Africa-Press – Cameroun. Nos bactéries pourraient bien avoir un rôle endocrine, c’est-à-dire de production d’hormones ! Sous l’effet de nos gaz intestinaux, certaines bactéries de notre microbiote sont capables de produire des hormones sexuelles, d’après de nouveaux résultats publiés dans la revue Cell.
Parmi ces progestatifs bactériens, les chercheurs ont notamment identifié une molécule administrée comme traitement contre la dépression post-partum, l’alloprégnanolone, ouvrant de nouvelles perspectives de traitement par la manipulation du microbiote.
Le microbiote, un organe endocrinien supplémentaire
Elles se nomment Gordonibacter pamelaeae et Eggerthella lenta, elles résident dans nos intestins et ont un rôle surprenant. A partir d’hormones stéroïdes naturellement présentes dans la bile humaine, ces deux espèces bactériennes sont capables de produire des hormones sexuelles progestatives, à la fois régulatrices du cycle menstruel et de la grossesse et agissant au niveau du cerveau.
Ce dernier rôle pourrait bien être d’importance, puisque parmi les progestatifs produits par ces bactéries se trouve l’alloprégnanolone, qui exerce un effet anxiolytique et est même commercialisée sous le nom brexanolone sous forme d’injection contre la dépression post-partum. « Nous savons que le corps humain produit de la progestérone dans les glandes surrénales, le placenta et les ovaires. Nos travaux suggèrent que le microbiote agit comme un organe endocrinien supplémentaire », affirme Abigail Sloan Devlin, professeure de chimie organique et de pharmacologie à Harvard (Etats-Unis) et qui a dirigé ces travaux.
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« Dans les années 1960 et 1970, des chercheurs ont découvert que les bactéries intestinales convertissaient les glucocorticoïdes présents dans la bile humaine en progestatifs », relate la chercheuse. Les glucocorticoïdes, dont font partie le cortisol, sont des hormones naturellement sécrétées par les glandes surrénales (au-dessus des reins) et qui régulent le métabolisme du glucose et l’immunité. Sloan Devlin décrit un « trou de 40 ans » dans les recherches sur le sujet, n’ayant abouti à aucune identification de souche bactérienne ni à la découverte d’aucun des gènes bactériens responsables.
Des flatulences qui activent la production d’hormones sexuelles
C’est maintenant chose faite, après avoir surmonté de nombreux obstacles techniques et biologiques et au prix de plusieurs collaborations et de l’acquisition de nouvelles machines de précision afin de détecter les stéroïdes bactériens. « Les stéroïdes sont des molécules de signalisation extrêmement puissantes, mais cela signifie également qu’ils sont présents en faibles quantités dans le sang et les tissus, ce qui les rend difficiles à détecter et à quantifier », explique Sloan Devlin.
Encore plus élusifs, les gaz produits par les bactéries sont très difficiles à détecter et à quantifier en laboratoire. C’est pourtant une condition importante de la production de progestatifs par les bactéries G. pamelaeae et E. lenta. « Nous avons découvert qu’il était nécessaire de les cocultiver avec Escherichia coli Nissle 1917 », une souche de la bactérie Escherichia coli vivant dans nos intestins, explique Sloan Devlin. Un mystère que son équipe mettra des années à résoudre. « Nous avons fini par découvrir qu’E. coli produisait de l’hydrogène gazeux qui favorisait la réaction ! »
Cet hydrogène, c’est un produit naturel de notre digestion. C’est le gaz le plus communément produit dans nos intestins, suivi par le CO2 et le méthane, et qui donnent lieu aux flatulences. « Il s’agit d’un exemple de métabolisme coopératif par les bactéries intestinales: certaines bactéries produisent de l’hydrogène gazeux, ce qui favorise la production d’alloprégnanolone par d’autres bactéries intestinales », résume Sloan Devlin.
Protéger de la dépression post-partum grâce aux bactéries intestinales
Ces bactéries jouent-elles un rôle naturel dans la dépression post-partum ? « L’une des hypothèses pour expliquer l’apparition de la dépression post-partum est qu’il y a une chute précipitée de certaines hormones, y compris de certains neurostéroïdes, après l’accouchement », relate Sloan Devlin. Mais la raison pour laquelle cela ne se produit que chez une femme sur sept environ reste un mystère.
« L’un des résultats les plus frappants de notre article est que les niveaux d’alloprégnanolone sont 100 fois plus élevés dans les selles des femmes au cours du troisième trimestre de la grossesse que dans celles des personnes non enceintes », appuie la chercheuse, ce que l’augmentation naturelle de production des stéroïdes dans la bile ne peut pas expliquer entièrement.
« Cela suggère que les bactéries intestinales peuvent contribuer à la production d’alloprégnanolone pendant la grossesse », ajoute Sloan Devlin. Une intuition confirmée par des niveaux significativement plus élevés de l’expression des gènes bactériens responsables de cette production à la fin de la gestation. « L’ensemble de ces données suggère que le microbiote contribue fortement à la production d’alloprégnanolone dans l’intestin, qui peut avoir des effets sur la santé de l’hôte, y compris sur son comportement », conclut-elle. « A terme, nous pourrions envisager des thérapies ciblées sur les microbiotes pour des maladies neurologiques telles que la dépression. »
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