Africa-Press – CentrAfricaine.
Pourtant, dès le premier mois d’occupation, les ennuis ont commencé avec des versements irréguliers des loyers. Arrivée à un moment, les frais n’arrivaient pas. Baba Gaston, patient comme le sont souvent les personnes âgées, a attendu. Il s’est dit qu’un magistrat avait certainement des contraintes administratives, des retards de salaire, des problèmes temporaires. Le deuxième mois est passé sans paiement. Puis le troisième. À chaque visite du propriétaire, le juge promettait de régulariser “très bientôt”. Onze mois ont ainsi défilé sans qu’un seul franc ne soit versé.
Ce qui rend cette situation encore plus révoltante, c’est l’attitude du magistrat pendant cette période. Matare Nguerefara Robert continuait de mener grand train. Il se rendait quotidiennement à son tribunal, rendait des jugements, condamnait des citoyens pour des délits mineurs, prêchait le respect de la loi. Mais à Bangui, sa femme et ses enfants occupaient tranquillement la maison qu’il ne paye même pas, allumait l’électricité que Baba Gaston installait à ses propres moyens, et dormait dans un lit qui ne lui appartenait pas. Cette duplicité quotidienne aurait dû alerter ses collègues, ses supérieurs, son entourage. Personne n’a bronché.
Pressé par les réclamations de plus en plus désespérées du propriétaire, le juge a fini par sortir son carnet de chèques en janvier 2025. Il a rédigé un chèque de 180 000 FCFA, censé couvrir trois mois de retard de loyer. Baba Gaston, soulagé, s’est précipité à la Banque Maroco-centrafricaine pour l’encaisser. Première présentation: chèque refusé, provision insuffisante. Le vieil homme a pensé à une erreur technique. Deuxième présentation quelques jours plus tard: même résultat. Troisième tentative: rejet définitif.
Un chèque sans provision émis par un magistrat, voilà qui devrait déclencher automatiquement des sanctions bancaires et judiciaires. Dans n’importe quel pays où les institutions fonctionnent, Matare Nguerefara aurait été immédiatement inscrit au fichier des incidents de paiement, interdit bancaire, et poursuivi pénalement en justice. L’émission d’un chèque sans provision constitue un délit passible d’emprisonnement selon le code pénal centrafricain. Mais quand vous portez la robe de magistrat dans ce pays, ces règles semblent ne plus s’appliquer.
Le juge a continué sa vie normale comme si de rien n’était. Aucune banque ne l’a sanctionné. Aucun parquet ne l’a poursuivi. Aucune autorité judiciaire ne s’est émue de voir l’un des siens commettre un délit grave. Pendant ce temps, sa dette continuait de gonfler. En avril 2025, elle atteignait 400 000 FCFA, soit près de sept mois de loyer impayés.
Désespéré, Baba Gaston avait tenté la voie judiciaire. Il s’était rendu au tribunal de commerce de Bangui pour déposer une plainte contre son locataire indélicat. Le dossier était solide: contrat de bail signé, témoins, preuves des réclamations, chèque sans provision. N’importe quel juge impartial aurait tranché rapidement en faveur du propriétaire lésé.
Mais les magistrats du tribunal de commerce avaient d’autres priorités. Dès qu’ils ont découvert l’identité du défendeur, leur attitude a changé. Matare Nguerefara Robert n’était pas un justiciable ordinaire, c’était un collègue. Un membre de la grande famille judiciaire. Les audiences ont été reportées sine die. Les juges ont refusé d’examiner le dossier. Leur seule réponse aux réclamations du propriétaire: “Il va payer, soyez patient”.
Cette complicité corporatiste montre clairement l’un des maux les plus profonds de la justice centrafricaine: l’esprit de corps qui transforme les magistrats en caste protégée. Quand l’un d’eux commet une faute, les autres ferment les yeux. Ils préfèrent protéger l’honneur supposé de l’institution plutôt que de rendre justice aux victimes. Cette solidarité mal comprise détruit la crédibilité de tout le système judiciaire en RCA.
Pendant que les juges du commerce protégeaient leur collègue, Baba Gaston sombrait dans la détresse. À 68 ans, ce retraité sans pension ne vivait que des 60 000 FCFA mensuels de son loyer. Chaque mois impayé signifiait des privations terribles: pas de quoi acheter ses médicaments contre l’hypertension, des repas réduits au strict minimum. Ses enfants, même s’ils travaillent, ils ne pouvaient pas couvrir tous ses besoins.
Le vieil homme maigrissait à vue d’œil. Ses voisins le voyaient errer dans le quartier, l’air hagard, répétant sans cesse: “Comment un juge peut-il me voler ainsi?”. Il passait des nuits entières sans dormir, à ressasser cette injustice qui le rongeait. Son médecin lui avait prescrit du repos, moins de stress. Mais comment rester serein quand un magistrat vous vole votre gagne-pain en toute impunité?
Le 23 juin 2025, le corps de Baba Gaston a lâché. Un soir, ses enfants l’ont trouvé effondré dans sa chambre, victime d’un accident vasculaire cérébral massif. Le vieil homme est décédé deux jours plus tard à l’hôpital. Ses derniers mots, selon les témoins, concernaient encore cette dette impayée qui l’obsédait: “Le juge… ma maison… il ne veut pas payer…”.
Sa famille est convaincue que le comportement de Matare Nguerefara a directement provoqué cette mort. Le stress permanent, l’angoisse financière, l’humiliation de voir un magistrat se moquer de lui, tout cela a précipité la fin de Baba Gaston. Les médecins confirment que l’hypertension artérielle, aggravée par des mois d’anxiété intense, a causé l’AVC fatal.
Informé du décès de son propriétaire, le juge n’a manifesté aucune émotion. Pas un mot de condoléances à la famille endeuillée. Pas un geste de compassion. Pas même la décence de libérer immédiatement la maison du défunt. Matare Nguerefara Robert a continué d’y habiter comme si rien ne s’était passé, comme s’il n’avait pas sur la conscience la mort d’un innocent.
Les enfants de Baba Gaston, désormais orphelins, se sont alors tournés vers l’Inspection générale des services judiciaires. Cette institution, créée pour surveiller les magistrats et sanctionner leurs fautes, représentait leur dernier espoir d’obtenir justice. Ils pensaient naïvement qu’un inspecteur général saisirait immédiatement un dossier aussi grave: un juge qui refuse de payer ses dettes, provoque la mort de son créancier, et continue d’exercer sans être inquiété.
Leur déception a été immense. L’inspecteur général saisi du dossier a refusé d’agir directement. Au lieu de convoquer immédiatement le magistrat fautif, il a demandé aux orphelins de faire eux-mêmes le travail de l’État. “Appelez le greffier en chef pour qu’il convoque le magistrat”, leur a-t-il dit. Cette inversion des rôles démontre l’état de déliquescence de l’institution judiciaire centrafricaine: ce ne sont plus les autorités qui protègent les victimes, mais les victimes qui doivent suppléer les autorités défaillantes.
Obéissant à cette demande absurde, les héritiers ont contacté le greffier en chef. Celui-ci a effectivement convoqué Matare Nguerefara Robert, mais en organisant soigneusement l’exclusion de la famille. Cette rencontre à huis clos entre collègues avait un objectif: permettre au juge de minimiser sa faute et de négocier un arrangement à l’amiable.
Durant cette entrevue secrète, le magistrat a nié une partie de sa dette. Au lieu des dix mois d’impayés documentés, il n’a “reconnu” que quatre mois. Cette réduction pathétique et criminelle de 60% ne reposait sur aucune base légale. Comment peut-on passer de dix mois à quatre mois? Quels mois ont été magiquement effacés? Sur quels critères? Aucune explication n’a été fournie. Le greffier en chef, manifestement complice, a entériné cette version sans poser de questions.
Quand les orphelins sont revenus aux nouvelles, l’inspecteur général leur a annoncé ce nouvel état de fait avec un aplomb déconcertant: “Le magistrat est venu, il a reconnu quatre mois. Si vous dites que c’est dix, apportez les preuves”. Cette phrase montre toute la perversité du système. Les héritiers avaient déjà fourni toutes les preuves: contrat de bail, témoignages, plainte déposée en avril, chèque sans provision. Mais l’inspection préférait croire la parole du juge plutôt que les documents officiels.
Les enfants de Baba Gaston ont dû ressortir une nouvelle fois tous leurs dossiers. Ils ont apporté les quittances, les lettres de réclamation, les témoignages des voisins, le chèque refusé par la banque. Chaque document prouvait irréfutablement que leur père réclamait dix mois de loyers impayés, pas quatre. Face à ces preuves accablantes, l’inspection n’a plus pu nier l’évidence. Mais au lieu de sanctionner le magistrat menteur, elle a choisi l’inaction.
Sa conclusion définitive tient en quelques mots: “C’est un fonctionnaire de l’État, il va payer”. Cette phrase, répétée comme un mantra depuis des mois, ne trompe plus personne. Elle signifie simplement que l’inspection refuse d’agir contre l’un des siens. Le statut de “fonctionnaire de l’État” devient un bouclier qui protège le juge de toute sanction.
Depuis cette promesse creuse, rien n’a bougé. Aucune procédure disciplinaire n’a été ouverte contre Matare Nguerefara. Aucune contrainte n’a été exercée pour le forcer à payer. Aucune expulsion n’a été ordonnée. Le magistrat continue d’habiter tranquillement la maison de Baba Gaston, comme s’il en était devenu propriétaire par prescription acquisitive. Ce mois d’août, il totalise 11 mois sans payer un fran.
Cette impunité totale pose des questions vertigineuses sur l’état de la justice centrafricaine. Comment un système judiciaire peut-il fonctionner quand ses propres acteurs se placent au-dessus des lois qu’ils appliquent aux autres? Comment des magistrats peuvent-ils condamner des citoyens pour des délits mineurs quand l’un d’eux commet des fautes graves sans être inquiété?
Le comportement de Matare Nguerefara Robert dépasse la simple indélicatesse. Il relève de l’escroquerie aggravée. Ce juge a sciemment trompé un vieil homme sans défense. Il a émis un chèque sans provision en connaissance de cause. Il a provoqué la mort de son créancier par son mépris et sa cupidité. Il continue d’occuper illégalement un bien qui ne lui appartient pas. Chacun de ces actes constitue un délit pénal passible de prison.
Pourtant, ce magistrat continue de siéger dans son tribunal de Carnot. Il porte toujours la robe rouge, symbole de justice et d’intégrité. Il prononce des jugements, condamne des prévenus, prêche le respect de la loi. Cette situation grotesque transforme chaque audience en comédie. Comment peut-on croire à la justice d’un homme qui refuse de respecter ses propres obligations?
Les avocats qui plaident devant lui le savent. Les justiciables qui comparaissent dans son tribunal le découvrent. Les greffiers qui l’assistent en sont témoins. Tout le monde connaît l’affaire Baba Gaston dans le milieu judiciaire centrafricain. Mais personne n’ose parler. La loi du silence protège ce magistrat indigne mieux que n’importe quelle procédure légale.
Source: Corbeau News Centrafrique
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