Africa-Press – CentrAfricaine. Dans les différents quartiers des arrondissements de Bangui, où les habitant circulent entre les nids-de-poule béants et les détritus qui s’accumulent, une question revient sans cesse sur les lèvres: “Mais où sont passés tous ces milliards de RCPCA qu’on nous a promis depuis près de dix ans?”. La réponse se trouve peut-être dans les fastueux quartiers présidentiel de Boy-Rabe ou de Bellevue dans le septième arrondissement de la capitale, où poussent comme des champignons des villas aux allures de palais, propriétés de ceux qui gravitent autour du pouvoir de Faustin-Archange Touadéra.
En effet, depuis 2016, le chef de l’État centrafricain Baba Kongoboro a fait de la “sortie de crise” son fonds de commerce. Un business juteux qui rapporte gros à son cercle rapproché, pendant que le peuple centrafricain continue de creuser sa tombe dans la misère absolue. Le Plan de Relèvement et de Consolidation de la Paix (RCPCA) avait promis 600 milliards de FCFA pour sortir le pays du gouffre. Aujourd’hui, avec un nouveau Plan National de Développement (PND) 2024-2028, c’est carrément 7000 milliards que Touadéra compte arnaquer aux bailleurs de fonds internationaux.
Le pays revient de loin. Le pays vient de sortir d’une grande crise. Tout a été détruit pas la crise ! Entend-on partout dans les propos des personnalités du régime. Cette ritournelle est devenue l’hymne officieux du régime Touadéra. Chaque sommet international, chaque rencontre avec les partenaires, chaque demande de financement s’accompagne du même refrain larmoyant: la Centrafrique sort d’une crise, entre dans une autre, ou se prépare à éviter la prochaine.
Mais pendant que le président joue les victimes professionnelles sur la scène internationale, lui et ses proches s’enrichissent de manière obscène. Les 1600 milliards du RCPCA? Volatilisés comme fumée au vent du sahel. Les routes promises restent des pistes de sable rouge qui deviennent des torrents à chaque saison sèche, pour ne pas dire Bourou. Les hôpitaux annoncés demeurent des carcasses de béton où les malades viennent mourir faute de soins. Les écoles tant vantées n’existent que sur le papier glacé des rapports de bailleurs.
L’Afrique regorge pourtant d’exemples de pays qui ont su tourner la page de leurs drames sans transformer la tragédie en commerce. Au Rwanda, Paul Kagame n’a pas passé vingt ans à pleurnicher sur le génocide de 1994. En une décennie, Kigali est devenue une vitrine continentale, avec des routes impeccables, un système de santé fonctionnel et une économie en croissance constante.
Au Kenya par exemple, la population a digéré les violences post-électorales de 2007-2008 qui avaient fait plus de 1000 morts, sans pour autant en faire un fonds de commerce éternel. Nairobi s’est muée en hub technologique continental, attirant investisseurs et innovations.
Même le Burkina Faso, malgré l’instabilité sécuritaire, continue de bâtir sans mendier à longueur d’année. Ces dirigeants africains ont compris qu’on ne construit pas un État sur la mendicité internationale et la complainte permanente.
En Centrafrique, c’est tout l’inverse. Touadéra et sa bande ont fait de la “sortie de crise” leur gagne-pain. Chaque nouvelle catastrophe devient prétexte à quémander davantage. Chaque échec se transforme en argument pour réclamer plus de milliards. C’est du racket institutionnalisé, exercé au plus haut niveau de l’État.
Les Toyota Land-Cruiser flambant neuves qui sillonnent les artères de Bangui, les voyages tous frais payés en Europe, les comptes bien garnis dans les banques offshore: voilà où finissent les fonds de la “sortie de crise”. Sans oublier les mercenaires russes de Wagner, grassement rémunérés pour maintenir ce système de prédation en place.
Pendant ce temps, dans les quartiers de Bangui, de Berberati ou de Bambari, les familles continuent de s’éclairer à la lampe à pétrole, de puiser l’eau dans des puits souillés et d’espérer que leurs enfants survivront aux maladies qui déciment faute de centres de santé dignes de ce nom.
Le plus tragique dans cette comédie, c’est la naïveté – ou la complicité – des partenaires internationaux. À chaque nouvelle demande de financement, les mêmes institutions se laissent attendrir par le discours victimaire de Touadéra. Les rapports de suivi existent, certes, mais ils se contentent souvent de constater l’évaporation des fonds sans vraiment exiger de comptes.
L’Union européenne, la Banque mondiale, la France: tous continuent d’alimenter cette machine à blanchir l’argent public qu’est devenue la “sortie de crise” version Touadéra. Comme si dix ans d’échecs patents ne suffisaient pas à ouvrir les yeux sur cette gigantesque escroquerie.
Au bout du compte, c’est le peuple centrafricain qui paie l’addition de cette prédation organisée. Chaque franc détourné, c’est un dispensaire qui ne verra jamais le jour, une école qui restera fermée, une route qui demeurera impraticable. Chaque villa qui pousse dans les beaux quartiers de Bangui, c’est l’espoir de milliers de familles qui s’évanouit.
Dix ans après l’arrivée de Touadéra au pouvoir, la Centrafrique n’est pas sortie de crise: elle s’est installée dans un système où la crise devient rentable pour ceux qui la gèrent. Un racket d’État sophistiqué, habillé des oripeaux de la coopération internationale, mais qui ne profite qu’à une poignée de prédateurs au sommet.
La question n’est plus de savoir quand la Centrafrique sortira de crise, mais plutôt quand elle sortira de ce système mafieux qui transforme chaque drame du peuple en opportunité d’enrichissement pour ses dirigeants….
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