Raisons de la Longue Durée des Pandémies de Peste

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Raisons de la Longue Durée des Pandémies de Peste
Raisons de la Longue Durée des Pandémies de Peste

Africa-Press – Cameroun. Souvent perçue comme une maladie médiévale, la peste continue pourtant de circuler: l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé près de 50.000 cas entre 1990 et 2020, principalement à Madagascar, en République démocratique du Congo et au Pérou. “Aujourd’hui, les mesures d’hygiène et les traitements antibiotiques permettent d’endiguer l’infection. On ne connaîtra probablement plus de flambée de peste comme on a pu en affronter les siècles précédents,” avance Javier Pizarro-Cerdá, biologiste à l’Institut Pasteur.

En effet, Yersinia pestis, la bactérie responsable de la peste, est à l’origine de trois grandes pandémies, dont celle du 14e siècle, la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité. Pendant longtemps, les mécanismes biologiques derrière la dynamique de ces épidémies sont restés un mystère. « Elles ont été particulièrement étendues. Après la peste noire de 1347, l’épidémie réapparaît de manière périodique, tous les cinq ans environs, pendant pas moins de 400 ans ! », s’exclame le chercheur. « Puis elles finissent par disparaître d’elles-mêmes.”

Avec son équipe, et celle de l’Université de McMaster (Canada), Javier Pizarro-Cerdá a levé le voile sur leur évolution. La clé se trouve dans un gène très étudié de la bactérie, appelé pla. « Notre hypothèse est que Yersinia pestis s’est adaptée à la diminution progressive de la population humaine et des rongeurs », éclaire le scientifique, lors d’une interview pour Sciences et Avenir. Le gène pla, facteur de virulence bien connu aujourd’hui, a peu à peu disparu. Résultat?

Une survie plus longue des malades et des animaux infectés, et donc une meilleure propagation de la bactérie dans un milieu moins densément peuplé. L’étude a été publiée dans la prestigieuse revue Science.

Le gène pla, facteur de virulence

Depuis 2021, les deux instituts étudient ensemble le génome de Yersinia pestis. Hendrik Poinar, chercheur à la McMaster University, épluche les fragments génomiques provenant des tombes d’individus morts lors de la première pandémie de peste (de 541 à 749) et de la deuxième pandémie, datant du Moyen-Age.

« Il a étudié les signatures du bacille dans l’ordre chronologique de l’épidémie. Au début, il n’a trouvé que des bactéries sauvages, non mutées, mais en observant le génome des individus morts en fin de pandémie, il s’est rendu compte que les résidus d’ADN bactérien portaient une mutation bien spécifique du gène pla », rapporte Javier Pizarro-Cerdá.

La bactérie responsable de la peste possède un chromosome, et des plasmides, des molécules d’ADN circulaires capables de s’auto-répliquer et essentielles à la virulence du bacille. Sur l’un de ces plasmides, on trouve plusieurs copies du gène pla, « une dizaine le plus souvent », indique Javier Pizarro-Cerdá. Ce gène code pour une protéine ayant le même nom. Pla est plus précisément une enzyme capable de couper de nombreuses molécules. Elle est produite en grande quantité dans les bactéries sauvages, et elle est un des facteurs de virulence de cette bactérie.

Plusieurs hypothèses émergent pour tenter d’expliquer son action. D’une part, elle pourrait participer à dissoudre les caillots sanguins, ce qui empêcherait la coagulation et permettrait à la bactérie de diffuser plus facilement dans le corps. Pour Matthieu Lawrenz, chercheur à l’Université de Louisville, l’enzyme agirait plutôt sur l’aspect extérieur de la bactérie en coupant des molécules présentes à la surface de sa membrane. Ainsi, Yersinia pestis passerait inaperçue auprès du système immunitaire. « Aujourd’hui on ne peut pas trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces hypothèses, prévient Javier Pizarro-Cerdá. En revanche, on sait que cette enzyme est une clé du succès du bacille de la peste car elle la rend particulièrement dangereuse. »

La bactérie s’adapte à une population moins dense

D’après les observations des scientifiques pourtant, le nombre de copies du gène pla diminue drastiquement à mesure que les deux premières pandémies progressent. « Cette mutation se propage et à la fin de ces épidémies, on observe que les bacilles ont perdu 9 des 10 copies du gène pla, précise le chercheur. La production de l’enzyme Pla devient donc quasi inexistante, ce qui réduit considérablement la virulence de la bactérie. » Conséquence directe: en fin d’épidémie, les individus infectés vivaient plus longtemps. Mais en quoi cette adaptation a-t-elle constitué un avantage évolutif pour Yersinia pestis?

Au début des pandémies, les populations de rongeurs sont très abondantes. La bactérie prolifère normalement. Les individus sont très proches les uns des autres et les puces d’un rongeur mort infectent donc facilement un nouvel individu. Cependant, la maladie décime peu à peu ses hôtes, et les populations se clairsèment… « Une infection moins foudroyante et plus longue a donc constitué un avantage évolutif, multipliant les opportunités du bacille d’être transmis à d’autres rongeurs », explique Javier Pizarro-Cerdá.

Un individu pouvait ainsi transmettre la bactérie en vivant plus longtemps, à des populations de rongeurs plus éloignées. A noter que si cette mutation a aussi eu lieu lors de la troisième épidémie, entre 1855 et 1959, elle est beaucoup plus rare car la dynamique de l’épidémie est tout à fait différente: l’agent infectieux est connu et des mesures d’hygiène sont adoptées.

« La bactérie sauvage, non mutée, est celle qui a le plus d’avantages évolutifs pour se maintenir tout au long de l’histoire. La preuve: elle a été à l’origine de trois pandémies et continue de circuler, rappelle le biologiste. Mais il existe une fenêtre écologique dans laquelle la bactérie mutée (moins virulente, ndlr) a un avantage: des populations d’hôtes moins denses !”

Cette bactérie a donc tout pour s’éteindre au profit de la souche sauvage. Mais cette fenêtre écologique ne perdure pas éternellement et les bactéries mutées finissent par disparaître. La bactérie sauvage, en revanche, persiste dans d’autres écosystèmes et finit ainsi toujours par prendre le dessus.

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