Margaux Guillot
Africa-Press – CentrAfricaine. Le milliardaire anglo-soudanais affirme que « les ressources sont là », mais qu’elles ne sont pas investies de manière adéquate pour assurer le développement du continent.
C’était le thème du Forum Ibrahim 2024 et du rapport qui en a découlé: « Financer l’Afrique: où sont les ressources ? » Publié le 18 juin, il offre une analyse complète des besoins financiers tant en matière de développement que d’adaptation au changement climatique, sur le continent africain et les ressources existantes pour y répondre.
L’analyse établie par la Fondation Mo Ibrahim dresse un premier constat: les dépenses domestiques, comme extérieures, ne permettent pas d’atteindre les objectifs de développement socio-économique et durable du continent.
450 milliards de dollars manquants
Le décollage économique des pays africains exige qu’ils atteignent un taux d’investissement égal ou supérieur à 30 % de leur PIB pendant au moins deux décennies. Or, aujourd’hui, les taux d’investissement et d’épargne nationale moyens de l’Afrique sont respectivement de 22 % et de 20 %.
Comme l’a montré le décollage économique des quatre dragons asiatiques (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), l’épargne publique a un rôle clé dans la croissance économique. Elle permet à un gouvernement de financer la majeure partie de son capital public, ce qui minimise notamment la dette extérieure.
La Fondation Mo Ibrahim estime que 300 milliards de dollars (280 milliards d’euros) d’investissement supplémentaires sont nécessaires chaque année pour atteindre ce seuil de 30 % du PIB. Il faut encore ajouter à cela les dépenses nécessaires à l’adaptation au changement climatique, qui chevauchent en partie celles pour le développement économique, notamment dans le domaine des énergies. Elles portent ainsi le manque total d’investissement à 450 milliards de dollars par an. Cela représente 15 % des 3 000 milliards du PIB annuel de l’Afrique. Pour combler ces 15 % de déficit d’investissement, le rapport estime que l’épargne nationale doit fournir au moins la moitié des efforts.
Pourtant, d’après ce même rapport, les ressources financières ne manquent pas. Du point de vue de la disponibilité mondiale du capital, les 450 milliards de dollars ne représentent en effet que 0,4 % des 120 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion détenus en 2023 par les investisseurs institutionnels mondiaux, tels que la Banque européenne d’investissement (BEI) ou la Banque africaine de développement (BAD).
Pour Mo Ibrahim, fondateur et président de la fondation du même nom, « le vrai sujet n’est pas ‘encore plus de moyens’, mais simplement des moyens mieux adaptés. Car en réalité, […] les ressources sont là ».
Des outils contre-productifs ?
Concernant les ressources venant des partenaires de l’Afrique, Mo Ibrahim conseille de « réformer drastiquement le système de financement international » et d’ »actualiser les mécanismes de restructuration de la dette, les modèles d’évaluation du risque africain, ainsi que les conditionnalités de l’aide ».
Le rapport constate qu’en 2022, l’aide publique au développement (APD) représentait 9,8 % des ressources financières de l’Afrique. Toutefois, il souligne que l’aide octroyée par les bailleurs traditionnels — soit les membres du Comité d’aide au développement (CAD) parmi lesquels la France, l’Allemagne ou encore les États-Unis— est concentrée dans les secteurs de la santé et de l’éducation et reste assortie de conditions, qui ne s’alignent pas avec les programmes de développement et les dynamiques socio-économiques du continent. En revanche, l’aide au développement de pays non-membres du CAD, tels que la Chine ou l’Arabie saoudite, augmente et répond davantage à la demande des pays africains pour le développement des infrastructures économiques et du secteur de la production.
En outre, le recours à la dette est devenu pour l’Afrique un obstacle qui empêche de combler ses lacunes financières nécessaires à son développement. Non seulement la complexité de la structure de la dette freine son opérabilité mais les coûts du service de la dette se aussi sont envolés. Par conséquent, la dette publique extérieure de l’Afrique a triplé depuis 2009. Ainsi, 15 des 20 pays du monde où le coût du service de la dette est le plus élevé en pourcentage des recettes totales en 2024 se situent en Afrique.
À la tête de ce classement, on trouve l’Angola, où la dette publique extérieure représente 62,7 % de ses recettes totales. À la neuvième place, la Tunisie, où ce pourcentage atteint 30,9 % de ses revenus totaux. Le Gabon (27,0%), la Côte d’Ivoire (26,0%) et le Sénégal (25,0%) occupent respectivement la treizième, quatorzième et seizième place de ce classement.
Des ressources sur lesquelles s’appuyer
« Notre continent doit cesser de dilapider ses propres actifs et en assumer la propriété et la responsabilité », assure Mo Ibrahim, qui soutient que les ressources domestiques ne sont pas suffisamment mises à profit. Le rapport indique que l’Afrique a un fort potentiel pour réaliser des recettes publiques excédentaires mais cela exige de réformer les politiques publiques.
D’une part, le continent a un potentiel démographique considérable puisqu’il dispose de la plus jeune population au monde, qui représente aussi un quart de la main d’œuvre mondiale. Pourtant, un jeune sur quatre en âge de travailler en Afrique est sans emploi et la moitié des 18-24 ans envisagent de quitter leur pays par manque d’opportunités de carrière.
D’autre part, l’Afrique possède 65 % des terres arables mondiales et les plus grandes réserves de minerais critiques au monde, essentiels pour la transition énergétique. En revanche, le rapport note qu’en 2021, la majorité des pays africains ont reçu le score « insuffisant » voire « faible » vis-à-vis de la gouvernance de leurs ressources naturelles, un score décerné par le Natural Resource Governance Institute (NRGI). Seul le Sénégal était alors considéré comme étant un « bon » gestionnaire de ses ressources naturelles et trois pays, dont la Guinée, avec une gouvernance jugée comme satisfaisante. Le rapport considère la bonne gouvernance dans ce domaine comme l’une des conditions pour accroître l’épargne nationale et suggère également de miser sur les industries vertes.
Transformation locale, imposition et lutte contre les flux illicites
Par ailleurs, et sur un autre point le rapport rappelle que le continent exporte principalement des matières premières brutes, qui représentent 78,5 % des exports totaux, et peu de matières raffinées ou de produits manufacturés à plus haute valeur ajoutée. Faute d’infrastructures de raffinage, le Nigeria, deuxième producteur de pétrole en Afrique, importait 95 % de son pétrole raffiné jusqu’en mai 2023 et la mise en service de la méga raffinerie de Dangote, qui devrait assurer 100 % des besoins du pays en essence, diesel et kérosène une fois qu’elle sera pleinement opérationnelle. En plus d’augmenter les capacités de raffinage domestique, le rapport préconise la signature de contrats commerciaux plus équilibrés, qui bénéficient aux pays producteurs ainsi que la multiplication des exports intracontinentaux grâce à une meilleure intégration économique continentale.
La lutte contre les flux de capitaux illicites sortant d’Afrique, dont le montant s’élevait à près de 90 milliards de dollars en 2020, est également essentielle.
Enfin, parmi les principales recommandations du rapport, on retrouve l’augmentation des taux d’imposition et le développement du régime des retraites, qui ne touche aujourd’hui que 10% de la population africaine. L’Afrique du Sud représente à elle seule 58 % des fonds de pension du continent. À titre de comparaison, la totalité de la valeur des actifs des fonds de pension du continent africain est inférieure à celle du Brésil. Quant aux revenus gouvernementaux issus des taxes, cinq pays, dont l’Algérie (12,8 %) et le Maroc (7,4% ), représentent à eux seuls 53,6 % des revenus totaux du continent.
Source: JeuneAfrique
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