Remplacement de l’huile par l’eau en Centrafrique

0
Remplacement de l'huile par l'eau en Centrafrique
Remplacement de l'huile par l'eau en Centrafrique

Par Pacôme Pabandji (à Bangui)

Africa-Press – CentrAfricaine. Les perturbations logistiques au Cameroun, effets du duel Biya-Tchiroma, ont déclenché une hausse brutale des prix de certaines denrées en Centrafrique. À Bangui, capitale d’un pays enclavé et livrée par le port de Douala, les marchés manquent de produits et les familles réduisent leurs repas. Reportage.

En ce 13 novembre, au marché de Ouango, dans le VIIe arrondissement de la capitale centrafricaine, Théophila avance d’un pas las entre les étals. Sous une chaleur écrasante, la jeune mère scrute les prix, une grimace au coin des lèvres. « Ça ne va pas du tout, souffle-t-elle. Trois oignons que j’achetais 500 F CFA sont aujourd’hui passés à 1 000 F CFA. Pour le sel ou l’huile, c’est encore pire. » Elle repose plusieurs produits, hésite, recompte ses billets, puis renonce. « À ce rythme, on finira par ne plus savoir quoi cuisiner. »

Le constat est identique dans l’ensemble des marchés de Bangui. Riz, farine, oignon, sucre, huile: les produits importés ont vu leurs prix doubler, parfois tripler en quelques semaines. En cause, la situation explosive au Cameroun, où les tensions postélectorales nées du duel entre Paul Biya et l’opposant Issa Tchiroma Bakary ont bloqué des axes routiers et ralenti l’activité du port de Douala. C’est par ce corridor que transite l’essentiel des marchandises destinées à la Centrafrique.

La crise au Cameroun: « un prétexte » selon l’association des consommateurs

Devant son étal coloré, Rodrigue Mbele tente d’apaiser une cliente furieuse. « Elle pense que j’exagère, raconte-t-il une fois la discussion terminée. Mais moi aussi, je paie plus cher. Les camions mettent plus de temps à arriver, certains transporteurs refusent la route, et les grossistes nous imposent leurs nouveaux tarifs. »

Le commerçant, qui vendait plusieurs sacs de riz par jour, n’en écoule plus que la moitié. « Les clients se plaignent, mais je n’ai pas le choix. Si je baisse mes prix, je perds. Si je les maintiens, ils s’en vont. » Il hausse les épaules. « Le commerce tourne au ralenti et personne ne sait jusqu’à quand. »

La flambée des prix préoccupe l’Association des consommateurs centrafricains (ACC), qui multiplie les descentes dans les quartiers pour documenter la situation. Le matin du 14 novembre, son président, Marcel Mokwapi, sillonne les ruelles animées de Ben-Zvi, dans le Ve arrondissement. Bloc-notes en main, il entre dans une petite boutique où s’empilent sacs de farine, pâtes, conserves et bouteilles d’huile.

« Pourquoi le litre d’huile est-il passé à 1 600 F CFA? » lance-t-il à Aboubacar, le boutiquier. Ce dernier tente une explication: « Les grossistes nous vendent déjà très cher. Si je revends au même prix, je ne gagne rien. Et si je baisse, je perds. » Mokwapi secoue la tête. « Toujours la même réponse. Aucun justificatif réel, seulement un prétexte. Dès qu’on évoque “la crise au Cameroun”, tout le monde augmente sans contrôle. »

Absence de régulation des prix

Pour Marcel Mokwapi, la situation révèle surtout une absence de régulation. « L’État devrait inspecter les entrepôts, vérifier les stocks, encadrer les prix. Mais il n’y a aucune présence sur le terrain. On a saisi le ministère du Commerce, demandé des contrôles, des sanctions si nécessaire. Rien ne se passe. Ce flou total met les consommateurs à la merci de revendeurs qui fixent les prix comme ils veulent. »

Tant que nous n’aurons pas diversifié nos voies d’approvisionnement ou renforcé notre production locale, chaque crise frontalière se traduira par une crise intérieure.

À Bangui, cette inflation frappe particulièrement les familles modestes, déjà fragilisées par un faible pouvoir d’achat et une dépendance quasi totale aux produits importés. « Nous n’avons pas d’alternative, expliquait Théophila plus tôt. On ne produit pas assez localement, et même les produits locaux augmentent parce que les commerçants suivent la tendance générale. » Certains ménages réduisent désormais leurs repas ou suppriment des produits de base. « On remplace l’huile par l’eau pour cuire certaines sauces. Ce n’est pas idéal, mais on n’a pas le choix. »

Dans les coulisses des marchés, les grossistes reconnaissent, eux aussi, la fragilité du moment. « Les camions restent parfois bloqués plusieurs jours à la frontière », confie l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat. « On paie davantage pour sécuriser le transport. Entre les retards et les risques, tout le monde augmente. » Certains en profiteraient pour gonfler leurs marges, une pratique difficile à prouver mais largement dénoncée.

À cela s’ajoute un facteur structurel: la dépendance quasi totale de la Centrafrique à ses corridors d’importation. « Le pays est enclavé et ne dispose d’aucune alternative solide à Douala », explique un économiste banguissois, interrogé par Jeune Afrique. « Tant que nous n’aurons pas diversifié nos voies d’approvisionnement ou renforcé notre production locale, chaque crise frontalière se traduira par une crise intérieure. »

Dans les quartiers populaires, l’heure est à la résignation. « On espère seulement que la situation au Cameroun s’arrangera vite », souffle Rodrigue Mbele. En attendant, Bangui continue de subir, attendant des marchandises qui n’arrivent pas, les répliques économiques d’une crise politique qui se joue à plusieurs centaines de kilomètres, mais dont les effets se lisent chaque jour dans les paniers des ménages centrafricains.

Source: JeuneAfrique

Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here