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En effet, le Conseil des ministres du 15 mai dernier, sous la présidence de Faustin-Archange Touadéra alias Baba Kongoboro, a adopté un décret prolongeant jusqu’en 2030 la politique sectorielle de la justice, initialement prévue pour 2020-2024. Présentée comme une démarche stratégique pour consolider les acquis, cette décision trahit en réalité l’incapacité du gouvernement à atteindre les objectifs fixés il y a cinq ans. L’ambition était pourtant claire: rétablir un système judiciaire équitable, accessible à tous, et capable de répondre aux aspirations des Centrafricains. Mais en 2025, la justice reste un luxe, gangrénée par l’impunité, des infrastructures défaillantes et une inégalité criante dans l’accès au droit.
Le comité de pilotage, chargé d’évaluer cette politique, a dressé un constat accablant, bien que le compte rendu tente d’enrober la réalité dans un jargon technocratique. Les sessions criminelles, importantes pour lutter contre l’impunité, restent irrégulières et fonctionnent male, faute de moyens. Les conditions de détention, inhumaines, continuent de violer les droits fondamentaux des prisonniers. L’aide légale, censée garantir un accès équitable à la justice, est quasi inexistante hors des grandes villes. Quant à la Cour pénale spéciale, souvent mise en avant comme un fleuron, elle est perçue par beaucoup comme un outil au service d’agendas internationaux. Pourquoi, après cinq ans, ces problèmes fondamentaux persistent-ils? La prorogation n’est-elle qu’un moyen de gagner du temps face à un échec patent?
Le compte rendu du conseil des ministres énumère des recommandations issues de la revue de la politique: organiser des sessions criminelles régulières, augmenter le budget pour l’alimentation des détenus, renforcer l’aide légale. Ces mesures, bien que nécessaires, sont d’une banalité désarmante. Elles auraient dû être mises en œuvre dès 2020, au lancement de la politique. Demander en 2025 un « budget adéquat » pour des besoins aussi élémentaires que nourrir les détenus révèle une négligence coupable. Où sont les résultats concrets des 230 milliards de FCFA alloués au secteur judiciaire entre 2020 et 2024, selon les estimations du Plan national de développement? Cette absence de bilan chiffré dans le compte rendu alimente les soupçons de mauvaise gestion, voire de détournement.
Pire, le gouvernement semble se contenter de solutions superficielles. Prolonger une politique sans en réviser les fondements revient à poser un pansement sur une plaie infectée. Aucune réforme structurelle n’est évoquée: ni modernisation des tribunaux, ni recrutement massif de magistrats, ni lutte contre la corruption judiciaire, endémique dans le pays. La RCA compte moins de 200 magistrats pour 5 millions d’habitants, un ratio parmi les plus faibles d’Afrique. Comment, dans ces conditions, prétendre offrir une « justice de qualité accessible à tous »? Le gouvernement esquive ces questions, préférant des déclarations d’intention à des engagements concrets.
La politique sectorielle, en se focalisant sur des institutions comme la Cour pénale spéciale, creuse un fossé entre une justice d’élite, financée par des partenaires internationaux, et une justice nationale, laissée à l’abandon. Les tribunaux de province, souvent dépourvus de juges et des avocats, voir même de matériel, sont inaccessibles à la majorité des Centrafricains, en particulier dans les zones rurales. Cette fracture géographique et sociale renforce le sentiment d’injustice: pendant que Bangui bénéficie d’une vitrine judiciaire, les citoyens des préfectures sont livrés à des arrangements informels ou à l’arbitraire des autorités locales.
L’aide légale, vantée comme un pilier de la politique, reste un mirage. Sans avocats en nombre suffisant ni financements clairs, les plus démunis n’ont aucun recours face à l’arbitraire. Le compte rendu évoque une « mise en œuvre » de l’aide légale, mais sans préciser combien de personnes en ont bénéficié ou combien de dossiers ont été traités. Cette opacité est révélatrice: le gouvernement préfère les effets d’annonce aux résultats mesurables.
La prorogation s’appuie sur une promesse floue: aligner la politique sur le Plan national de développement. Mais ce plan, ambitieux sur le papier, souffre d’un déficit chronique de financement. Le compte rendu mentionne la nécessité d’un « budget adéquat » sans indiquer comment il sera mobilisé. Dans un pays où les recettes fiscales couvrent à peine les salaires des fonctionnaires, cette absence de plan financier est une chimère. Les partenaires internationaux, souvent sollicités, ne peuvent pallier indéfiniment les carences de l’État. En l’absence d’une stratégie claire pour augmenter les ressources internes, la justice restera sous perfusion, incapable de répondre aux besoins de la population.
Le gouvernement semble également ignorer les causes profondes des dysfonctionnements judiciaires. La formation des magistrats est insuffisante, les infrastructures sont vétustes, et la corruption gangrène le système. Prolonger une politique qui n’a pas abordé ces problèmes structurels est une fuite en avant….
Source: Corbeau News Centrafrique
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