Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – CentrAfricaine. Il faut reconnaître que les richesses de l’Afrique sont depuis des décennies un foyer d’exploitation et de contrebande, et ce qui est nouveau, c’est ce qui a été révélé par un rapport publié par « SWISSAID », une organisation internationale axée sur l’aide et le soutien au développement, le jeudi 30 mai 2024, sur la contrebande de centaines de tonnes d’or africain, dont la valeur dépasserait des dizaines de milliards de dollars, notamment vers les Émirats arabes unis, seulement, ce qui prouve que la contrebande d’or a fortement augmenté au cours de la dernière décennie.
Ce rapport, indique bien que les opérations de contrebande d’or comprenaient un total de 435 tonnes, d’une valeur de plus de 30 milliards de dollars, en provenance d’Afrique en 2022, et la majeure partie de cette quantité aurait été extraite par de petits mineurs qui n’appartiennent à aucune entreprise connue.
• Importation d’or africain: la Suisse et l’Inde en tête
Mine d’or
Dans son analyse, le rapport de « SWISSAID » a comparé les exportations totales d’or de tous les pays africains avec les importations d’or vers les pays non africains. L’organisation a comblé les lacunes des données quant au commerce mondial sur la plateforme « UN Comtrade » de l’ONU, avec des statistiques pays par pays, identifiant les erreurs en comparant les données avec les chiffres rapportés par les associations professionnelles et en discutant avec les gouvernements et les raffineurs. Il n’existe pas de telles différences entre les exportations ainsi que les importations déclarées en Suisse et en Inde, les deux autres grands pays importateurs d’or d’Afrique. Le rapport a conclu que 12 pays d’Afrique sont impliqués dans la contrebande de 20 tonnes d’or, ou plus, par an.
En réponse aux accusations selon lesquelles les Émirats arabes unis ne font pas suffisamment d’efforts pour mettre en œuvre des réglementations à cet égard, un porte-parole du ministère émirati de l’Économie a déclaré que son pays ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui est mentionné dans les registres d’exportation des autres gouvernements.
Par ailleurs, on relève que le nombre de personnes ayant recours à l’exploitation minière artisanale ou traditionnelle est en augmentation, notamment avec le doublement du prix de l’or depuis 2009. SWISSAID estime que l’exploitation artisanale de l’or, pratiquée à petite échelle et de manière informelle dans les pays africains, a produit entre 443 et 596 tonnes d’or durant 2022. Plus de 70 % de ces quantités n’a pas été annoncé. En revanche, les mineurs travaillant dans l’industrie minière produisent environ 500 tonnes d’or par an.
Le rapport conclut que la majorité de l’or africain fourni chaque année aux Émirats arabes unis provient de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle. Ces procédés assurent la subsistance de millions d’Africains, mais souvent à un coût élevé pour les communautés locales et l’environnement.
À la page 97 dudit rapport, les auteurs concluent par une série de recommandations approfondies, que ce soit à l’intention des gouvernements ou des entreprises, avec un accent particulier sur une plus grande transparence dans les opérations de production et d’exportation et les contrats d’achat, l’unification des taxes et l’adoption d’une législation nationale qui prend en compte les recommandations des organisations internationales, notamment de l’Organisation de coopération et de développement économiques, soulignant:
-/- l’adoption de ces recommandations qui permettrait de lutter contre les opérations illégales d’or et le financement des groupes armés,
-/- l’amélioration des conditions des mineurs et l’atténuation de la perte de revenus censés entrer dans les caisses des pays du continent africain.
D’après les experts en la matière, « Il y a une certaine hypocrisie de la part de certaines raffineries suisses qui ne veulent pas obtenir de l’or africain provenant directement de l’exploitation minière artisanale, mais qui en même temps importent de très grandes quantités d’or des Émirats arabes unis, qui sont le principal centre d’exportation de l’or africain issu de l’exploitation minière traditionnelle ».
L’ampleur du flux souligne à quel point l’exploitation minière à petite échelle ou artisanale est devenue une activité impliquant des millions de personnes qui produisent des quantités d’or équivalentes, voire supérieures, à l’exploitation minière industrielle. En 2019, une enquête menée par l’agence Reuters a conclu à des milliards de dollars. Chaque année, des dollars d’or sont importés clandestinement d’Afrique, via les Émirats, qui servent de porte d’entrée vers les marchés d’Europe, des États-Unis et d’autres pays. Outre la perte de recettes fiscales, les gouvernements et les experts préviennent que la contrebande à ce niveau indique l’existence d’une économie parallèle illégale à grande échelle qui peut être exploitée pour blanchir de l’argent, financer le terrorisme et échapper aux sanctions.
Toujours selon les mêmes experts, les Émirats arabes unis contribuent aux opérations illégales de fusion et de reformage de l’or, car de grandes quantités d’or de contrebande obtiennent une présence légale en passant par les Émirats arabes unis: « Si nous continuons à voir plus de 400 tonnes d’or illégal entrer aux Émirats arabes unis chaque année, cela indique clairement qu’il existe un grave défaut dans la mise en œuvre de la réglementation dans ce pays ».
• Appauvrissement du continent africain
L’or africain transformé aux Emirats arabes unis
A noter que de nombreux rapports continuent de révéler l’implication continue de nombreuses parties dans la ponction des richesses et des ressources du continent africain, dans un contexte de black-out total et d’absence de véritable responsabilité qui met fin à ces vols qui se poursuivent depuis des décennies.
Néanmoins, bien qu’il soit le plus riche de tous les continents, sa population est malheureusement la plus pauvre du monde, en raison du pillage de ses richesses abondantes par de nombreux pays occidentaux, que ce soit avec l’aide des régimes corrompus et dictatoriaux qui le dirigent, ou avec l’aide des milices et des factions séparatistes et armées qui le balayent.
Dans ce contexte, on peut rappeler que la preuve la plus frappante serait probablement la République centrafricaine, qui, bien que considérée comme une terre de diamants et d’or, est aujourd’hui menacée par une famine catastrophique et est considérée comme l’un des pays les plus pauvres du monde, après être devenue un pays arène de conflits armés et territoire d’influence pour de nombreuses puissances internationales.
• Le cas portugais
C’est d’ailleurs pour cette raison que plusieurs acteurs ont profité du chaos qui règne dans le pays pour voler de l’or et aussi des diamants centrafricains, la dernière en date étant la révélation de l’implication de soldats des Nations Unies dans cette affaire. Alors qu’ils étaient chargés de maintenir la paix sur ces terres et de mettre fin aux conflits sectaires armés, ils sont devenus des gangs qui ont volé et pillé les richesses de ce pays, aggravant ainsi sa crise.
Dans le cadre du stationnement des forces de maintien de la paix des Nations Unies, auquel participent plusieurs pays et puissances régionales sous le titre de « MINUSCA », le Portugal contribue à la Mission des Nations Unies en Afrique centrale depuis 2014.
Environ 180 soldats portugais, dont des parachutistes et des membres des forces spéciales, sont déployés sur ces terres, sur un total de 15 000 soldats appartenant à la force de maintien de la paix de l’ONU, la MINUSCA.
Alors que tout le monde attend avec impatience le rôle international que ces forces peuvent jouer pour arrêter l’hémorragie africaine, l’opinion publique internationale est choquée que certaines parties aient saisi l’opportunité de créer de la richesse sur les ruines de la guerre.
L’enquête sur ces soupçons et allégations a en réalité débuté en décembre 2019, lorsque les autorités portugaises ont été informées de la possible implication de soldats portugais dans la contrebande de diamants et d’or en provenance d’Afrique centrale, et de leur coopération avec des réseaux criminels pour les acheminer vers l’Europe.
• Le cas soudanais
Selon des rapports scientifiques documentés, les opérations de contrebande d’or soudanais sont devenues une bouée de sauvetage pour les efforts de guerre de la Russie en Ukraine. Des groupes de défense des droits de l’homme ont annoncé que l’or illicite du Soudan serait acheminé clandestinement via les Émirats arabes unis et finalement vers le marché mondial.
Cela a fait naître des inquiétudes quant au fait que les Émirats arabes unis pourraient bénéficier d’activités liées au conflit, car l’or est une source majeure de revenus pour les groupes armés au Soudan.
Des rapports indiquent que les Forces de soutien rapide, dirigées par le lieutenant-général Mohamed Hamdan Dagalo « Hemedti », dépendent fortement de l’or de contrebande, et Dagalo, qui est considéré comme l’un des hommes les plus riches du Soudan, avec plus de 50 sociétés portant son nom, entretient également des liens étroits avec le groupe russe Wagner, désormais rebaptisé « Africa Corps ». Les Nations Unies ont identifié « des réseaux financiers complexes établis par les Forces de soutien rapide » qui facilitent l’accès aux armes, au paiement des salaires et au soutien politique. Selon les Nations Unies, la contrebande d’or est devenue une source majeure de financement du conflit dans la région occidentale du Darfour au Soudan, et récemment, huit organisations d’analyse minière, dirigées par SWISSAID, ont accusé la London Bullion Market Association de ne pas avoir correctement exclu les activités liées à l’or aux violations des droits de l’homme de sa chaîne d’approvisionnement.
Des rapports ont également révélé que des raffineries agréées par la Plumbing Market Association de Londres obtiennent de l’or auprès de fournisseurs et de mines douteux, malgré les preuves de « graves violations des droits de l’homme et de dégradation de l’environnement ».
La criminalité transnationale organisée est connue pour avoir des liens importants avec la commission de crimes internationaux, comme en témoignent des conflits tels que ceux du Libéria, de la Sierra Leone et de la République démocratique du Congo, où le commerce illicite de l’or aussi bien que des diamants a alimenté la violence humaine et des violations des droits.
Dans le cas soudanais, les activités illicites, telles que la contrebande d’armes et le trafic d’êtres humains, sont connues pour contribuer à la poursuite du conflit et saper les efforts visant à obtenir des comptes. Parallèlement, les Émirats arabes unis, qui n’exploitent pas eux-mêmes l’or, ont été désignés comme pays d’origine de près de 150 tonnes d’or vendues en 2021.
• Le cas de la Libye
Même si la Libye n’est pas un pays producteur d’or reconnu, néanmoins, une enquête y a permis le démantèlement d’un trafic d’or, car la Libye est confirmée « une zone de transit pour la contrebande d’or », où des lingots furent acheminés à destination de pays comme « les Émirats arabes unis ou la Turquie », selon l’ONG américaine The Sentry dans un récent rapport. Il n’y a pas d’importante production d’or dans le pays, mais plutôt des plateformes de négoce et plusieurs points de transits, parmi lesquels les ports et aéroport de Zliten, Benghazi et Misrata.
L’enquête affirme que l’or provient principalement du Tchad, du Niger, du Burkina Faso et du Mali. Le commerce de cet or artisanal est toujours très opaque. L’ONG internationale Pact estime par exemple qu’en 2021, seulement 13% de l’or artisanal malien était exporté par des voies légales.
Le Mali est aussi, selon les chercheurs, le centre névralgique de la contrebande d’or au Sahel. Une grande partie de cet or provient des mines artisanales d’autres pays comme le Sénégal ou la Guinée.
Destination finale privilégiée: Dubaï où les contrôles douaniers pour l’or transporté à la main sont faibles et où il n’existe pas de limite sur les transactions en espèces.
• Manque de transparence dans le commerce de l’or en Afrique
Les raffineries suisses comptent parmi les plus grands bénéficiaires de l’or extrait des mines d’or en Afrique, mais la plupart d’entre elles entretiennent délibérément une ambiguïté sur les sources de cet or, selon la Fondation SWISSAID à la coopération au développement.
Le jeudi 30 mars 2023, l’organisation non gouvernementale a publié un rapport présentant des cartes géographiques de plus de 100 relations commerciales entre les mines d’or industrielles africaines et les raffineries de ce métal précieux dans diverses régions du monde.
La Fondation suisse a souligné dans sa déclaration que «sans transparence, il est impossible d’améliorer la situation des travailleurs et des riverains vivant à proximité des mines». Cette enquête s’inscrit dans le cadre d’efforts à long terme en Suisse et à l’étranger visant à tenir les entreprises concernées pour responsables des dommages environnementaux et des violations des droits de l’homme liés à l’exploitation minière.
En général, l’or provenant de plus d’une douzaine de pays africains aboutit en Suisse, et les trois plus grands producteurs d’or du continent sont le Ghana, l’Afrique du Sud et le Soudan, sachant que les raffineries suisses refusent généralement de révéler l’identité de leurs fournisseurs ou « clients », plaidant en faveur du secret commercial et du droit de la concurrence.
• Un manque de transparence volontaire
Il faut dire que la contrebande se fait dans des mines, dans des régions isolées, par des artisans non déclarés qui commercent de manière informelle. Le manque de volonté politique de certains États est, de plus, un facteur important.
« Il y a une volonté politique dans certains États de cacher les données ou de ne pas être transparent. On a eu beaucoup de difficultés à obtenir, notamment, des données du Rwanda, des données de l’Éthiopie. Il y a certains États où c’était pratiquement impossible, notamment avec l’Érythrée, avec la Libye », souligne Marc Ummel, responsable de la thématique des matières premières au sein de SWISSAID depuis 2018, qui ajoute que ce sont des phénomènes difficiles à documenter par nature.
L’expert a ajouté entre-autre: « Évidemment, quand parfois le gouvernement ou certains représentants du gouvernement sont impliqués directement dans ce commerce, qu’ils y ont des intérêts, vous n’avez aucune volonté d’amener plus de transparence ».
Une production informelle qui favorise violation des droits de l’Homme, financement de groupes armés ou encore créent des problèmes environnementaux, serait la cause également des pertes de revenus importants pour les États africains. L’équivalent de 35 milliards de dollars d’or illicite pourrait ainsi quitter le continent chaque année.
• Les 10 premiers pays africains producteurs d’or
Il importe de rappeler que diverses nations à travers le monde se livrent une rude bataille afin de se constituer des réserves importantes d’or. Le métal jaune est la valeur sûre par excellence sur le marché international des minerais. C’est ainsi que les plus grandes puissances de la planète mobilisent de grands moyens pour exploiter comme il se doit les gisements aurifères.
D’après le classement effectué à ce sujet par le site Ecofin, on constate que ce sont notamment les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui font d’ailleurs la course en tête hormis le Ghana.
A part l’Afrique de l’ouest on retrouve certain pays de l’Afrique australe, tandis que l’Afrique du Sud, la Tanzanie et le Zimbabwe ne sont pas en reste.
On constate, d’ailleurs, qu’une nation africaine a réussi l’exploit de se positionner parmi les 10 plus grands producteurs d’or du monde, et il s’agit du Ghana.
Selon les chiffres diffusés par l’Agence Ecofin, au Ghana, la production aurifère des grandes sociétés minières a atteint un total de 3,08 millions d’onces en 2022 alors que celles des petites exploitations s’élevaient à 655 656 onces.
Dans le même contexte, le Ghana a devancé l’Afrique du Sud pour devenir le premier producteur d’or africain.
Découvrez ci-dessous le classement complet des 10 plus grands producteurs au niveau mondial, et les chiffres communiqués se réfèrent à la production de l’année 2022.
1. Chine (375 tonnes)
2. Russie (324.7 tonnes)
3. Australie (313.9 tonnes)
4. Canada (194.5 tonnes)
5. États-Unis (172.7 tonnes)
6. Pérou (125.7 tonnes)
7. Indonésie (125.9 tonnes)
8. Mexique (124 tonnes)
9. Ouzbékistan (110.8 tonnes)
10. Ghana (105.7 tonnes)
Au niveau africain, en 2023, le Ghana garde toujours la première place (127 tonnes), Mali (101 tonnes), Burkina Faso (95), Afrique du sud (92), Guinée (63), Tanzanie (50), Zimbabwe (49), Cote d’ivoire (48), Niger (34) et le Sénégal qui occupe la 10eme place avec (19 tonnes).
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