François Bozizé peut-il redevenir président ?

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CentrAfricaine – Africa Press. Candidat à l’élection présidentielle de décembre prochain, l’ancien chef de l’État espère mettre définitivement derrière lui ses sept longues années d’exil et reconquérir, enfin, « son » palais présidentiel.

Un véritable concert de klaxons. Lorsque François Bozizé fait enfin son apparition aux alentours du stade omnisports de Bangui, ses supporteurs sont chauffés à blanc. En ce vendredi 24 juillet, le Kwa na Kwa (KNK, parti de l’ancien président centrafricain) s’apprête à ouvrir son congrès ordinaire. Danseurs et musiciens sont de sortie. La jungle urbaine des Toyota, à deux ou quatre roues, n’hésite guère à leur voler la vedette. On devine, derrière un masque blanc, le sourire pincé et réservé de François Bozizé. L’homme n’a jamais été très expansif.

Entouré de militaires dûment armés de leur kalachnikov, il se dirige à pas mesurés vers l’enceinte du stade. Une pochette de couleur orange, celle de son parti, orne sa veste de costume. François Bozizé n’a pas osé, comme certains de ses soutiens plus exubérants, l’intégrale orangée du KNK, de la casquette au pantalon, en passant par la chemise, la cravate et le veston. Il n’en savoure pas moins le moment. Un temps, l’ancien chef d’État a bien cru devoir renoncer aux foules en liesse.

Durant sept ans, depuis son exil de Kampala, en Ouganda, il a ressassé sa chute, image par image. L’avancée des rebelles de la Séléka vers Bangui. Sa fuite vers le camp de Roux, où il monta dans un petit hélicoptère. Son dernier passage à Berengo et à Bayanga, pour y récupérer quelques « effets personnels ». Puis le Cameroun : Batouri, Bertoua et enfin Yaoundé, la capitale.

Ironie de l’histoire, c’est dans la suite 930 de l’hôtel Hilton qu’il se reposera, le 25 mars 2013 – celle-là même qui a accueilli Ange-Félix Patassé, le président qu’il a lui-même renversé quelques années plus tôt. Patassé, condamné par contumace en 2006 à vingt ans de travaux forcés pour détournements de fonds publics, s’est éteint à Douala cinq ans plus tard.

François Bozizé tient sa seconde chance. Ce 24 juillet, alors que s’ouvre le congrès qui doit l’investir candidat pour la prochaine présidentielle, il peut de nouveau regarder vers l’avenir. Loin des « martyrs » qui ont donné leur nom à l’avenue qui jouxte le stade loué par le KNK.

En 1979, c’est lui, alors général de l’empereur Bokassa Ier, qui avait été chargé avec son homologue Mayo Mokola d’y réprimer les manifestations de lycéens. Les combats avaient fait plusieurs dizaines de morts. Aujourd’hui, François Bozizé a les yeux rivés sur une autre date du calendrier, celle du 27 décembre, à laquelle doit se tenir le premier tour du scrutin devant consacrer son retour au pouvoir.

Durant de longues heures, il écoute les discours, parfois interminables, des participants au congrès. Lui se concentre sur le mot de la fin.Le lendemain, il revêt une veste à son effigie, aux teintes évidemment orangées. « Nul n’aurait parié sur un tel succès il y a moins d’une année encore », lance-t-il aux « ouvrières et ouvriers » du KNK.

Fustigeant les « tripatouillages » et les « dérives » d’un gouvernement qui « préfère s’acoquiner avec les groupes armés et les mercenaires étrangers » pour « piller les richesses et martyriser la population », François Bozizé tient la foule. « Vous étiez orphelins, mais je suis parmi vous aujourd’hui, lance-t-il. J’accepte la mission que vous me confiez de porter nos couleurs et d’être le candidat du peuple à l’élection présidentielle. »

L’ancien chef de l’État, chrétien céleste, répond à l’appel du parti. Il l’affirme : « Le temps n’est plus aux belles paroles, mais à l’action ». Mais peut-il reconquérir un siège que Faustin-Archange Touadéra, son actuel occupant, compte bien conserver ? Ses troupes en sont convaincues.

« À moins de fraudes massives, je ne vois pas comment cela pourrait mal se passer », affirme l’un de ses plus proches collaborateurs. L’ancien président a, une nouvelle fois, choisi de s’appuyer sur sa région d’origine, l’Ouham, l’une des plus peuplées du pays, où Faustin-Archange Touadéra et son Mouvement cœurs unis (MCU) espèrent contrecarrer ses plans.

« Il n’y aura pas match, affirme Christian Guénébem-Dédizoum, directeur de campagne de Bozizé. Ce sont ses parents et ils voteront quasiment tous pour lui ». « Touadéra a rassemblé des voix dans l’Ouham en 2016, mais c’est uniquement parce que les électeurs croyaient que Bozizé était derrière lui. « Boz » de retour, il va récupérer les votes de son ethnie, les Gbayas », croit savoir un proche de l’ancien président.

« Je ne crois pas à ce duel entre Touadéra et Bozizé dans l’Ouham, rétorque l’opposant Anicet-Georges Dologuélé, lui aussi candidat à la présidentielle et dont la mère est originaire de la région. Il faut casser ce vote ethnique. »

Le candidat du KNK se prépare en tout cas à une campagne axée sur l’ouest et le sud-ouest du pays, où il espère « consolider ses acquis » dans les régions les plus peuplées.

Officiellement, le bilan de santé est « très bon », affirme son entourage. « Je me fatigue avant lui », tente même de nous convaincre son directeur de campagne, pourtant de plusieurs décennies son cadet. Un temps adepte des salles de sport et autres exercices de musculation, François Bozizé, 73 ans, « marche » et « fait de l’exercice ».

Côté financier, la mobilisation des ressources « a commencé ». « Des hommes d’affaires se sont manifestés et nous allons pouvoir boucler les budgets », affirme-t-on au KNK.

« Il y aura un vrai travail de terrain, dans lequel les candidats du parti aux législatives nous apporteront leur aide », poursuit un cadre de la formation orange. Ce sera notamment le cas d’un revenant, Sylvain Ndoutingaï, neveu et ancien ministre des Mines de François Bozizé. S’il a un temps été courtisé par le camp Touadéra, il fera campagne au côté de son oncle, tout en briguant un siège de député. « Nous comptons sur lui. Il a beaucoup à apporter », se réjouit Christian Guénébem-Dédizoum.

Mais l’élection présidentielle peut-elle se jouer uniquement autour de Bossangoa, le fief familial où Bozizé a prévu de se rendre prochainement, et à l’Ouest, où il croit détenir une bonne partie des cartes ?

Des contacts avec Noureddine AdamNourredine Adam, ancien numéro 2 de la Séléka, le 14 mars 2013 à Bangui. © Vincent Fournier / J.A.Comme ses adversaires, François Bozizé tente de mettre en place une stratégie dans les régions de l’Est. Mais le défi est de taille.

« Dans la Ouaka, la Vakaga, la Basse et la Haute-Kotto, où ce sont les groupes armés qui sont aux commandes, il ne peut pas y avoir de véritable campagne électorale », déplore un stratège du KNK. Même avec l’appui de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), pas question pour le parti d’imaginer envoyer des cortèges de véhicules à l’assaut des électeurs de l’Est. « Il va nous falloir voler sous les radars la plupart du temps », explique-t-on. Sans François Bozizé donc.

S’il se déplace, l’ancien président devra négocier un « sauf-conduit » avec les chefs de groupes armés, expliquent ses proches. Selon nos informations, des contacts ont notamment été pris avec le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique de Noureddine Adam.

Joint par Jeune Afrique, ce dernier affirme n’avoir « pas encore décidé qui soutenir » pour la présidentielle et être en relation avec « toutes les parties ».

En outre, des émissaires du KNK ont visité, à la fin du mois d’août, les villes de Kaga-Bandoro (Nana-Grébizi) et de Ndélé (Bamingui-Bangoran), et une mission est actuellement prévue à Bria (Haute-Kotto) et Birao (Vakaga).

Une équipe de sécurité de François Bozizé est chargée d’étudier la question d’une campagne à l’Est. Fort de son statut d’ancien chef d’État, « Boz » est entouré en permanence d’une douzaine de militaires, dirigés par le capitaine François Bassimandji et le lieutenant Teddy Théodore Gbénégaïna.

« S’il n’y a pas un accès équitable des partis de l’opposition aux territoires de l’Est, que vaudra cette élection ? », s’inquiète un cadre du KNK, qui craint des fraudes à l’abri des regards.L’unité de l’opposition risque de se fissurer

Comme les autres leaders de la coalition d’opposition COD 20-20, que dirige Anicet-Georges Dologuélé, François Bozizé a accepté la mise en commun de ses observateurs pour garantir aux adversaires de Faustin-Archange Touadéra de disposer d’yeux et d’oreilles dans chacun des bureaux de vote du pays. « Notre objectif est d’empêcher Touadéra de tricher », résume Anicet-Georges Dologuélé à Jeune Afrique.

Mais combien de temps la coalition tiendra-t-elle ? Au premier rang du congrès du KNK des 24 et 25 juillet, Dologuélé figurait en bonne place et François Bozizé assiste de façon régulière aux réunions hebdomadaires de la COD 20-20, dans laquelle figurent l’ancien président de l’Assemblée nationale Karim Meckassoua, l’ex-Premier ministre Mahamat Kamoun ou encore Jean-Serge Bokassa.

Mais, la date fatidique du 27 décembre approchant, l’unité risque de se fissurer. « Le retour de Bozizé a changé la donne. Sauf impératif de santé, il n’acceptera sans doute pas de se ranger derrière un autre opposant, ce qui met fin à l’idée d’une candidature unique », analyse un diplomate à Bangui.

« Aujourd’hui, François Bozizé est un partenaire, mais un partenaire à part, en tant qu’ancien chef d’État. Il ira au premier tour, avec l’avantage de l’expérience et l’inconvénient de son bilan », explique Anicet-Georges Dologuélé, qui assure se concentrer sur les efforts de la coalition pour obtenir les garanties d’une élection crédible.

« L’idée est de faire vivre la coalition le plus longtemps possible et de mutualiser nos efforts contre Touadéra », résume un de ses membres, qui poursuit : « Sauf fraude massive, on ne croit pas à une présence du président actuel au second tour [qui doit se tenir le 14 février 2021]. Donc nous pourrions tout à fait y retrouver deux anciens leaders de la coalition ».Tournée diplomatique

En attendant, l’ancien chef de l’État sait qu’il lui reste encore du chemin à parcourir, et que celui-ci devra l’emmener loin de Bangui. « Il va nous falloir faire taire les inquiétudes », explique Christian Guénébem-Dédizoum. Durant la dernière semaine du mois de juin, le président congolais Denis Sassou Nguesso avait ainsi discrètement reçu chez lui, à Oyo, Bozizé et Meckassoua, tandis que Touadéra s’inquiétait de l’activisme de ces deux derniers.

François Bozizé et Faustin-Archange Touadéra. © Photos : Vincent Founier pour JA ; Alexander Ryumin/AP/SIPASelon nos informations, Bozizé a en outre prévu de nouvelles étapes, à Brazzaville ou à N’Djamena – où sa relation avec Idriss Déby Itno est tendue depuis de longues années. Le Centrafricain et son ancien homologue tchadien se sont entretenus récemment par téléphone et un émissaire du KNK séjourne actuellement au Tchad pour améliorer leurs rapports.

Paris est également au programme. En France, où la diplomatie fut longtemps opposée à son retour à Bangui avant de se montrer « plus ouverte », l’ancien président aura toutefois de la concurrence : Karim Meckassoua espère jouer de son lien privilégié avec le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, tandis qu’Anicet-Georges Dologuélé a prévu d’y séjourner prochainement.

« Bozizé peut miser sur les faiblesses de Touadéra, qui n’a pas de bonnes relations avec les chefs d’État de la région et qui ne sera pas soutenu par la France », analyse un diplomate à Bangui. « Ses voisins considèrent qu’il n’en fait pas assez contre les groupes armés. Quant aux Français, ils ne lui pardonneront pas de s’être rapproché des Russes », ajoute-t-il, assurant que Moscou ne suffira pas à compenser un manque de soutiens plus « traditionnels ».

Conscient de l’importance de la Russie, au moins en sous-main, François Bozizé a toutefois rencontré en avril son ambassadeur à Bangui. Vladimir Titorenko lui avait demandé s’il comptait être candidat à la présidentielle. L’expérimenté « Boz » avait botté en touche.

« Ce que nous voulons, c’est rassurer les partenaires étrangers sur nos intentions », conclut le directeur de campagne de François Bozizé.Le treillis a laissé place au drapeau blanc

Le 24 juillet, alors qu’il franchit les quelques mètres qui séparent l’entrée du stade omnisports de Bangui de sa place d’honneur, l’ancien chef d’État agite un tissu blanc. L’un de ses fidèles, téléphone à la main et braqué sur la star du jour, s’écrie en langue gbaya puis en français : « Le président de la Paix ! »

Ironie de l’histoire : il y a sept ans, l’ancien général de brigade survolait en hélicoptère ses troupes lancées dans une tentative désespérée et meurtrière de repousser ses ennemis de la Séléka. Depuis, le treillis a laissé place au drapeau blanc. Comme les flots de l’Oubangui voisin, le temps s’est écoulé.

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