Aurélie M’Bida
Africa-Press – CentrAfricaine. Les médias internationaux utilisent une rhétorique bien souvent alarmiste lorsqu’ils couvrent des événements en Afrique. Et les répercussions économiques de cette narration sont dévastatrices. Pourtant, des pays non africains aux profils de risque politique comparables échappent à cette logique punitive. Pour quelle raison ?
Un trou abyssal, un manque à gagner gigantesque est mis au jour dans un rapport d’Africa No Filter: l’Afrique paierait jusqu’à 4,2 milliards de dollars par an de coûts d’emprunt supplémentaires. Une conséquence directe de récits médiatiques défavorables – voire biaisés – qui jouent sur la perception qu’ont les pays non africains du continent. Plus qu’écorner l’image des États africains, ces stéréotypes se répercutent de manière concrète sur le coût du financement de leurs économies. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Les médias internationaux, en particulier anglophones, utilisent, à tort ou à raison, une rhétorique négative sinon alarmiste lorsqu’ils couvrent des événements en Afrique, notamment les élections. Dans un monde où les algorithmes et le sacro-saint SEO de Google favorisent les titres percutants, des mots comme « violence », « corruption » ou « fraude électorale » semblent indissociables du vocabulaire médiatique lié au continent. Pourtant, des pays non africains aux profils de risque politique comparables, comme la Thaïlande ou la Malaisie, échappent à cette logique punitive. Pour quelle raison ? Sans vouloir pointer du doigt des pays qui n’ont rien demandé, l’étude intitulée « Le coût des stéréotypes médiatiques pour l’Afrique » décortique la relation entre les médias, l’investissement et le développement économique.
67 millions de dollars par an pourraient être économisés par le Nigeria
Des articles sur les élections publiés en anglais dans des médias mondiaux et locaux concernant sept pays – quatre africains et trois extérieurs au continent – ont été sélectionnés avec l’idée que ces États étaient semblables sur le plan du climat politique et du profil de risque politique. Les pays à faible risque sont le Kenya, le Nigeria et la Malaisie ; les pays à risque moyen sont l’Afrique du Sud et le Danemark ; et les pays à risque élevé sont l’Égypte et la Thaïlande. Il ressort de cette étude que les pays africains font l’objet d’une attention accrue de la part des médias lors des élections générales, « avec une attention disproportionnée pour les questions négatives telles que la violence et la fraude électorale ». Et les répercussions économiques de cette narration sont dévastatrices, en concluent les auteurs du rapport. Les investisseurs, influencés, surévaluent le risque perçu de nombreux pays africains. Résultat: les taux d’intérêt sur les obligations souveraines sont artificiellement gonflés, augmentant le coût du financement de projets essentiels au développement.
Force est de constater que les chiffres ont tendance à donner raison à ce constat. Prenons l’exemple du Nigeria, première économie du continent. Alors que le pays affichait une croissance économique de 2,9 % en 2023, sa réputation reste entachée par des thèmes récurrents comme l’insécurité et la corruption. Selon l’étude, 69 % des articles internationaux sur le Nigeria revêtent une tonalité négative, contre 48 % pour la Malaisie, un pays avec des défis similaires. Ainsi, les rendements des euro-obligations nigérianes oscillent entre 10 % et plus de 14 %, bien au-delà de ce que justifieraient ses fondamentaux économiques. Or, si ce taux d’intérêt était aligné sur celui de la Malaisie, le Nigeria pourrait économiser 67 millions de dollars par an, une somme suffisante pour financer son développement et investir, par exemple, dans les infrastructures.
Des taux d’intérêt du simple au double entre l’Afrique et l’Asie
Bien qu’il ne soit pas mentionné dans le rapport, le cas de la Côte d’Ivoire, avec une croissance soutenue de 6 % par an, devrait attirer davantage d’investissements. Pourtant, les récits médiatiques insistent encore trop souvent sur la fragilité politique, malgré les efforts réussis pour stabiliser le pays après la crise postélectorale de 2010-2011. Cette perception contribue à maintenir des rendements obligataires à plus de 6,5 %, contre environ 2,5 % pour des pays asiatiques qui présentent un risque comparable comme la Thaïlande. Un écart qui coûte au pays des dizaines de millions de dollars annuels.
L’Afrique n’a pas besoin d’être glorifiée à tort, mais elle mérite d’être présentée pour ce qu’elle est: un continent complexe, diversifié et riche d’opportunités. Derrière chaque histoire de crise, il y a une histoire de résilience, d’innovation et de progrès. À nous, médias, de toujours veiller à le rappeler, à vous, lecteurs et décideurs, de vous emparer de ces réalités complexes.
Source: JeuneAfrique
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