Eau : « Définir des politiques de prévention et d’adaptation climatique »

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Eau : « Définir des politiques de prévention et d’adaptation climatique »
Eau : « Définir des politiques de prévention et d’adaptation climatique »

Africa-Press – CentrAfricaine. Le Forum mondial de l’eau ouvert à Dakar cette semaine marque un moment crucial dans la réflexion que s’offrent États, organisations non gouvernementales, associations, citoyens et autres lanceurs d’alerte pour déterminer les initiatives à prendre pour une denrée vitale à tous points de vue. De même, qu’il y a eu des conflits pour accéder à des matières premières de toutes sortes, le risque est grand que l’une des déflagrations majeures qui menace l’humanité vienne de la bataille pour l’accès à l’eau. Au fait de cette réalité, la Coordination pour l’Afrique de demain (CADE) a publié un livret portant sur quarante recommandations pour de nouveaux modèles de partenariat autour de l’eau et de l’assainissement. Son président, Roland Portella, s’est confié au Point Afrique*.

Le Point Afrique : Le Forum mondial de l’eau qui a lieu à Dakar, capitale d’un pays sahélien, est l’opportunité de placer cette ressource dans ses contextes locaux et internationaux. Que pouvez-vous en dire de sa portée géoéconomiques et géopolitique pour l’Afrique ?

Roland Portella :

La ressource eau est souvent prise dans le piège des enjeux de « souveraineté » des États alors que c’est le bon sens et la répartition équitable entre les territoires qui devraient primer. On peut estimer que trois facteurs vont de plus en plus rendre difficile l’accès à l’eau et créer des tensions :

la mauvaise répartition des infrastructures d’eau entre les villes, les zones péri-urbaines et les zones rurales notamment dans les pays sahéliens ;

la pollution des nappes phréatiques due notamment à certaines activités industrielles, en particulier minières ;

les dérèglements climatiques, qui assèchent des cours d’eau et créent des réfugiés climatiques. On le constate autour du lac Tchad dont le niveau baisse dramatiquement. Certaines populations et communautés vont s’installer vers d’autres localités ou sur la partie du fleuve et des cours d’eau adjacents pas encore complètement asséchés. Cela crée des conflits et constitue un terreau dont profitent des fanatismes de tous genres.

Il convient de noter comment l’Égypte et le Soudan s’avèrent peu capables de s’accorder dans l’application des règles négociées pour limiter le remplissage en eau du barrage hydroélectrique dit « de la Renaissance » de l’Éthiopie, notamment pendant les périodes de sécheresse. 74 milliards de mètres cubes d’eau devraient être retenus. L’Égypte et le Soudan veulent restreindre le droit de l’Éthiopie à réaliser d’autres barrages le long du Nil bleu. La problématique empoisonne les relations entre ces trois pays, malgré quelques points positifs de négociations auxquels succèdent des actes de rétractations et de guerre informationnelle.

Inscrite dans les objectifs de développement durable, l’eau est au milieu d’un débat sur sa nature de bien universel et sur le risque de marchandisation qui la menace. Comment se donner les moyens de mettre le curseur à la bonne place ?

Il s’agit d’enjeux de civilisation, de types de sociétés que l’on construit, des valeurs humaines et sociétales que l’on garde ou pas, puisque l’eau c’est avant tout la vie, la santé, avant qu’elle ne contribue à la production et à la productivité. Le « statut » originel de l’eau comme bien commun semble battu en brèche. L’eau est devenue un bien marchand, un produit banal, en raison des politiques libérales, voire ultralibérales, selon les avis de certaines ONG de développement et des mouvements citoyens.

Mais le grand danger serait que l’on fasse de la ressource eau et de l’eau potable des biens de pure spéculation à l’avenir. Certains organismes financiers, que nous n’allons pas citer ici, ont déjà fait des scénarios et des projections sur la privatisation de toutes les sources et cours d’eau de notre planète. Les usagers ou consommateurs de l’eau, conscients des réalités économiques, acceptent que l’eau ne puisse plus être gratuite. Mais ils demandent à payer le « juste prix ».

Parmi les atouts que l’Afrique pourrat exploiter à l’avenir, il y a les eaux souterraines dont le continent serait très bien pourvu.

La subvention par les États en Afrique et en Méditerranée d’une partie du prix de l’eau sera toujours indispensable dans les 30 années à venir. C’est la raison pour laquelle est indispensable une gouvernance avec un minimum de transparence, de concertation et de cohésion entre les différentes parties prenantes (État, collectivités territoriales, entreprises, usagers, associations des consommateurs) afin que l’on arrive à situer les réalités des coûts de production et de distribution de l’eau potable.

Il faut savoir comment se situent les chaînes d’investissement et de responsabilité dans les infrastructures, l’exploitation, le traitement de l’eau. Certains usagers pensent qu’il y a même des coûts cachés… Quels seraient-ils alors ? Ne faudrait-il pas davantage « démocratiser » l’information ? Il faut dire que les asymétries d’information créent de la suspicion, notamment envers les entreprises publiques et privées en charge de la distribution et de l’exploitation de l’eau. Or si celles-ci ont investi, il faut bien qu’elles réalisent des profits même si ceux-ci doivent être raisonnables.

Quels sont les axes que l’Afrique doit investir pour être à même de satisfaire ses besoins humains et économiques liés à l’eau ?

L’une des priorités serait de mieux investir dans l’immatériel, c’est-à-dire :

la collecte des données sur les quantités réelles, les réserves d’eau, puis sur les niveaux de qualité. Il y a un grand débat en ce moment sur l’extraction des eaux souterraines, mais quels en sont les risques environnementaux et géologiques ?

les États et les collectivités territoriales doivent définir des politiques de prévention et d’adaptation climatique, avec des systèmes d’alerte, d’ingénierie civile de résilience, afin de faire face aux déréglementations climatiques et aux catastrophes naturelles qui ont des incidences sur la quantité, la qualité et la disponibilité de la ressource eau, ainsi que sur les infrastructures de production et d’accès.

mettre en convergence les politiques d’accès/gestion de l’eau et les politiques sectorielles : l’agriculture, l’industrie, l’énergie, la préservation de la nature, la santé et l’agriculture. Tous ces domaines et activités utilisent beaucoup d’eau. Il est impératif que les États et les villes mettent en place des coordinations et planifications intersectorielles, afin de trouver les bons équilibres.

La CADE que vous présidez a publié un rapport avec une quarantaine de recommandations pour de nouveaux modèles de partenariat. Quel en est l’esprit ?

L’esprit est de tirer une sonnette d’alarme, à notre modeste niveau, auprès des dirigeants publics et privés d’Afrique et de Méditerranée. Nous leur indiquons que l’insuffisance de coordination entre les diverses parties prenantes dans la gestion et la distribution de l’eau, ainsi que dans l’assainissement, se répercute sur la qualité et le service que paie l’usager-consommateur. Les dirigeants le savent, mais les mesures et initiatives à prendre sont lentes par rapport aux urgences de développement social et économique.

Au-delà du stress hydrique qui pèse sur de nombreuses régions en Afrique, il y a la question de l’accès à l’eau potable qui est posée.

Il s’agit aussi de faire savoir de manière simple au public de « néophytes », au-delà de son statut de consommateur d’eau, les problématiques structurelles et d’organisation qui freinent, dans certains pays et territoires, l’accessibilité et la disponibilité à l’eau potable.

Comment voyez-vous l’avenir de l’eau en Afrique ?

L’avenir de l’accessibilité à l’eau de qualité pour tous va dépendre de la capacité organisationnelle et technique à gérer les conséquences du dérèglement climatique et des pollutions. Cela implique une responsabilité collective des entreprises et des citoyens-usagers, notamment quant au respect des écosystèmes naturels et de la biodiversité liés à la ressource eau.

Les secteurs de l’eau et de l’assainissement, en Afrique et en Méditerranée, peuvent procurer de nombreux emplois verts et de l’entrepreneuriat notamment pour la jeunesse. Il existe plusieurs segments d’innovation sociale et technologique. D’où la nécessité de raisonner en filières et d’identifier les segments de métiers d’avenir. Par exemple, dans le recyclage des eaux usées, les outils innovants d’approvisionnement en eau et en assainissement, appliqués aux conditions locales ; le dessalement des eaux de mer ; la gestion des fuites d’eau notamment quand les infrastructures d’approvisionnement et de distribution sont vieillissantes, les kits solaires d’eau purifiée, la transformation des déchets en matériaux et en énergie, etc. Dans cette dynamique, il serait souhaitable de créer ou de consolider les partenariats entre les grands groupes (nationaux et étrangers) et les PME innovantes qui ont des process agiles. Celles-ci devraient avoir des quotas de marchés publics auprès des États et des collectivités territoriales, dans des périmètres définis de l’eau et de l’assainissement.

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