Cinq denrées stratégiques pour la sécurité alimentaire de l’Afrique

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Cinq denrées stratégiques pour la sécurité alimentaire de l’Afrique
Cinq denrées stratégiques pour la sécurité alimentaire de l’Afrique

Estelle Maussion

Africa-Press – CentrAfricaine. Si l’Afrique de l’Ouest met l’accent sur la production de riz, plusieurs autres produits apparaissent indispensables pour garantir l’alimentation de la population et l’essor de l’agro-industrie.

« L’avenir de la région, c’est d’abord d’y produire ce que l’on mange. » C’est ainsi qu’Ollo Sib, analyste du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, résume l’enjeu de la sécurité alimentaire.

Déjà complexe, la situation est devenue critique depuis la pandémie de Covid-19 et surtout l’invasion russe de l’Ukraine. Le conflit, en perturbant les marchés des céréales et l’accès aux engrais, a alimenté une inflation généralisée.

Conséquence, « l’insécurité alimentaire aiguë est en passe d’atteindre son niveau le plus élevé depuis dix ans en Afrique de l’Ouest », a pointé le PAM en avril. Si la culture du riz, très consommé dans la région et encore souvent importé d’Asie, a fortement augmenté, notamment au Nigeria, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, cela ne suffit pas à résoudre le problème. Certains appellent à miser sur les céréales locales, dont le mil, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies (FAO) ayant fait de 2023 l’année internationale de cette denrée « durable ».

D’autres plaident pour l’essor du maraîchage et des légumineuses (dont les haricots comme le niébé) afin de nourrir les centres urbains. D’autre encore parient sur des créneaux de niche destinés à l’export, comme l’ananas bio ou le fonio. Dans ce panorama, quelles sont les filières au plus fort potentiel, capables de conjuguer rentabilité et sécurité alimentaire ?

• Poulet, la protéine clé

Le Burkina Faso et le Sénégal ont montré la voie, suivis par la Côte d’Ivoire et le Nigeria. Tous ont développé l’aviculture, comme en témoigne la réussite du sénégalais Sédima et de l’ivoirien Sipra. Déjà en plein boom, le secteur connaît une augmentation constante de la consommation de poulet (et d’œufs), portée par la croissance démographique et l’essor urbain. Dans le même temps, la création d’une industrie avicole permet l’émergence d’une filière allant de l’amont (aliment pour volaille, accouvage) à l’aval (abattoir, vente en gros et au détail, restauration).

Mais ce cercle vertueux ne fonctionne qu’à condition de stopper l’arrivée de morceaux de poulet congelés au prix ultra-compétitif (de deux à quatre fois moins chers que la viande locale) venant d’Amérique du Sud, principalement du Brésil et de l’Argentine. C’est en interdisant les importations depuis 2005 que le Sénégal, modèle dans la région, est parvenu à ses fins. Résultat, nombre d’acteurs appellent à prendre des mesures protectionnistes au niveau de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), seul moyen d’enclencher un décollage régional.

• Maïs, une réussite à exploiter

C’est la céréale qui a le vent en poupe. « Sur la campagne 2020-2021, l’Afrique subsaharienne a produit 90 millions de tonnes de maïs, contre seulement 3 millions de tonnes importées », souligne Pierre Ricau, analyste de marchés chez Nitidæ, association française spécialiste de l’essor des filières agroalimentaires en Afrique.

Alors que le Nigeria est le deuxième producteur du continent derrière l’Afrique du Sud (respectivement 12,7 et 15,6 millions de tonnes en 2022-2023, selon le Département américain de l’Agriculture, USDA), le Mali (3,7 millions de tonnes, sur la même période), le Burkina Faso (2 millions) et la Côte d’Ivoire (1,2 million) constituent un solide bassin de production, les récoltes de Bamako et d’Abidjan ayant doublé par rapport à 2014-2015, selon les données de l’USDA.

PILIER DE L’ALIMENTATION HUMAINE, LE MAÏS EST AUSSI LARGEMENT UTILISÉ POUR NOURRIR LES ANIMAUX

« Toute l’année, nous observons des flux entre, d’un côté, le Burkina Faso et le Mali, où il n’y a qu’une récolte, et, de l’autre, la Côte d’Ivoire et le Ghana, où il y en a deux, reprend Pierre Ricau. C’est la culture de l’intégration sous-régionale. » Pilier de l’alimentation humaine (sous forme de bouillie, pâte, beignet, farine…), le maïs est aussi largement utilisé pour nourrir les animaux (volaille et bétail).

Les aviculteurs, comme Sédima au Sénégal ou Sipra (via Ivograin) et Foani Services en Côte d’Ivoire, ainsi que les minotiers, tablent sur un essor du marché, en lien avec le boom de l’élevage. Sans compter l’intérêt croissant des industriels des boissons, dont Castel, pour les sous-produits du maïs comme le gritz, entrant dans la composition de la bière et d’autres boissons alcoolisées.

• Manioc, un boulevard industriel

Plus que l’igname et la patate douce, le manioc apparaît comme le tubercule de l’avenir. Le Nigeria, premier producteur mondial (près de 60 millions de tonnes en 2018, soit 21 % du total), est la locomotive ouest-africaine. « Le pays a montré l’exemple en promouvant la consommation, en encourageant la hausse de la productivité et en développant les systèmes d’approvisionnement », note Ibrahima Hathie, chercheur à l’Initiative prospective agricole et rural (Ipar).

Mais la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Sierra Leone et le Liberia parient aussi sur cette culture. La force du manioc réside dans ses multiples transformations possibles. Si la farine, le gari et l’attiéké, emblème de la Côte d’Ivoire, sont bien installés, d’autres déclinaisons doivent gagner du terrain, notamment l’amidon de manioc, substitut à celui de maïs, pouvant être utilisé dans nombre de produits alimentaires.

Pour preuve, Nestlé l’a intégré à ses bouillons cubes et Heineken dans certaines de ses bières, sachant que des projets farine et amidon sont en gestation en Côte d’Ivoire. À plus long terme, le tubercule, dont les feuilles sont riches en protéines, pourrait aussi servir de biocarburant.

• Palmier, le potentiel huilier

Après le blé et le riz, l’huile est l’un des principaux produits importés en Afrique de l’Ouest. Seule la Côte d’Ivoire, champion régional via le groupe Sifca et deuxième producteur du continent après le Nigeria, en est exportateur. Pourtant, la région dispose de l’espace, du climat et de l’espèce (le palmier à huile endémique du Golfe de Guinée) pour développer la production locale (600 000 tonnes par an en Côte d’Ivoire, 1,4 million au Nigeria, selon l’USDA).

Un paradoxe dont le coût est de moins en moins acceptable depuis la guerre en Ukraine : la flambée des prix des huiles végétales [l’indice FAO dédié a atteint son record historique en avril 2022] a accru le montant des importations, pesant sur les comptes publics.

Rien qu’au premier trimestre 2022, le déficit commercial de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) s’est aggravé de 186,5 milliards de F CFA (280 millions d’euros) par rapport à la même période en 2021, en raison d’une hausse de 21 % de la valeur des importations. Cette augmentation s’explique par l’envolée des prix des produits alimentaires importés (+ 35 % sur un an), dont les huiles alimentaires (+ 62,5 %) avant le blé (+49,5 %) et le riz (+26,1 %), selon la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

Le maintien de cours mondiaux élevés et les perspectives de croissance de la consommation, prévue pour doubler entre 2017 et 2030, toujours selon les chiffres de l’USDA, confortent les investissements des acteurs en présence – Sifca via sa filiale Palmci, Socfin, Dekel Agri-Vision, Olam, Wilmar – tout en motivant l’arrivée de nouveaux entrants. Au-delà de l’huile, le palmier, dont l’essor doit être concilié avec la lutte contre la déforestation, permet de produire des matières grasses (pour la mayonnaise ou les pâtes à tartiner par exemple), de l’alimentation animale et des cosmétiques.

• Soja, de l’export au local

C’est une success story récente qui interpelle. En quelques années, le Togo et le Bénin ont fait bondir leur production de soja, passée respectivement de 44 000 et 22 000 tonnes lors de la campagne 2018-2019 à quelque 250 000 tonnes chacune en 2020-2021, dont une partie en culture biologique. Une double performance significative quand on sait que l’autre producteur régional, le Nigeria, affiche une récolte annuelle de 2 millions de tonnes.

Pour ce faire, plusieurs mesures ont été prises, dont la création d’une interprofession, la fixation d’un prix d’achat par l’État (300 F CFA au Togo ; 270 F CFA pour le conventionnel et 320 F CFA pour le bio au Bénin pour 2022-2023) et la mise en place de contrats entre producteurs et transformateurs. Sans oublier un investissement public-privé dans des plateformes industrielles développées par Arise IIP de l’ex-Olam Gagan Gupta.

Si, pour l’heure, la quasi-totalité de la production est exportée – vers l’Asie mais aussi vers l’Europe, friande de soja bio –, l’idée est de développer à court terme la transformation locale d’huile et de tourteau notamment. « C’est sur le triple créneau maïs – soja – poulet, où les productions ouest-africaines sont compétitives, qu’il faudrait construire une politique agricole commune (PAC) de la Cedeao », conseille l’analyste Pierre Ricau.

La Source: JeuneAfrique.com

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