Africa-Press – Cameroun. « Est-il possible d’être ivre sans avoir bu la moindre goutte d’alcool? », nous demande Belkhir Khaled sur notre page Facebook. C’est notre question de lecteur de la semaine. Merci à toutes et tous pour votre contribution.
Etre ivre sans avoir bu d’alcool, c’est la définition même d’un syndrome très rare, appelé « autofermentation alcoolique » ou encore « auto-brasserie ». Cette condition médicale, quelque peu controversée dans la communauté scientifique, a fait parler d’elle ces dernières années: en 2024, lorsqu’un Belge, poursuivi en justice pour conduite en état d’ivresse en récidive, a pu prouver qu’il souffrait de ce syndrome, et il y a dix ans avec le cas de Nick Hess.
Les symptômes d’une « gueule de bois »
Nick Hess, un Britannique âgé d’une trentaine d’années en 2015, racontait à l’époque à la BBC que chaque matin pendant un an, il se réveillait avec des douleurs d’estomac, des nausées et des maux de tête. Les symptômes d’une « gueule de bois » mais sans boire d’alcool.
De plus, après certains repas, il paraissait ivre aux yeux de ses proches, sans qu’il sache l’expliquer. Nick Hess avait finalement découvert qu’il souffrait du syndrome d’auto-brasserie, qui serait dû à une prolifération anormale de levures (comme Saccharomyces cerevisiae ou Candida albicans) dans l’intestin, qui transforment les glucides absorbés en alcool dans le sang.
Les levures Saccharomyces cerevisiae. Crédits: ARTUR PLAWGO / SCIENCE PHOTO LIB / APL / Science Photo Library via AFP
Les Japonais seraient particulièrement concernés
Nick Hess n’était pas le premier cas connu à souffrir de ce syndrome. Déjà, en 1976, un Japonais avait fait l’objet d’une publication scientifique. En 1984, deux autres cas, eux aussi japonais, sont mentionnés dans le Journal of the Forensic Science Society (voir le graphique ci-dessous qui montre la concentration d’éthanol dans l’air expiré et le sang après un repas sans alcool chez l’un des deux patients).
Concentration d’éthanol dans l’air expiré et le sang après un repas sans alcool chez l’un des deux patients. Crédits: H. KAJI, Journal of the Forensic Science Society, 1984
« Trente-sept autres cas ont été signalés au Japon depuis 1952, avec des patients âgés de 1 à 75 ans », est-il écrit dans la publication datant de 1984. Le Japon semble donc particulièrement touché par ce syndrome. Pour quelle raison?
En fait, tout le monde possède des levures dans son intestin, lesquelles transforment les glucides absorbés via les aliments en alcool. Dans le cas des patients japonais, une quantité importante de levures, combinée à une alimentation riche en glucides (liée au riz) et une enzyme hépatique anormale (retrouvée dans la population japonaise), implique que ces patients ne pouvaient pas traiter l’alcool assez rapidement.
L’équivalent de 7 verres de whisky naturellement dans le corps
Certains patients atteints du syndrome d’auto-brasserie atteignent même des taux d’alcool de 80 mg par 100 mL, voire davantage (120 mg par 100 mL, soit l’équivalent de 7 verres de whisky !), alors que le taux d’alcool naturellement produit par le corps chez des sujets sains, ainsi que ceux qui souffrent de divers troubles métaboliques (diabète, hépatite, ou encore cirrhose), varie de 0 à 0,08 mg par 100 mL, précisent les scientifiques.
L’une des dernières publications sur ce sujet date de 2013 dans l’International Journal of Clinical Medicine: celle-ci racontait l’histoire d’un homme d’une soixantaine d’années arrivé aux urgences ivre, alors qu’il jurait ne pas avoir bu une goutte d’alcool, ce jour-là. Chez ce patient, comme chez Nick Hess, l’enzyme hépatique était normale. La seule responsable était Saccharomyces cerevisiae, la levure de boulanger et de bière, qui fermente les sucres contenus dans le pain, les pâtes, ou encore les frites, en alcool. En quantité trop importante, la fermentation devient presque systématique. Une véritable brasserie dans l’estomac…
« C’est le plus gros taux de levure que j’ai pu constater dans toute ma carrière »
Heureusement, ce syndrome se soigne. Ce sexagénaire a été soigné grâce à des antifongiques et un régime pauvre en glucides. Ce fut aussi le cas de Nick Hess, et d’un autre patient qui possédait 400 % de plus de levure dans ses intestins qu’un individu « sain ». « C’est le plus gros taux de levure que j’ai pu constater dans toute ma carrière, chez une personne », avait déclaré en 2015 le docteur Anup Kanodia, en charge de ses soins, à la BBC.
Face au peu de connaissances relatives à ce syndrome, certains scientifiques doutent de son existence. À l’instar du toxicologue britannique Wayne Jones: « Tout l’alcool que nous produisons dans l’intestin à partir des glucides doit passer par le foie avant de se retrouver dans la circulation sanguine. Or dans le foie, nous avons des enzymes qui transforment l’alcool de sorte que la quasi-totalité de celui-ci n’aille pas dans le sang », expliquait-il à la BBC. « Donc ces personnes ne peuvent pas produire assez d’alcool dans leur sang au point que cela ait une importance médicale, simplement à partir d’un déséquilibre du nombre de levures —à l’exception des quelques cas exceptionnels recensés au Japon », jugeait-il.
Selon l’avocate du Belge relaxé, son client a pu prouver qu’il était atteint de ce syndrome après avoir fait intervenir trois médecins au total dans cette procédure judiciaire.
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