Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – CentrAfricaine. Bien que la majorité des principales organisations terroristes en Afrique aient souligné pendant des années leur affiliation à Al-Qaïda et leur refus de prêter allégeance à ce qu’on appelle Daech (supposé être l’Etat islamique), et ont combattu en même temps ses dissidents qui n’ont pas tardé à prêter allégeance aux dirigeants de Daech, les dix dernières années ont vu une augmentation significative des organisations terroristes affiliées à l’organisation Daech sur le continent brun, surtout à la lumière de l’intérêt des dirigeants centraux de cette organisation depuis 2013 à s’étendre sur le continent.
Cependant, la croissance de ce phénomène violent et meurtrier sur le continent africain ne s’est pas arrêtée à la multiplication des ramifications d’Al-Qaïda et de Daech en Afrique, au contraire, un certain nombre de ces branches se sont engagées dans une lutte pour le contrôle territorial, qui a semé davantage de chaos dans différentes régions d’Afrique, et la région du Sahel et du Sahara a eu une part significative dans ce conflit ainsi que les crises auxquelles cette zone géographique du continent africain est exposée de manière accrue, notamment dans ses dimensions sécuritaires, politiques et humanitaires, parallèlement à la série de coups d’État militaires dont ont été témoins trois pays centraux et au renvoi des forces internationales qui participaient à la mission de lutte contre le terrorisme de la région, d’une manière qui a donné à ces organisations la possibilité de contrôler certaines parties des pays de la région et de renforcer leur présence et leurs efforts pour vaincre les organisations qui s’opposent à elles et atteindre leurs objectifs.
C’est dans cette optique que l’indice mondial du terrorisme publié par l’Institute for Economics and Peace pour l’année 2023, a confirmé que la région du Sahel en Afrique subsaharienne est désormais devenue un centre d’accueil de ces groupes, car la région a enregistré un nombre plus élevé de décès dus à ce fléau de terreur en 2022. Le Mali et le Burkina Faso ont enregistré une augmentation significative de ce phénomène, avec des décès en augmentation au Burkina Faso de 50 % et au Mali de 56 %. La plupart des attaques meurtrières dans ces pays sont attribuées à des groupes armés non identifiés, même si Daech et Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM) opèrent dans ces pays, en sachant que l’escalade de la violence au Burkina Faso s’est également étendue aux pays voisins, le Togo et le Bénin, enregistrant leurs pires scores jamais enregistrés.
Il importe de noter que les organisations les plus meurtrières au monde en 2022 étaient bien « Daech et ses groupes affiliés », suivis par le groupe « Al-Shabaab », « l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA) » et le groupe de « Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn », sachant que Daech est resté le groupe terroriste le plus meurtrier au monde pour la huitième année consécutive, enregistrant le plus grand nombre d’attaques et de victimes par rapport à tout autre groupe durant l’année 2022.
Malgré la baisse significative des cas de violence perpétrée par des organisations extrémistes islamiques en Afrique du Nord et dans le nord du Mozambique au cours de l’année 2021, la région du Sahel est devenue la plus grande scène d’attaques contre des civils au cours des trois dernières années. En 2023, plus de 1 100 cas d’attaques contre des civils par des organisations extrémistes ont eu lieu dans la région du Sahel, entraînant la mort de plus de 2 080 personnes, soit 59 % de toutes les attaques contre des civils commises par des groupes armés en Afrique et 68 % d’incidents meurtriers.
Quant au Niger, il a été moins touché par les extrémistes violents que ses voisins, le Mali et le Burkina Faso, car il est le seul pays parmi les trois à avoir connu une diminution de la violence en 2022, selon Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED).
Facteurs de menaces terroristes persistantes dans le Sahel africain
Avec la multiplicité des organisations terroristes dans la région du Sahel et du Sahara, et malgré les divisions et scissions dont certaines de ces organisations sont témoins, les objectifs des deux principales organisations de Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn et Daech au Sahel sont clairs et confirmés par les actes commises par les deux organisations, puisque la région compte 43 % des décès résultant du terrorisme dans le monde, selon l’Indice mondial du terrorisme pour l’année 2023, et ce pourcentage devrait augmenter et dépasser en termes du nombre de victimes, les régions d’Asie du Sud, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord confondues. L’indice a également révélé que le Mali et le Burkina Faso figurent parmi les cinq pays au monde les plus touchés par le nombre de décès résultant de ces attaques, et que le Burkina Faso est le plus grand pays qui connaît chaque année des décès par rapport à tout autre pays.
On s’attend à ce que les deux organisations continuent d’essayer d’atteindre leurs objectifs, et l’une d’elles pourrait réussir à établir un régime similaire au « modèle Taliban », surtout à la lumière de la présence de nombreux facteurs qui permettent une augmentation des menaces, dont les plus importants sont les deux ci-après cités:
• Restrictions dans la lutte contre le terrorisme
Bien que la faiblesse des groupes armés résultant de l’escalade des conflits entre elles ouvre la voie aux gouvernements qui possèdent les capacités de mettre en œuvre leurs programmes de lutte contre ce phénomène, cependant, la préoccupation pour le localisme affaiblit le soutien international à la lutte contre ce fléau, en plus du déclin des programmes antiterroristes en raison des crises politiques dans les pays de la région, notamment les coups d’État militaires.
• Des approches renouvelées en matière de financement et de recrutement
Il est rare que des organisations lancent des attaques aléatoires et dénuées de sens, dans la mesure où elles choisissent la cible, le message et le public à atteindre. Al-Qaïda et Daech en Afrique suivent la politique « du cœur et de l’esprit » qui consiste à contrôler une zone, à agir comme un État de facto et à fournir des services logistiques à la population locale.
Ainsi, le message destiné aux musulmans locaux est que le groupe armé assurera leur sécurité au sein de la communauté. Par exemple, Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn relevant d’Al-Qaïda, Daech dans le grand Sahara du Sahel et Daech en Afrique de l’Ouest au Nigeria, ciblent stratégiquement les institutions étatiques et les groupes chrétiens et s’abstiennent de cibler les musulmans locaux qui, quant à eux, considèrent leurs groupes affiliés comme plus puissants que les représentants de l’État dans les zones contrôlées par ces groupes. En voyant de nombreuses tendances, les efforts visant à gagner le cœur et l’esprit des musulmans locaux génèrent de la sympathie pour les groupes violents et créent des opportunités pour obtenir des fonds de fonctionnement et recruter de nouveaux membres.
En février 2023, une étude publiée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) concluait que « le besoin urgent de travail et le sentiment d’abandon des gouvernements successifs figuraient parmi les raisons les plus importantes qui poussaient les jeunes d’Afrique, en particulier de la région du Sahel, à rejoindre ces groupes armés. Ledit rapport indiquait à l’époque que 25 % des volontaires recrutés au sein de ces groupes déclaraient que les opportunités d’emploi étaient la principale raison pour laquelle ils les rejoignaient ».
Certaines villes de la région du Sahel sont également témoins d’un contrôle territorial et idéologique de la part des deux principales organisations, alors que le groupe Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn, après le retrait des forces françaises en 2022, a tenté d’imposer son contrôle sur les villes du nord et a assiégé la ville historique de Tombouctou au Mali, quant à Daech au Sahel a réussi à imposer son contrôle sur les villes dans la région de Ménaka, située dans le triangle frontalier entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, considéré comme l’un des points de passage de la contrebande de jihadistes, d’armes, de drogues, de carburants et d’immigrants illégaux, qui sont des activités criminelles qui rapportent d’énormes sommes d’argent à l’organisation Daech.
Enfin, les données précédentes indiquent que les organisations terroristes dans la région africaine du Sahel se renforcent à la lumière des différents facteurs de faiblesse dont souffrent les pays de la région, en l’absence d’initiatives sérieuses pour faire face aux crises qui contribuent à renforcer ces organisations avec le déclin de l’intérêt international pour faire face au terrorisme dans cette région, qui propose des scénarios dangereux pour la sécurité et la stabilité dans le Sahel africain, et soulève des spéculations sur la possibilité de répéter le scénario afghan et la montée au pouvoir d’une de ces organisations.
Sans aucun doute, les répercussions négatives de ce scénario ne se limiteront pas aux pays du Sahel et à leurs extensions en Afrique de l’Ouest, mais ses effets s’étendront à tous les pays qui ont des intérêts vitaux dans cette région, notamment les pays occidentaux.
Il est donc important que les pays occidentaux fassent avancer des « initiatives concrètes de développement » dans cette région qui souffre de nombreuses crises économiques et humanitaires graves.
Evolution des tendances des organisations terroristes au Sahel
Certains chercheurs estiment que les organisations armées en Afrique ne sont pas nécessairement fortes en elles-mêmes, néanmoins elles souhaitent plutôt se déployer dans des pays confrontés à des crises à différents niveaux. Par conséquent, plus l’État est faible, plus la possibilité d’existence de ces organisations est grande. Au cours des quatre dernières années, un ensemble de tendances sont apparues qui ont fini par caractériser les organisations au Sahel africain, dont les plus importantes sont:
1- L’intensification du conflit entre les deux organisations (Al-Qaïda et Daech)
D’un côté, les conflits entre les branches d’Al-Qaïda et de Daech ont empêché la reproduction du modèle afghan, et de l’autre, les divisions et les combats entre Daech au Sahel et le groupe de Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn ont fini par affaiblir les organisations.
A noter également que les groupes se disputent, par intermittence, « le pouvoir et le territoire » entre eux, plutôt qu’avec leurs anciens rivaux.
2- Absorption au niveau local
Ces dernières années, les tendances d’Al-Qaïda se sont sensiblement décentralisées, car de nombreuses branches d’Al-Qaïda ont perdu toute communication avec la direction centrale, et dans d’autres moments, les branches d’Al-Qaïda en Afrique se sont écartées des objectifs mondiaux de l’organisation et se sont transformées en groupes locaux, ne donnant pas la priorité aux attaques contre les intérêts occidentaux (stratégie de l’ennemi de proximité), ce qui a réduit l’intérêt de l’Occident et des États-Unis à les combattre.
3- Exploitation des crises politiques
Avec les évolutions politiques successives que connaît le Sahel africain, les groupes armés tentent de saisir les opportunités. En effet les trois pays centraux dans la lutte contre le terrorisme au Sahel (Mali, Bukina Faso et Niger) sont soumis à des coups d’État militaires successifs, qui ont conduit au retrait des forces françaises des trois pays, ainsi que le départ des forces militaires des Nations Unies du Mali, ce qui a ouvert la voie à ces organisations pour mener davantage d’attaques en vue de vaincre les forces nationales dans ces pays.
4- Domination des villes
De facto, les récents coups d’État militaires ont donné l’occasion au groupe Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM) et à Daech de mettre en œuvre des plans adaptés à la situation actuelle, notamment le siège (encerclement) des villes. En avril 2023, Daech dans le Sahel a pu contrôler le village de Tidermène, au nord-est du Mali, ce qui a accru l’isolement de la capitale régionale, Ménaka.
En outre, depuis le début de 2022, les États de Ménaka et de Gao, à l’ouest, ont été témoins de violents combats entre Daech et le Groupe de Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn. Et en novembre 2023, Daech a également pu prendre le contrôle d’une base militaire malienne à la périphérie de la ville de Labbezenga (un petit village fluvial du Mali), base établie par l’armée française en 2020. Certains estiment que les organisations terroristes ont comblé le vide laissé par les forces françaises l’année dernière, comme l’ont indiqué les Nations Unies et les organisations de défense des droits de l’homme, Daech a mené des attaques punitives contre des communautés qu’il accuse d’aider l’État ou de refuser de rejoindre ses rangs.
5- Tentative d’acquérir un incubateur populaire
Malgré l’hostilité entre le groupe de Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn et les mouvements Azawad, le premier œuvre pour défendre les citoyens contre Daech dans les zones du nord du Mali.
En janvier 2023, le chef de Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn s’est entretenu avec divers groupes de la population pour leur offrir une protection comme alternative au gouvernement. Certains dirigeants communautaires locaux ont également réussi à s’entendre avec des organisations terroristes en échange de privilèges en matière de sécurité, compte tenu de l’absence ou de l’incapacité des institutions étatiques à les protéger.
Daech au Sahel a pu également exploiter les griefs, la négligence du gouvernement et les rivalités entre les communautés pastorales dans le triangle frontalier entre les trois pays (Liptako-Gorma).
Le mot de la fin
Pour toutes ces raisons, il est aussi possible, pour faciliter la différenciation entre organisations violentes, de croiser leur visibilité et leur légalité. Les organisations opérant dans l’ombre, comme les groupes armés, les criminels, les gangs, les trafiquants et les malfaiteurs, prospèrent en sapant la légitimité de l’État, en exploitant les ressources du secteur privé et en affaiblissant la capacité des acteurs de la société civile.
Les organisations violentes tendent à s’affronter plutôt qu’à nouer des alliances. C’est peut-être la raison pour laquelle l’incidence des alliances entre groupes sur les dynamiques de conflits est moins bien documentée que celle de leur fragmentation.
Si les alliances entre groupes sont plutôt inhabituelles dans la plupart des conflits, les relations d’interdépendance peuvent fournir des ressources précieuses, comme le partage de renseignements et un soutien tactique que les organisations mettent à profit contre un gouvernement.
A noter que l’expression « organisations extrémistes violentes » se réfère aux organisations illégales opérant dans l’ombre qui mettent en œuvre leur programme politique par l’usage de moyens violents. L’objectif de certaines de ces organisations est d’instaurer, par la violence, un nouvel ordre politique fondé sur les principes islamiques.
L’expression « organisations islamistes violentes » désigne, quant à elle, les organisations radicales de la région qui promeuvent « une vision de l’ordre politique islamique rejetant la légitimité de l’État-nation souverain moderne et cherchent à instaurer une politique panislamique ou un nouveau califat ».
Ces organisations prônent « la lutte violente comme instrument principal, voire exclusivement légitime, de leur quête d’un nouvel ordre politique »..
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