Africa-Press – Cameroun. Que sait-on des vêtements que l’on portait autrefois? Pas grand-chose, car les textiles font partie des vestiges organiques subsistant rarement en contexte archéologique. Pour qu’ils se conservent, il faut des conditions extrêmes, comme l’aridité du désert du Taklamakan, aux confins occidentaux de la Chine, où l’on a mis au jour des momies encore revêtues de leurs habits. Cette région d’oasis autrefois verdoyantes se trouvait sur le parcours de la première Route de la soie, un réseau commercial reliant l’Asie orientale à la Méditerranée.
Dans le cadre d’un projet intitulé « La mode de la Route de la soie », une équipe internationale étudie des vêtements retrouvés sur ce trajet mythique, telle l’étonnante panoplie d’une jeune noble ayant vécu il y a 2000 ans dans l’oasis de Niya, au sud du bassin du Tarim. L’analyse et la reconstitution de ce trousseau de dix pièces composant trois tenues différentes dévoilent non seulement la maîtrise technique – presque avant-gardiste –, mais aussi l’originalité de cette jeune femme qui avait adopté la mode de trois aires culturelles différentes pour créer son propre style. Un témoignage exceptionnel, qui a exigé dix ans de labeur.
Pantalon de cavalière et manteau de cérémonie: découverte du vestiaire exceptionnel d’une momie de la Route de la soie
Sur le site archéologique de Niya, dans l’actuelle région autonome ouïghoure du Xinjiang, une équipe sino-japonaise a mis au jour à la fin du 20e siècle plusieurs tombes intactes contenant encore des défunts, mais aussi leurs vêtements, accessoires et autres objets funéraires. Malgré la rareté des bijoux précieux, la qualité des tissus – de la soie à motifs polychromes – et certains insignes laissent penser qu’il s’agit de souverains ayant vécu entre le 2e siècle avant notre ère et le 4e siècle de notre ère. À cette époque, Niya était une ville cosmopolite ; elle se trouvait sur le trajet de la première Route de la soie (100 avant notre ère-250 de notre ère), un terme qui désigne non seulement « un commerce transcontinental et maritime », mais aussi une forme de « mondialisation archaïque » par le biais d’une « interaction économique et sociale de grande envergure », expliquent les chercheurs dans la revue Archæological Research in Asia.
Les vêtements sont des marqueurs culturels et sociaux
Pour prendre la mesure de ces échanges entre populations, les chercheurs s’attachent à étudier les vêtements de l’époque, dans la mesure où ils agissent en tant que « marqueurs de régions géographiques et climatiques, de savoirs et de traditions artisanales ainsi que de statuts sociaux ». Par exemple, la première étude de cas réalisée dans le cadre du projet portait sur la tenue de laine d’un homme ayant vécu vers 1000 avant notre ère dans l’oasis de Tourfan, sur la branche nord de la Route de la soie, ce qui a permis de mettre en évidence « la diffusion des technologies de tissage de l’Asie occidentale et du Caucase vers l’Asie centrale et orientale, ainsi que leur adaptation locale », rapportent les chercheurs.
Mais à Niya, les défunts sont bien plus riches, ils sont vêtus de soie venue de Chine. Inhumée près du couple royal entre 60 et 130 de notre ère, une jeune femme porte cependant aussi des habits de laine. Cette juxtaposition entre luxe et rusticité interroge les chercheurs, qui ont décidé d’analyser son trousseau dans les moindres détails en le reconstituant.
Reproduire les vêtements pour comprendre comment ils ont été fabriqués
C’est en effet en reproduisant ces vêtements que l’on peut déterminer comment ils ont été fabriqués et portés, explique à Sciences et Avenir la première auteure de l’étude, Mayke Wagner, directrice adjointe du département Eurasie et directrice de l’antenne de Pékin de l’Institut archéologique allemand. « En étudiant les vêtements de la jeune femme de Niya, nous avons vu l’opportunité d’en apprendre davantage tant sur la fabrication des tissus que sur leur utilisation dans la ‘construction’ des vêtements autour du corps humain. J’utilise délibérément le mot ‘construction’, car la fabrication de vêtements est similaire à la construction de bâtiments: elles nécessitent toutes deux une représentation tridimensionnelle et des connaissances en mathématiques et en géométrie. »
Trois ensembles différents en laine et en soie
Ce qui fait la particularité de ce trousseau, c’est sa très bonne conservation, mais aussi son ampleur, puisqu’il compte neuf vêtements, complétés par une ceinture et deux pochettes en laine contenant plusieurs artefacts. La jeune femme portait trois ensembles différents l’un sur l’autre que les chercheurs reconstituent ainsi: au plus près du corps elle était vêtue d’une blouse de soie, d’un pantalon ample en laine froncé à la cheville (ou culotte bouffante, bloomer en anglais), d’une paire de chaussettes et de chaussures ; par-dessus son pantalon, une jupe portefeuille était assortie au chemisier de soie ; une robe tunique en soie ornée d’un plastron et de bandes tissées recouvrait le tout ; enfin un grand manteau peignoir servait de dernière couche avant la couverture de feutre qui enveloppait le corps, déposé dans un cercueil en tronc de peuplier.
Toujours prête, même dans l’au-delà
À quoi correspond cette abondance de vêtements à la fois pratiques et cérémoniels, semblant liés à des usages très différents? Difficile de le savoir, nous répond Mayke Wagner: « Il n’existe aucune épitaphe ni aucun texte de cette époque qui pourraient nous renseigner sur un code ou des prescriptions vestimentaires régissant la vie et les funérailles de cette communauté. Nous ne pouvons donc que spéculer: peut-être devait-elle être habillée de manière appropriée pour toutes les situations possibles dans l’au-delà, être toujours en mesure de choisir la bonne tenue. »
Un pantalon de cavalière savamment rapiécé
D’un point de vue archéologique, l’analyse de la facture des vêtements a permis de comprendre les techniques de coupe, de couture et de tissage employées. La pièce préférée de Mayke Wagner, c’est « le pantalon sans hésitation. Il est incroyablement doux ! Et si souvent rapiécé. Étonnamment, il ressemble aux pantalons d’Amelia Bloomer, qui a donné son nom à cette coupe de pantalon large resserré à la cheville ».
Fabriqué à partir d’une vingtaine de pièces, il est rembourré par du molleton au niveau de l’aine, ce qui laisse penser que la jeune femme était une cavalière.
Raffinement et complexité
D’autres détails montrent le raffinement et la complexité de cette panoplie: les deux pièces composant les chaussettes sont cousues avec un point de surjet pour que la couture ne gêne pas le pied ; le chemisier de soie est constitué de deux panneaux qui s’imbriquent l’un dans l’autre au niveau de la manche par une incision ; des soufflets sous les aisselles permettent une plus grande liberté de mouvement ; les manchettes, si élégantes, sont fabriquées à partir de chutes.
Les chercheurs ont aussi noté une grande ingéniosité pour rendre ces vêtements fonctionnels et, surtout, une extrême inventivité, comme nous le confie Mayke Wagner: « En fait, chaque élément de sa tenue nous a surpris et impressionnés. Tous les éléments en soie étaient des chefs-d’œuvre de couture créative, ce que nous appellerions aujourd’hui de la haute couture. J’ai trouvé audacieuse la combinaison de la soie aérienne et de la laine rustique dans sa robe-tunique. Et ce qui m’a le plus fascinée, c’est à quel point l’ensemble chemisier-jupe ressemble à s’y méprendre à la mode féminine européenne des années 1910. »
On tisse la soie depuis plus de 5000 ans
Comment une jeune habitante d’une oasis d’Asie centrale pouvait-elle accéder à ces tissus et à ces techniques si modernes dès le 1er siècle de notre ère? La parcimonie des vestiges textiles ne nous laisse pas supposer la qualité des vêtements d’autrefois. On oublie ainsi que le plus ancien tissu de soie jamais découvert date de plus de 5000 ans ! Au 1er siècle, les tisserands et couturiers, hommes et femmes, sont des experts, et ce, sur tout le parcours de la Route de la soie. Le costume de la jeune femme en constitue la preuve la plus éblouissante, car il réunit des pièces relevant de plusieurs aires culturelles.
Au carrefour de trois influences culturelles
Son pantalon bouffant et sa robe-tunique se rattachent en effet au style adopté par les cavaliers des steppes du 1er millénaire avant notre ère, popularisé par les Parthes ; la jupe portefeuille pourrait avoir été importée de Chine ; quant au manteau peignoir, il relève dans sa construction de base du style chinois classique de la dynastie Han, mais le volumineux volant rose plissé à l’ourlet est une marque de fabrique locale. « Il y a 2000 ans, en plein cœur de l’Eurasie, il existait déjà une incroyable variété de styles vestimentaires, et ils étaient tous conçus pour être très fonctionnels », commente Mayke Wagner.
Un style finalement très personnel
La panoplie de la jeune noble comporte également des éléments régionaux, comme son pantalon bouffant, grâce auquel les chercheurs savent désormais « comment il pouvait être fabriqué et qu’il pouvait également être porté par une femme ». Les insertions de bandes tissées à motifs floraux le rendent en effet unique, de même que les chaussures et la pochette assorties: « ce sont les seuls realia connus qui illustrent l’utilisation de ce type de textile ».
Pour ce qui est de la blouse à col montant, fermée par des rubans au niveau du cou, il n’en existe aucun autre exemple ni en Asie centrale, ni en Chine orientale. Ce qui fait dire aux chercheurs que cette panoplie est « à la fois cosmopolite, locale et individuelle », un signe évident de modernité.
Des bandes tissées dessinant des motifs floraux sont insérées dans les jambes du pantalon (A et B) et les chaussures (C). Crédits: Dominic Hosner / DAI-EA / Wagner et al., 2025
Le vêtement est une expression vivante de la personnalité
Voilà qui rejoint le second objectif du projet, qui ne se limite pas à analyser le vêtement comme un objet « mort », mais qui le conçoit comme mode d’expression vivant de l’individualité: « L’une des questions auxquelles nous voulions répondre était la suivante: par quels moyens techniques sa personnalité s’est-elle exprimée? », raconte Mayke Wagner. Si la jeune femme faisait sans nul doute partie de l’élite locale, elle s’inscrit surtout dans un contexte où différentes parties du monde étaient capables de communiquer et d’échanger. C’est ce que montre le savant patchwork de tenues qu’elle s’est concocté: « Les vêtements de cette jeune femme sont un témoignage très personnel de la mode vestimentaire en Asie centrale il y a 2000 ans, conclut l’archéologue, lorsque Niya faisait partie de ce monde où l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Asie étaient étroitement liées. »
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