Course à l’IA en Afrique par Orange, MTN, Airtel

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Course à l'IA en Afrique par Orange, MTN, Airtel
Course à l'IA en Afrique par Orange, MTN, Airtel

Maher Hajbi

Africa-Press – CentrAfricaine. Entre la création de data centers, la consolidation des partenariats locaux et la formation des nouveaux talents des technologies de l’information et de la communication (TIC), les géants des télécoms s’activent pour stimuler l’essor de l’intelligence artificielle en Afrique. Mais, après les promesses, leur feuille de route a-t-elle pris forme? Revue de détail.

Open AI, Anthropic, DeepSeek, Mistral AI… Dopée par une frénésie des marchés financiers, la valorisation des champions mondiaux de l’intelligence artificielle (IA) s’envolent vers des niveaux stratosphériques. Le rêve d’une rupture technologique attire les plus gros portefeuilles et les dépenses du secteur pourraient avoisiner les 3 000 milliards de dollars à l’horizon 2029, à en croire les projections de la banque américaine Morgan Stanley. Si, derrière l’enthousiasme spéculatif, les analystes redoutent un crash imminent, l’IA s’impose désormais comme un nouveau pilier stratégique pour les opérateurs télécoms actifs en Afrique.

À l’heure où la fièvre de l’IA semble avoir grimpé un peu trop vite en Occident, obligeant le Fonds monétaire international (FMI) à mettre en garde contre des attentes excessives et à alerter sur des « similitudes avec la bulle Internet », Orange, MTN, Airtel ou encore Safaricom observent, testent et optimisent leurs offres. Leur objectif? D’abord montrer à leur clients, investisseurs et partenaires qu’ils sont acteurs du sujet. Ensuite, tenter de faire émerger une IA la plus « made in Africa » possible avec le déploiement de solutions intelligentes adaptées aux réalités locales, tout en s’associant aux géants mondiaux de la tech.

« L’IA définira la prochaine décennie de services »

« Partout en Afrique, les géants des télécoms envisagent le même avenir que tout le monde: l’IA définira la prochaine décennie de services. Mais leur chemin est différent », explique à Jeune Afrique Dario Betti, président-directeur général du Mobile Ecosystem Forum (MEF). Ici et là, les projets se multiplient: chatbots en langues locales, maintenance prédictive pour alimenter les tours, détection des fraudes sur les paiements mobiles, prévision du taux de désabonnement pour protéger le revenu moyen par utilisateur (Arpu). « Ils n’ont pas besoin de construire les plus grands modèles, ils doivent simplement transformer leurs atouts et leurs données en produits réels qui comptent au niveau local », ajoute le PDG.

Premier opérateur à annoncer un partenariat avec Open AI et Meta, Orange articule sa stratégie autour de quatre leviers. D’abord, transformer ses pratiques en interne avec le développement de l’IA générative (Gen IA). Ensuite, déployer des solutions d’IA grand public avec des avatars et assistants conversationnels pour enrichir l’expérience utilisateur, puis commercialiser des services d’IA pour les entreprises, notamment pour l’analyse de données et la cybersécurité. Enfin, créer des modèles de traitement du langage naturel (NLP) adaptés aux réalités africaines.

« Orange se positionne comme un acteur clé dans l’enrichissement linguistique de l’IA en Afrique », souligne Yasser Shaker, le directeur exécutif de la branche Afrique et Moyen-Orient (Omea) du géant français des télécoms. Le groupe a développé des modèles avancés en wolof et en darija pour le traitement des langues locales et travaille actuellement sur pas moins de six langues locales, dont le lingala, le swahili, le bambara et le dioula. « Notre objectif est que, d’ici à 2030, les langues africaines soient aussi courantes que l’anglais ou le français dans le numérique, contribuant ainsi à une digitalisation inclusive et durable », ajoute l’ingénieur égyptien, qui œuvre à intégrer les différents modèles dans des applications comme Max It ou le bot d’Orange, Max Goal Gen IA, le service d’avatars conversationnels élaborés pour chaque nation qualifié pour la Coupe d’Afrique des Nations au Maroc.

Dans le paysage dynamique des télécoms en Afrique, ces initiatives ne représentent qu’une partie des pistes actuellement explorées. Leader des opérateurs des télécommunications sur le continent avec 300 millions de clients, MTN a lancé, en septembre dernier, son programme d’intelligence artificielle, Genova. Le mastodonte sud-africain veut tirer le meilleur parti de ses données, doper la performance des services financiers et télécoms et défendre une position de leader de l’IA sur le continent. Safaricom a, de son côté, annoncé un investissement important, de 500 millions de dollars, sur plusieurs années dans les infrastructures d’IA en Afrique de l’Est.

Un pari nécessairement collectif

Alors qu’Axian Telecom développe actuellement un modèle de langage local à Madagascar, son directeur général met en garde contre les contraintes qui freinent l’émergence d’une IA made in Africa. « Le défi reste l’énergie. Sans résoudre cette question, impossible de bâtir une IA durable sur le continent », regrette Hassan Jaber, le patron du groupe domicilié à Maurice. Un constat confirmé par Dario Betti: « L’IA est actuellement un jeu très coûteux en termes d’infrastructures (bases de données, puissance informatique) et de coûts opérationnels (énergie, collecte de données, coûts de conformité, sécurité) », appuie le PDG du MEF. Problème, le déploiement de l’intelligence artificielle repose sur des centres de données performants, mais très gourmands en énergie.

Or, selon l’association Global System for Mobile Communication (GSMA), le lobby mondial des telcos, les opérateurs rencontrent déjà des difficultés pour alimenter leurs réseaux existants, qu’ils soient alimenté par le réseau électrique traditionnel ou par des solutions dites « hors réseau », comme les panneaux solaires. L’explication tient en un approvisionnement en électricité peu fiable et en une forte dépendance à l’égard de l’option coûteuse du diesel.

Pour l’heure, les discussions autour de l’accès à une énergie fiable et abordable continuent entre les opérateurs réunis en « G6 des télécoms » et les autorités locales. « Les opérateurs du continent ont choisi une approche collaborative plutôt que concurrentielle pour accélérer la montée en puissance de l’IA en Afrique », confirme Yasser Shaker à JA. Dans le cadre de ce G6, composé des six plus importants opérateurs en Afrique, la filiale du groupe tricolore – qui dispose de son propre parc de centres de données – propose de partager ses principaux modèles de langage africain et de mettre en place des infrastructures régionales mutualisées avec ses partenaires, pour éviter une approche fragmentée.

Yasser Shaker précise que son groupe privilégie la cocréation avec des acteurs locaux, start-up, gouvernements et organisations, afin d’étendre des modèles dans des secteurs clés tels que la santé, l’éducation ou l’agriculture. « Les services potentiels sont nombreux, mais nous en sommes encore au stade théorique. Pour l’instant, ce n’est que pure conjecture, et les modèles économiques pour l’IA sont encore très flous », tempère Dario Betti, pour qui la collaboration entre telcos concurrents s’est toujours révélée très complexe.

La régulation, un talon d’Achille

Au moment où Airtel Africa, Axian, Ethio Telecom, MTN, Orange et Vodacom prêchent l’unisson, des voix s’élèvent pour éviter un éventuel monopole des télécoms sur l’IA. « Que les États ne laissent pas les opérateurs, qui demeurent des entreprises commerciales, s’occuper seuls de l’IA. C’est une question de souveraineté, de stratégie et de développement », alerte Freddy Mpinda. Passé par Orange en RDC, le conseiller principal au numérique de la Première ministre congolaise, Judith Suminwa, estime que « l’IA utile, celle qui résout nos problèmes, ce n’est pas aux opérateurs de la construire. C’est aux États de s’en saisir ».

Sur le continent, l’Union Africaine a d’ores et déjà dévoilé une Stratégie continentale sur l’intelligence artificielle, tandis que les États déploient, un à un, leur propre feuille de route nationale. Pour Antony Virgil Adopo, spécialiste du numérique, « il faut prôner des partenariats gagnant-gagnant et non une concurrence stérile entre public et privé, car l’État doit créer les conditions favorables – infrastructures énergétiques, incitations, fonds d’innovation – tout en garantissant la confiance numérique ». La complexité et la divergence de cadre juridique entre un pays et un autre freineront l’émergence d’un écosystème IA cohérent. « Il est difficile pour les opérateurs télécoms de reproduire les mêmes schémas dans plus de cinquante régimes réglementaires différents », ponctue Dario Betti.

Sur la question de la réglementation, deux approches s’opposent: Freddy Mpinda prône une harmonisation des cadres réglementaires par l’Union africaine, à l’image des textes européens, tandis qu’Antony Virgil Adopo défend une approche de « bac à sable », notamment en ce qui concernent la protection des données, car « réguler trop tôt risque de freiner toute dynamique d’innovation ».

Certes, le cadre réglementaire reste flou, mais le marché africain de l’intelligence artificielle devrait atteindre une valeur estimée à 16,5 milliards de dollars en 2030, contre 4,5 milliards actuellement, d’après le dernier rapport de Mastercard (« Harnessing the Transformative Power of AI in Africa »). Qui en sortira gagnant? « Ce ne sont pas les opérateurs qui formeront les modèles les plus avancés, mais ceux qui combineront des bases externes avec des données locales et un déploiement de pointe pour créer une IA fiable, qui fonctionne réellement pour les utilisateurs et les régulateurs africains », conclut Dario Betti.

Source: JeuneAfrique

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