L’incroyable lenteur de notre cerveau

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L'incroyable lenteur de notre cerveau
L'incroyable lenteur de notre cerveau

Africa-Press – Cameroun. À quelle vitesse tourne le cerveau humain? Voilà la question que se sont posée des neuroscientifiques du California Institute of Technology (Cal-tech), aux États-Unis. Pour y répondre, ils se sont appuyés sur la théorie de Shannon qui permet de quantifier le contenu en information d’un ensemble de données. Le tout est exprimé en bits.

Les chercheurs ont analysé une vaste quantité de littérature scientifique sur les comportements cognitifs humains. Par exemple, pour l’écriture, les dactylographes professionnels tapent en moyenne 120 mots de 5 caractères par minute, soit 10 frappes par seconde équivalant à une vitesse de 10 bits par seconde. Concernant la lecture, les discours les plus compréhensibles contiennent en moyenne 160 mots par minute, soit un débit de 13 bits par seconde.

Pour le traitement d’informations plus complexes, le meilleur joueur de Rubik’s Cube au monde résout le casse-tête à une vitesse de 11,8 bits par seconde. La mémoire des cartes se limite quant à elle à 17,7 bits par seconde, celle des chiffres à 4,9 bits par seconde. Pour un organe parfois qualifié d’ordinateur le plus puissant au monde, cela paraît très faible ! Les chercheurs furent les premiers surpris par cette lenteur. C’est pourquoi ils ont intitulé leurs recherches « L’insoutenable lenteur de l’être » (« The unbearable slowness of being « ), clin d’œil au célèbre roman de Milan Kundera.

De la pertinence de mesurer en bits la vitesse du cerveau

À titre de comparaison, une connexion Wi-Fi standard permet de traiter 50 millions de bits par seconde. Autre exemple: d’après les chercheurs, la totalité des informations qu’un humain peut apprendre au cours de sa vie tiendrait sur une simple clé USB ! Pourtant, ils rappellent également qu' »un seul œil peut transmettre 1,6 milliard de bits par seconde  » ! Si l’on ajoute nos autres sens, on arrive à plusieurs milliards d’informations captées par notre cerveau chaque seconde pour finalement n’en traiter qu’une quantité infinitésimale. Des recherches antérieures avaient déjà mis en lumière un écart entre notre processus de pensées et nos systèmes sensoriels. Mais encore fallait-il obtenir des données quantitatives sur le sujet. Voilà qui est chose faite.

Au sein de la communauté scientifique, l’étude ne fait pas l’unanimité. Première critique: le choix du bit comme unité, comme pour un ordinateur. « Un bit dans un ordinateur prend la valeur 1 ou 0, explique le neuroscientifique Albert Moukheiber, auteur du livre Neuromania (Allary Éditions, 2024). Alors que, dans l’étude, on utilise le mot ‘bit’ pour représenter n’importe quel bloc d’information comme une impulsion électrique dans un neurone.  » Pour lui, il faut donc se méfier du parallélisme entre le bit informatique et un bit neuronal, tout comme du parallélisme de rapidité entre le cerveau et l’ordinateur.

Première autrice de l’étude, la neurobiologiste Jieyu Zheng rétorque: « Tout comme nous pouvons mesurer l’eau que nous buvons et l’eau qui coule dans la rivière en litres, nous pouvons bien mesurer la vitesse de notre cerveau en bits. Il s’agit juste d’une unité.  » Selon elle, le cerveau et l’ordinateur « traitent des informations, même s’ils le font de manière radicalement différente « .

En tout cas, l’étude pose une question cruciale: pourquoi des centaines de millions d’années d’évolution ont-elles abouti à autant de lenteur? « On pense que le cerveau est performant, alors qu’il est d’abord robuste « , avance Olivier Hamant, biologiste à l’École normale supérieure de Lyon. Selon lui, notre société est organisée pour être hyperperformante, et nous avons ainsi tendance à tout interpréter sous le prisme de la performance. Or, le vivant n’est ni efficace, ni efficient. Il cherche avant tout à maintenir un système stable malgré les fluctuations, à court terme et à plus long terme.

Ce que l’on perçoit notamment avec le cerveau humain: les centaines de millions d’années d’évolution auraient optimisé l’encéphale de manière à le rendre plus robuste, c’est-à-dire adaptable dans le temps. « Une petite fille de 2 ans peut reconnaître des chiens à partir de trois ou quatre photos d’entraînement, alors qu’une intelligence artificielle en aura besoin de milliers de différentes races, sous différents angles de vue, peut-être aussi de photos de chats et de rats, avant de se montrer capable d’identifier un chien, illustre Albert Moukheiber. Finalement, toutes y parviennent mais en ayant suivi des chemins différents.  »

Quels chemins utilise le cerveau? C’est justement le sujet de la prochaine recherche pour les chercheurs californiens: découvrir quels sont les mécanismes neuronaux nous permettant de fonctionner à 10 bits par seconde. De façon juste adaptée à notre survie !

À la recherche d’un modèle valide

Dans leur étude, les chercheurs californiens présentent une vision informatique pure d’un cerveau qui reçoit des signaux entrants, qui calcule et envoie un signal sortant. Aujourd’hui, beaucoup de neuroscientifiques recherchent un modèle qui tienne compte des nombreuses fonctions que le cerveau gère en permanence, comme la respiration, la digestion, l’équilibre du corps, etc. La première piste est celle du traitement prédictif, selon lequel une grande partie des opérations mentales consiste à prédire le réel. Le cerveau s’économise en récoltant juste ce qu’il faut de signal entrant pour prédire ce qu’il va se passer. Inutile d’avoir une photo d’ultra haute définition d’une poignée pour ouvrir une porte.

La deuxième est celle de la cognition incarnée: un modèle théorique qui considère que le comportement humain n’est pas juste le fruit de l’activité cérébrale pure, mais de l’interaction entre le cerveau, le corps et l’environnement. « Ainsi, le cerveau est peut-être lent par rapport à une calculatrice, mais la calculatrice ne sait pas faire des pâtes à la sauce tomate « , observe avec humour Albert Moukheiber.

Par Aurore Braconnier

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