Quand la Chine met l’Afrique dans sa tête

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Quand la Chine met l’Afrique dans sa tête
Quand la Chine met l’Afrique dans sa tête

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – CentrAfricaine. Etant donné la situation délicate dans laquelle s’est embourbée la Russie en déclarant la guerre à l’Ukraine, depuis prés de deux mois, la Chine a saisi l’occasion pour renforcer et consolider sa présence sur le Continent africain, et doubler par la même occasion les russes dans leurs intentions expansives après avoir mis les bâtons dans les roues de la France au Sahel africain.

Il est important de savoir que les relations sino-africaines ne datent pas d’aujourd’hui, mais elles sont ancrées dans une histoire multiséculaire de contacts maritimes, au gré des alizés, à travers l’océan Indien. C’est donc, tout naturellement, d’un côté, la côte sud de la Chine (Guanzhou) et de l’autre la façade Est du continent africain, qui ont été les premières concernées.

Chine et Afrique, une relation renforcée avec la décolonisation

L’année 1949 a marqué donc une ère nouvelle pour les relations Chine-Afrique : les liens sont d’abord fondamentalement de nature politique.

À la charnière de l’époque coloniale et du début des indépendances africaines, l’intérêt de la Chine pour le continent africain se développe dans le cadre d’une solidarité tiers-mondiste, face aux puissances occidentales, dans le sillage de la conférence de Bandung.

Les vingt dernières années furent celles du formidable boom économique chinois et donc du poids de plus en plus fort des préoccupations économiques dans les relations entre la Chine et l’Afrique. Avec un large réseau d’ambassades, la Chine s’est imposée comme un partenaire essentiel dans quasiment tout le continent.

Au cours de la dernière courte période, il est devenu clair que la position diplomatique de la Chine envers l’Afrique aura des répercussions sur l’élaboration de la carte de l’après-guerre ukrainienne, sachant que la Chine tente de reformuler sa position géostratégique par rapport à cette crise, et ce nouveau positionnement est susceptible d’inclure de manière décisive, entre-autres, le cercle des pays du sud global.

Jalons et émergence du Sud global

Selon les estimations de la société de sécurité STRATFOR (une société privée américaine qui œuvre dans le domaine du renseignement), l’attention apparemment exagérée de l’Occident sur la crise en Ukraine a amené les organisations d’aide internationale et les groupes de réflexion à craindre que les États-Unis et leurs alliés européens abandonnent leurs initiatives africaines, ou du moins marginalisent les problèmes africains.

Il semble donc que la Chine a tenu à profiter de cette occasion pour approfondir ses relations actuelles avec les pays africains.

À moyen et long terme, ces facteurs pourraient contribuer à la tendance à accroître l’influence chinoise sur les affaires politiques et diplomatiques africaines, et dans ce contexte, on peut identifier deux aspects principaux de la stratégie chinoise d’édification du bloc des pays du Sud, mené par la Chine, face aux politiques d’hégémonie unilatérale occidentale :

• Focus sur le concept de la troisième option

La Chine essaie d’adopter une stratégie de l’option des négociations et des solutions pacifiques comme moyen d’obtenir une troisième position qui soulage la pression, soit du côté de la Russie, soit du côté de l’OTAN.

A l’issue de sa rencontre avec le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtan Lamamra, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a déclaré : « Nous avons généralement convenu qu’il y a plus de bilatéralisme de guerre et de sanctions, pour traiter des questions internationales et régionales brûlantes, car le dialogue et la négociation sont la meilleure solution de base ».


Les chefs de la diplomatie algérienne et chinoise : Ramtan Lamamra et Wang Yi

La Chine met l’accent sur le fait que les peuples du monde entier ne sont pas responsables du paiement de la facture des différends géopolitiques et de la concurrence entre les grandes puissances, car l’escalade des sanctions unilatérales perturbera les chaînes d’approvisionnement mondiales, nuisant aux moyens de subsistance des individus et des sociétés du monde entier.

• Construire le débat sur la crise ukrainienne

La Chine tente de reformuler le débat sur la crise ukrainienne et de le faire passer de l’idée de solidarité internationale face à l’agression russe, à la mise en évidence de l’impact économique que cette solidarité aura sous forme de sanctions étendues et chaînes d’approvisionnement faussées sur l’économie mondiale.

Evidemment, la Chine a ses préoccupations en matière de sanctions, mais elle a été en mesure de les relier aux préoccupations du Sud global concernant le paiement du prix d’un conflit de grande envergure qui s’est déjà manifesté sous la forme d’une hausse des prix des matières premières. Le ministre chinois des Affaires étrangères a su relier intelligemment ces préoccupations à la question de la marginalisation de l’Afrique au niveau international, selon la jurisprudence des priorités de l’interaction occidentale.

Comprendre la douce ascension de la Chine devenue la 2e puissance économique mondiale ?

Depuis l’époque des indépendances africaines, la Chine est pratiquement au même niveau de développement que les pays africains, c’est pourquoi elle affirme sans cesse qu’elle fait partie du Sud global. Cependant, elle a eu la vision et la volonté de mener les réformes nécessaires, devenant ainsi la deuxième puissance économique du monde d’aujourd’hui. Parmi ces réformes figuraient le « Grand bond en avant » de 1958-1963 et la sortie de l’orbite de l’Union soviétique.

Malgré ces changements structurels à la fin des années cinquante et au début des années soixante, les relations de la Chine avec l’Afrique n’étaient pas aussi développées qu’elles le sont aujourd’hui, même si l’on admet l’existence de certains liens historiques qui les unissent. En effet, les relations sino-africaines ont été déterminantes dans le processus de décolonisation plus précisément à travers la Conférence de Bandung 1955.


1955 : Conférence de Bandung

En tout cas, à l’heure actuelle, la Chine est le grand pays qui entretient les meilleures relations avec les pays africains qui semblent lassés des politiques d’exploitation et d’imposition de l’hégémonie occidentale.

Les pays africains ont souvent recours au slogan « Go East (Allez à l’Est) » comme cri de protestation contre les politiques de marginalisation occidentale des questions africaines. La Chine est rapidement devenue pratiquement le premier partenaire commercial de l’Afrique.

Dans la dynamique de cette relation Sino-africaine, la dimension culturelle et le « Soft power chinois (douce puissance) » représentés par les Centres Confucius, et la formation des professionnels et managers africains en Chine ne sont pas cachés.

Il faut aussi tenir compte de la croissance des investissements chinois en Afrique. En d’autres termes, la Chine a réussi à séduire l’Afrique non seulement par sa politique étrangère mais aussi par sa douce ascension qui a acquis une énorme popularité dans toute l’Afrique. Peut-être que tout cela soulève la question suivante : Comment la Chine a-t-elle réussi alors que l’Occident subit un déclin en Afrique ?

Fondements de l’essor chinois en Afrique

2018 : Sommet de Beijing sur la Coopération Sino-Africaine

La montée de la Chine en Afrique n’a pas été le fruit du moment, mais plutôt basée sur un ensemble de piliers solides qui ont servi au développement des relations entre les deux parties, notamment :

• Les racines historiques des relations,

• Les 5 principes de la coexistence pacifique (respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence dans les affaires intérieures d’autrui, égalité et avantages mutuels, coexistence pacifique),

• Le renforcement de la douce puissance Chinoise,

• L’affaiblissement des puissances occidentales.

C’est ainsi que la Chine apparaît aujourd’hui aux yeux de beaucoup d’Africains comme le seul partenaire stratégique de l’Afrique, capable de favoriser son développement. Les investissements chinois ont triplé depuis 2004, et la Chine est désormais présente en Afrique dans les infrastructures minières, de construction et de production, ainsi que dans les biens de consommation, le bois, le coton, les communications et les infrastructures logistiques, notamment les ports, aéroports, chemins de fer, routes, gazoducs, etc.

Le secteur bancaire et les fonds d’investissement sont dédiés à l’Afrique dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures et des industries de base. Il est clair aussi que ce partenariat chinois touche les domaines économiques, diplomatiques, militaires, scientifiques, techniques, sociaux et culturels, ainsi que les secteurs de la médecine, de la santé et des médias.

La Chine est désormais un partenaire stratégique pour l’Afrique en raison de l’initiative « Belt and Road (ceinture et route) » proposée par le président chinois Xi Jinping en 2013, qui vise à revitaliser les anciennes routes commerciales qui reliaient l’Asie, l’Afrique et l’Europe et à promouvoir la participation économique et l’investissement le long de ces routes.

En conséquence, la crise ukrainienne n’a représenté que la partie émergée de l’iceberg qui a montré les failles du système international que les États-Unis ont tenté d’imposer au monde, à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, de sorte que les caractéristiques d’un nouveau système semblent prendre forme.

Néanmoins, la concurrence en Afrique va être rude entre la France+Union européenne, d’un côté, et la Russie, et la Chine, de l’autre côté, tout de suite après la fin de l’invasion de l’Ukraine.

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