays comme la Guinée, ou s’appuyer sur de grands pays régionaux extérieurs à la région comme le Maroc, qui a récemment fortement proposé un projet de partenariat avec les pays sahéliens pour leur permettre de bénéficier des rives atlantiques du Royaume.

• Le partenariat sécuritaire et militaire avec la Russie, après la fin des relations de coopération stratégique avec la France et les pays occidentaux. Ce partenariat vise à lutter contre les mouvements terroristes et les groupes extrémistes violents actifs dans les zones frontalières communes aux trois pays.

Comment sera l’avenir du bloc ouest-africain après le retrait des pays côtiers ?

Il ne fait aucun doute que le groupe de la CEDEAO est confronté à de grands défis avec la sortie de trois de ses pays fondateurs, malgré sa contribution limitée aux échanges intra-commerciaux (le Nigeria contrôle à lui seul plus de la moitié de la production brute des pays du groupe).

Les plus importants de ces défis sont:

• l’échec des politiques interventionnistes à imposer des réformes démocratiques dans les pays membres,

• l’échec des approches et des plans sécuritaires du groupe pour faire face à la menace terroriste qui s’est déplacée des pays du Sahel vers le golfe de Guinée,

• le ralentissement du mouvement d’unification de l’espace monétaire collectif (le projet d’éco-monnaie chancelant).

NB: A propos de l’ECO, Jean-Claude Kassi Brou, président de la Commission de la CEDEAO, avait déclaré le 19 juin 2023, lors du 59e sommet ordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest qui s’est tenu à Accra, au Ghana: « Nous avons une nouvelle feuille de route et un nouveau pacte de convergence qui couvrira la période 2022-2026, et 2027 étant le lancement de l’Eco ».

À la lumière donc des évolutions récentes, deux scénarios fondamentaux peuvent être envisagés pour anticiper l’avenir du groupe de la CEDEAO:

• Scénario 1

C’est le scénario de désintégration et d’effondrement, avec un certain nombre de pays quittant le groupe dans un contexte de crises politiques graves qui frappent certains États membres (comme la Guinée, la Guinée Bissau…). Un certain nombre de dirigeants régionaux ont mis en garde contre ce scénario, et certains d’entre eux l’ont lié à la nécessité de faire face à l’hégémonie du Nigeria sur le système ouest-africain.

• Scénario 2

Il s’agit là d’une stagnation continue, compte tenu des acquis obtenus pour les peuples de la région grâce au partenariat ouest-africain et du soutien international apporté à ce groupement, qui constitue un pilier de la large intégration africaine, même si les possibilités de sa consolidation et l’amélioration de ses performances ne sont pas sérieusement envisagées. Donc, ce scénario nous semble être le plus probable..

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