Africa-Press – CentrAfricaine. Depuis les inondations survenues à Ndjoukou, dans la préfecture de la Kémo, les habitants dorment à la belle étoile. Une centaine de maisons se sont effondrées dans la commune de Galafondo et plusieurs villages environnants, notamment Bessontoise, Mangiaoto et Ngbemanguli. Des familles entières ont tout perdu. Elles n’ont plus de toit, plus de biens, plus rien.
Et que leur dit leur député, Jean-Claude Komian-Sambia, élu pour les représenter et défendre leurs intérêts? “Prenez votre mal en patience.”
Prenez votre mal en patience. Voilà le message que cet élu de la République adresse à des sinistrés qui dorment dehors depuis le 2 octobre, exposés aux intempéries, sans abri, sans nourriture, sans assistance.
Prenez votre mal en patience. Comme si la patience pouvait reconstruire une maison. Comme si la patience pouvait nourrir des enfants affamés. Comme si la patience pouvait protéger des familles exposées à la pluie et au froid.
Cette phrase résume à elle seule l’état de la représentation politique en Centrafrique. Des députés élus, payés par l’argent public, qui face à la détresse de leurs électeurs, n’ont rien d’autre à offrir qu’un conseil de patience.
La pluie diluvienne est tombée du mercredi au petit matin du jeudi, provoquant l’effondrement d’une centaine de maisons. Sur le terrain, les habitants affirment avoir perdu leurs abris, sans secours ni abris d’urgence. “La population est restée sans toit et a passé la nuit dehors”, reconnaît le député lui-même.
Une centaine de maisons effondrées. Des centaines de personnes à la rue. Des familles entières qui ont tout perdu. Et depuis le 2 octobre, date des inondations, aucune aide n’a été apportée. Aucune.
Ni le gouvernement, ni les organisations humanitaires, ni la Croix-Rouge, ni les ONG n’ont bougé. Les sinistrés de Ndjoukou ont été complètement abandonnés. Ils survivent comme ils peuvent, récupérant ce qui reste de leurs biens dans les décombres, dormant dehors, mendiant de la nourriture auprès de voisins qui n’ont eux-mêmes presque rien.
“Depuis le 2 octobre, aucune aide n’a encore été reçue”, déplore le député Komian-Sambia, précisant que “toutes les attentes sont désormais tournées vers le ministère de l’Action humanitaire, la Croix-Rouge et les ONG”.
Mais qu’a fait le député lui-même pour ses électeurs? Interrogé sur les premières mesures prises, il admet que son unique action a été de “lancer un appel aux autorités”.
“Première action, c’est ce que je suis en train de faire: lancer un appel à l’endroit des autorités”, dit-il.
Un appel. C’est tout. Voilà la contribution du député Komian-Sambia face à la catastrophe qui frappe sa circonscription. Il a lancé un appel. Et maintenant, il attend. En demandant à ses électeurs de “prendre leur mal en patience”.
Cet aveu d’impuissance est sidérant. Un député qui reconnaît ouvertement que la seule chose qu’il peut faire face à une catastrophe humanitaire dans sa circonscription, c’est “lancer un appel aux autorités” et demander ensuite à ses électeurs de patienter.
Mais à quoi sert un député si tout ce qu’il peut faire, c’est lancer des appels? À quoi sert un élu si face à l’urgence, il se contente de dire “je ne peux rien faire, attendez que les autorités centrales bougent”?
Un député dispose normalement de moyens d’action. Il peut mobiliser son indemnité parlementaire pour acheter des bâches, des vivres, des médicaments d’urgence. Il peut organiser une collecte de fonds. Il peut faire pression sur le gouvernement en interpellant publiquement les ministres concernés. Il peut saisir les médias internationaux pour alerter sur la situation. Il peut se rendre sur place pour constater les dégâts et apporter un soutien moral aux sinistrés.
Mais le député Komian-Sambia n’a rien fait de tout cela. Il a “lancé un appel”. Et il demande maintenant à ses électeurs de “prendre leur mal en patience”.
Cette phrase, “prenez votre mal en patience”, est d’un cynisme révoltant. Elle traduit la dépendance totale des élus locaux face à l’administration centrale, même en cas d’urgence humanitaire. Elle révèle aussi la résignation institutionnelle face aux crises récurrentes qui frappent les localités rurales.
Les députés centrafricains sont censés représenter leurs circonscriptions. Ils touchent des indemnités parlementaires confortables. Ils disposent de moyens matériels. Ils ont accès aux ministres et aux décideurs. Ils peuvent interpeller le gouvernement à l’Assemblée nationale.
Mais face à une catastrophe qui frappe leurs électeurs, ils se contentent de “lancer des appels” et de demander aux victimes de “prendre leur mal en patience”.
Le député Komian-Sambia reconnaît d’ailleurs l’une des causes structurelles de cette catastrophe: l’absence totale de plan d’aménagement urbain. “Nos villages poussent comme des champignons, sans aucun plan d’urbanisation”, souligne-t-il, appelant le ministère de l’Urbanisme à concevoir un plan pour éviter de nouveaux drames.
Selon lui, le manque de canalisations favorise l’accumulation des eaux et la destruction des habitations. “Si l’eau avait trouvé une direction pour couler, les maisons ne se seraient pas écroulées”, explique-t-il.
Ce constat est juste. Les villages centrafricains, y compris des chefs-lieux de préfecture comme Sibut, n’ont aucun plan d’urbanisme. Les habitations sont construites n’importe où, n’importe comment. Il n’y a pas de canalisations pour évacuer les eaux de pluie. Il n’y a pas de normes de construction pour résister aux intempéries. Il n’y a pas de zonage pour éviter de construire dans des zones inondables.
Résultat: à chaque saison des pluies, des maisons s’effondrent, des familles se retrouvent à la rue, et les autorités découvrent, stupéfaites, qu’il faudrait peut-être faire quelque chose.
Mais ce constat du député Komian-Sambia soulève une question: qu’a-t-il fait, lui, député de cette circonscription, pour exiger du ministère de l’Urbanisme qu’il élabore un plan d’aménagement pour Ndjoukou? A-t-il déposé une proposition de loi? A-t-il interpellé le ministre? A-t-il organisé des consultations avec la population locale?
Apparemment non. Il constate le problème, comme tout le monde. Mais il ne fait rien pour le résoudre. Et quand la catastrophe arrive, il demande aux victimes de “prendre leur mal en patience”.
À Ndjoukou, la catastrophe met une fois de plus en lumière les failles structurelles de la gouvernance locale: insuffisance de prévention, absence de secours d’urgence, et improvisation permanente face aux désastres.
Ces “failles” ne sont pas accidentelles. Elles sont le résultat de décennies d’incurie, de corruption, d’incompétence et de mépris total des autorités pour les populations rurales.
Source: Corbeau News Centrafrique
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