Africa-Press – CentrAfricaine.
Lors d’une émission sur la chaîne gabonaise SIBIKAN MEDIA, Martin Ziguélé, ancien Premier ministre et porte-parole du BRDC, a dénoncé l’emprise du groupe Wagner en République centrafricaine qu’il qualifie de “schéma colonial” et de “recolonisation”.
Martin Ziguélé commence par rappeler les origines de la présence de Wagner: “En 2016, quand il y avait la première législature, j’étais déjà député, président de la commission finance. Nous avions commencé par voter des lois de ratification, des accords de défense entre la RCA et l’Angola, la RCA et le Rwanda, puis la RCA et la Russie. Nous venions de sortir d’une transition qui a mis à genoux le pays et il n’y avait presque plus d’armée, il fallait reconstruire l’armée».
L’ancien Premier ministre Martin Ziguélé explique comment le piège s’est refermé: “Naturellement nous sommes allés comme des jeunes avec la fleur au fusil pour signer ces accords. Mais comme on le dit, le diable est dans le détail. Dans l’application, la fédération de Russie, au lieu d’envoyer des conseillers militaires de l’armée régulière russe, nous a envoyé les mercenaires du groupe Wagner».
Martin Ziguélé rappelle le déni initial des autorités: “Au début, vous vous souvenez, les autorités ne voulaient pas reconnaître que Wagner était là. Mais au fil du temps, tout le monde a fini par constater, et malheureusement par leur modus operandi sur le terrain, les exactions multiples et variées, documentées aussi bien sur le plan national qu’international, que ces mercenaires-là n’étaient pas des enfants de chœur et qu’ils ont fait beaucoup de dégâts».
Sur le plan sécuritaire, l’ancien Premier ministre Martin Ziguélé concède un point: “C’est peut-être le seul élément qu’on peut reconnaître au crédit du président Touadéra, c’est qu’ils ont pu faire en sorte qu’il n’y ait plus de zones du pays qui soient vraiment occupées dans le vrai sens du terme par des groupes armés».
Mais il nuance immédiatement: “Le coût de l’intervention de Wagner sur le plan des droits humains reste à documenter, à compléter. S’il y a une relative sécurité, il faut le reconnaître. On peut circuler aujourd’hui pratiquement dans toute la RCA, sauf qu’il faut toujours savoir qu’on n’est pas à l’abri d’actions armées».
Martin Ziguélé cite un exemple récent: “Comme il y a deux, trois jours, nous apprenons qu’un convoi même de la MINUSCA a été attaqué par des hommes armés dans la région de Zémiou, dans le sud-est du pays. Des actions isolées de ce type existent toujours».
L’ancien Premier ministre Martin Ziguélé qualifie la coopération russo-centrafricaine de “poker menteur”: “Je pense que la fédération de Russie n’a pas joué le jeu de manière honnête avec notre pays. Ils nous ont donné des mercenaires à la place des conseillers militaires. C’est ce qui a été fait aussi au Burkina et au Mali».
Martin Ziguélé décrit l’étendue de l’emprise de Wagner: “Aujourd’hui, contrairement à ce que vous dites, ils ont une emprise totale sur l’appareil militaire, l’appareil économique, l’appareil sécuritaire et même avec des instruments politiques. C’est vraiment le chef de guerre ici. Ça, il faut le dire clairement».
En tant qu’homme de gauche, Martin Ziguélé exprime sa déception: “Mon parti est un parti membre de l’Internationale socialiste. Je suis un homme de gauche et la Russie, le visage de la Russie que je vois ici ne ressemble pas à tout ce que nous avons appris de ce pays qui, à l’époque, était progressiste et qui aujourd’hui, par le biais notamment des groupes Wagner et par d’autres pratiques également, nous montre un visage, j’allais dire, même pire qu’un capitaliste, fasciste. Un visage fasciste».
Sur le plan économique, Martin Ziguélé décrit la mainmise de Wagner: “Les Wagner sont toujours présents dans le pays, présents d’abord sur le plan sécuritaire, ils sont présents partout, y compris sur le cordon douanier. Même si je pense, suite aux protestations du FMI et d’autres partenaires techniques et financiers, ils ne s’impliquent plus directement dans les opérations douanières».
L’ancien Premier ministre Martin Ziguélé donne un exemple concret : “Dans la région centrale du pays, dans l’Ouaka, et notamment dans la région de Ndassima, où a été découvert il y a plus de 30 ans un gisement très riche en teneurs d’or. Ce gisement-là qui appartenait au groupe canadien Axmin, qui n’a pas pu l’exploiter pour des raisons de sécurité, a été rétrocédé par l’État sous le président Touadéra à une nébuleuse de Wagner. Et selon ce qu’on dit, même l’administration des mines ne peut pas accéder à ce territoire-là pour ne serait-ce que contrôler».
Martin Ziguélé tire la conclusion: “Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où c’est un secret de Polichinelle que les Wagner ont une emprise totale sur la sécurité, la politique et une grande partie de l’économie».
L’ancien Premier ministre analyse le modèle économique de Wagner: “Mais l’économie de ‘take and carry’, comme on dit en anglais, c’est-à-dire qu’ils n’investissent pas pour transformer des matières premières, pour apporter de la valeur ajoutée, ils s’inscrivent dans la tradition de traite, l’économie de rente».
Martin Ziguélé cite l’économiste Samir Amin: “Comme disait Samir Amin, nous sommes la périphérie pour eux. Cette puissance russe qui parle de développement, en fait, fonctionne comme depuis trois siècles aujourd’hui, c’est-à-dire l’économie de traite, l’économie de rente. Ils sont le centre, nous sommes la périphérie. Ils exploitent ce qui est le moins coûteux en matière de transformation. L’or, le diamant, ils les comprennent directement et puis vous avez des ressources. Donc nous sommes dans ce schéma-là, c’est-à-dire un schéma colonial».
L’ancien Premier ministre dénonce le silence international: “Moi, je n’arrêterais jamais de dénoncer le silence de tous par rapport à cette recolonisation de notre pays par le groupe Wagner. Parce que même sur le plan politique, le changement de la constitution, tout ce que vous voyez en Centrafrique, le groupe Wagner est derrière».
Ziguélé emploie une métaphore forte: “C’est vraiment une entreprise criminelle multidimensionnelle et c’est comme le virus du sida. Il vous entre dans les gènes, il rentre dans les gènes, il se localise dans vos gènes, il les transforme, il s’approprie la propriété de vos gènes, mais après pour affaiblir l’État et désosser l’État, désarticuler l’État».
L’analyse de Martin Ziguélé établit un parallèle entre la présence de Wagner et les pires moments de la colonisation. Cette milice privée ne se contente pas d’exploiter les ressources: elle contrôle la sécurité, influence la politique, dicte les lois, et transforme la Centrafrique en périphérie destinée à nourrir le centre russe.
Le “poker menteur” initial – promettre des conseillers militaires réguliers et envoyer des mercenaires – s’est transformé en occupation totale. La Russie a trompé la Centrafrique en exploitant sa vulnérabilité post-transition pour installer une emprise qui va bien au-delà de la coopération militaire initialement prévue.
L’économie de rente dénoncée par Ziguélé rappelle les sociétés concessionnaires coloniales. Wagner extrait l’or et le diamant sans investir dans la transformation, sans créer d’emplois durables, sans développer le pays. Cette extraction pure reproduit exactement le schéma colonial critiqué par les économistes du développement comme Samir Amin.
Le contrôle du gisement de Ndassima symbolise cette emprise. Un territoire entier échappe au contrôle de l’administration centrafricaine. L’État ne peut même plus accéder à une partie de son propre territoire pour exercer ses fonctions régaliennes de contrôle.
L’influence politique de Wagner, selon Ziguélé, s’étend jusqu’à la Constitution de 2023. Cette affirmation suggère que les mercenaires russes ne se contentent pas d’exploiter les ressources: ils façonnent le cadre juridique du pays pour pérenniser leur présence et leurs privilèges.
La métaphore du virus utilisée par Martin Ziguélé décrit un processus de destruction progressive de l’État. Wagner ne conquiert pas frontalement: il s’infiltre, transforme les institutions de l’intérieur, les affaiblit jusqu’à les rendre incapables de fonctionner de manière autonome.
Cette analyse de Martin Ziguélé confirme les craintes exprimées par Akandji-Kombé: la Centrafrique vit une recolonisation sous une forme nouvelle où une milice privée remplace les anciennes puissances coloniales, mais avec les mêmes méthodes d’exploitation et de contrôle.
Source: Corbeau News Centrafrique
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