Médecine Esthétique : qui Peut Pratiquer Légalement ?

7
Médecine Esthétique : qui Peut Pratiquer Légalement ?
Médecine Esthétique : qui Peut Pratiquer Légalement ?

Africa-Press – Cameroun. Après plus d’une décennie de flou juridique sur la pratique de la médecine esthétique, pour laquelle il n’existait plus de formation reconnue, un nouveau diplôme inter-universitaire (DIU) a vu le jour en janvier 2025. Une avancée importante alors que de plus en plus de patients tombent dans les filets de praticiens mal formés, voire de non-médecins coupables d’exercice illégal de la médecine.

La demande de médecine esthétique augmente

« Pendant qu’on épilait sa fille, une de mes patientes a été mise dans un fauteuil avec une coupe de champagne. Quelqu’un lui a proposé une injection – alors qu’il n’y a pas lieu d’induire un problème et un acte chez un patient qui n’en fait pas la demande – et elle a été injectée d’emblée, par un médecin certes mais sans interrogatoire ! », s’indigne la médecin dermatologue Martine Baspeyras, présidente de la Société Française d’Esthétique en Dermatologie et dont 50% de l’activité est consacrée à la médecine esthétique. Cette patiente dont elle narre l’anecdote se trouvait non pas dans son cabinet, mais dans l’un des nombreux centres esthétiques dont les devantures fleurissent en France.

Peeling, laser dépilatoire, cryolipolyse ou encore injections de toxine botulique (Botox) ou d’acide hyaluronique, ces centres répondent à une demande qui ne cesse de croître, alors que le marché de la médecine esthétique concerne déjà une Française sur dix. « Le marché français a triplé en dix ans, passant de 5 à 15 milliards d’euros », appuie Tracy Cohen Sayag, directrice générale de la Clinique des Champs-Elysées, dont les 20 centres français captent 20 à 25% des parts de marché hexagonal. Dans les années 2000, l’apparition des réseaux sociaux et des produits et techniques de médecine esthétique plus accessibles (injections, laser, etc) font enfler la demande. Depuis le confinement de la crise Covid en 2020, les médecins notent également un « effet visioconférence » qui oblige les gens à se voir sur leurs écrans et les rend plus sensibles à leur apparence. Face à cette demande croissante, les acteurs se multiplient, mais la réglementation peine à suivre.

Un nouveau diplôme très attendu

« Quand j’ai démarré en 1986 la France était pionnière, nous avions la première société savante de médecine esthétique au monde », se souvient la médecin généraliste spécialisée en médecine esthétique Catherine de Goursac, membre du conseil scientifique et d’administration de l’Association et de la Société Française de Médecine Esthétique (AFME et SFME). « Cela fait 40 ans, depuis les années 1990, que nous demandons la reconnaissance de la médecine esthétique en France. » Comme tous les autres acteurs du domaine et bien qu’elle regrette que cela ait tant tardé, elle se réjouit de l’inauguration du nouveau diplôme interuniversitaire (DIU) de médecine esthétique. « C’est 80 heures de cours théoriques et 100 heures de cours pratique », précise Catherine de Goursac.

La première promotion de 64 médecins a démarré les cours en janvier 2025 et sortira diplômée en juin 2026. « La médecine esthétique connait un essor considérable depuis les années 2000 avec une régulation insuffisante et trop de professionnels mal formés », reconnait le Dr Jean-François Delahaye, président du Conseil Régional de l’Ordre des Médecins (CNOM) de Bretagne et conseiller national en charge du DIU. Co-développé par le CNOM et les sociétés savantes concernées, ce DIU de médecine esthétique a vocation à remplacer un diplôme qui n’était plus reconnu par l’Ordre depuis 2013 qui l’a jugé « de qualité insuffisante », explique Jean-François Delahaye.

En sus du nouveau DIU, une validation des acquis par l’expérience (VAE) reconnue par le CNOM permettra bientôt aux médecins avec suffisamment de « bouteille » de faire certifier leur expertise. « Pour en bénéficier, il faudra prouver que vous faites de la médecine esthétique presque toute la journée, que vous vous formez en permanence », précise Catherine de Goursac. Si le DIU comme la VAE sont des avancées majeures pour la régularisation de la médecine esthétique, il faudra des années avant que les milliers de médecins pratiquant l’esthétique en France puissent régulariser leur situation.

En l’absence de source officielle, le nombre de ces praticiens peuvent être estimés entre 5.000 à 10.000 en se basant sur les ventes de matériel (seringues par exemple), dont seulement 5 à 10% pratiqueraient l’esthétique de façon exclusive. Pour Catherine de Goursac, ces chiffres qui circulent sont gonflés. « On table plutôt sur 2.500 médecins esthétiques dont 1.000 qui font de l’esthétique quasi exclusivement. »

Les centres esthétiques pratiquent une médecine de qualité hétérogène

Historiquement, les dermatologues et chirurgiens plasticiens étaient les seuls à avoir la formation nécessaire pour pratiquer la médecine esthétique sans spécialisation supplémentaire, ainsi que les gynécologues, ORL, chirurgiens maxillofaciaux et les ophtalmologues dans leurs zones anatomiques dédiées. S’y sont ensuite ajoutés les titulaires de ce premier diplôme, dont la fermeture a inauguré « une période de flou » quant aux acteurs autorisés à exercer. Or, dans le domaine médical, c’est principalement sur la santé des patients que ce flou pèse.

« Même si un décret récent a assoupli les conditions encadrant la pratique de l’épilation laser (infirmiers et esthéticiennes peuvent réaliser l’acte de façon autonome, et la première consultation avec un médecin doit simplement être recommandée, ndlr), dans de nombreux centres les patients ne voient jamais de médecin, ni même en première consultation », regrette Tracy Cohen Sayag. En dehors de cette exception concédée à l’épilation laser à l’été 2024, toute pratique de médecine esthétique doit être précédée d’une première consultation avec un médecin, qui fera un bilan avec la patiente de son historique, ses prises de médicaments, ses contre-indications éventuelles, afin de lui proposer un programme sur mesure. Ce sera ensuite de sa responsabilité de sélectionner les réglages adéquats sur les machines pour coller au mieux à la situation de sa patiente. Les séances d’épilation laser en elles-mêmes peuvent depuis 2018 être déléguées à une technicienne formée, mais toutes les autres pratiques de médecine esthétique doivent en revanche être réalisées par le médecin lui-même ou en sa présence et sous sa supervision.

En l’absence de diplôme reconnu et d’écosystème médical officiel, les centres qui s’ouvrent peinent à faire les choses correctement, même sans volonté de frauder, diagnostique Tracy Cohen Sayag. Le CNOM n’ayant d’autorité que sur les médecins, ce serait au ministère de la Santé que reviendrait la tâche de régulariser ces pratiques. Difficile cependant tant qu’il n’existait pas de directive et label officiel tel que ce nouveau DIU permettant d’harmoniser et de reconnaître les pratiques de médecine esthétique. Le résultat est une qualité de pratique hétérogène d’un centre à l’autre. « Même au sein d’une même chaîne, il y en a qui sont bien et d’autres non, cela dépend des villes et de qui dirige le centre », déplore Martine Beysperas.

Un flou dangereux pour les patients

Ultime injustice, les médecins ont interdiction de promouvoir leur pratique de quelque façon que ce soit, là où les centres esthétiques et les praticiens illégaux sans aucune qualification inondent internet de publicité. « Il y a un marché à deux vitesses. Aujourd’hui, 80 % des actes de médecine esthétique sont captés par des non médecins complètement illégaux », alerte Tracy Cohen Sayag. Ces « fake injectors » et même « fake chirurgiens » aux prix cassés pullulent sur les réseaux sociaux. « Une patiente m’a dit que la dame qui lui fait les ongles s’est formée sur YouTube et propose de lui faire des injections », raconte Martine Beysperas.

Catherine de Goursac a aussi son lot d’histoires liées à ces praticiens illicites. « L’une de mes patientes s’est fait injecter les fesses par un soi-disant médecin russe avec juste un compte Instagram, de façon complètement illégale en France. Elle a fait une cellulite aiguë, c’est-à-dire une infection majeure de la fesse », raconte-t-elle, décrivant un énorme abcès rouge et douloureux « à un point critique ». « La ‘médecin’ lui a donné des antibiotiques avec un packaging en cyrillique à une station de métro ! » s’indigne-t-elle.

Impossible de savoir ce que contenaient vraiment les produits utilisés, souvent commandés sur internet hors de tout marquage CE et parfois périmés. « Nous utilisons des seringues avec marquage CE stériles faites en usine, eux parfois ils prennent dans des bidons ! C’est l’horreur », s’épouvante Catherine de Goursac. Hors du cabinet médical, le suivi des éventuelles complications est impossible, et les petits effets indésirables peuvent se transformer en infections ou en nécroses et justifier un séjour à l’hôpital. « C’est affreux de voir des gens parfois jeunes abimés à vie, et tant que les gens ne portent pas plainte, on ne peut rien faire », déplore Martine Beysperas.

Les effets indésirables ne sont pas la seule incursion de la médecine esthétique dans le territoire de la classique « médecine pathologique ». « Je serais ravie qu’on m’explique à partir de quand une acné passe d’un problème médical à un problème esthétique », pointe-t-elle. Pour les praticiens illégaux, il ne s’agit plus de patients mais de clients, là où les médecins repèrent la contre-indication ou la pathologie pour proposer le parcours le plus adapté au patient… Quitte à dissuader. « Cela m’arrive régulièrement de refuser. J’ai une patiente qui voulait que je la réinjecte après deux ans, nous avons finalement convenu de nous revoir dans six mois à un an », relate Martine Beysperas. « On est d’abord médecins. L’une de mes patientes venait pour atténuer des tâches brunes, j’en ai enlevé une qui ne me plaisait pas au lieu de lui sauter dessus avec un laser. C’était un mélanome ! »

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Cameroun, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here