Aurélie M’Bida
et Nicholas Norbrook
Africa-Press – CentrAfricaine. À la veille de l’Africa Financial Summit, le directeur général du groupe bancaire panafricain aux 34 filiales sur le continent analyse, dans un entretien inédit en vidéo, les défis auxquels le secteur doit répondre.
Lorsqu’il entend le mot « crise », Jeremy Awori répond par « opportunité ». Alors que le secteur financier africain est en pleine recomposition, et que cette transformation se mène à marche forcée dans un contexte où les banques internationales quittent la scène africaine, le Kényan, qui a pris les rênes du groupe Ecobank en mars 2023, se dit serein. Et pour cause: depuis son arrivée à la tête d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI, la maison mère du groupe bancaire panafricain), le dirigeant a mené d’importants changements stratégiques en mettant l’accent sur la croissance, la transformation et la rentabilité. Cette vision est résumée dans la nouvelle stratégie quinquennale appelée « Growth, Transformation and Returns », qui a été examinée et approuvée par le conseil d’administration et les actionnaires.
400 millions de dollars d’euro-obligations
C’est encore galvanisé par la célébration, la veille, de l’émission réussie de 400 millions de dollars d’euro-obligations senior non garanties en ouvrant la Bourse de Londres (LSE) le 20 novembre, que Jeremy Awori a été reçu à la rédaction de Jeune Afrique. Le banquier, jusqu’ici plutôt discret dans les médias, ne boude pas son plaisir alors que son groupe signe une percée remarquée sur les marchés internationaux. Une première depuis 2021 pour une institution financière basée en Afrique subsaharienne, qui « montre comment Ecobank ouvre la voie de l’accès aux marchés internationaux des capitaux pour les institutions financières et les entreprises » du continent, se félicitait-il ce jour-là.
À la veille de l’Africa Financial Summit – AFIS*, qui se tient les 9 et 10 décembre à Casablanca, il livre dans un entretien en vidéo exclusif accordé à Jeune Afrique et The Africa Report, ses vues sur la situation financière du continent, et les chantiers à y mener. Ecobank a un rôle central à jouer dans cette transformation, revendique le directeur général du groupe bancaire.
Au troisième trimestre de 2024, ETI a enregistré une hausse de son bénéfice net de près de 74 millions de dollars, contre 63 millions de dollars environ. Pour les neuf premiers mois de l’année, le résultat net s’est élevé à 231,8 millions de dollars (223,9 millions l’année précédente). « Ecobank fournit des services bancaires sur le continent depuis plus de 40 ans. Nous avons connu de nombreux cycles macroéconomiques. Nous avons vécu beaucoup de changements politiques, de changements sociaux. C’est une des forces de notre entreprise: nous sommes engagés sur les marchés où nous travaillons », affirme le banquier kényan.
Agoa
De fait, les changements en cours sont nombreux. Sur le plan international, d’abord. Avec le retour en janvier prochain de Donald Trump à la Maison Blanche, il envisage des changements dans les politiques relatives aux taxes, aux droits de douane et à la diplomatie internationale, notamment en ce qui concerne la renégociation de l’African Growth and Opportunity Act (Agoa) prévue en 2025. Il évoque aussi la potentielle reprise de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis sur le terrain africain. « Nous espérons vraiment que l’Agoa ne sera pas affecté parce qu’il touche une grande partie des exportations des pays africains, commente Jeremy Awori. Pour ce qui est de la Chine – même si nous attendons de voir ce qu’il en sera –, la question des droits de douane beaucoup plus élevés sur les produits chinois pourrait avoir un impact indirect sur les importations de produits de base. »
Inflation
Autre défi auquel le secteur financier africain est confronté, celui de l’inflation que peu de pays parviennent à juguler. Et là encore, le continent doit composer avec des facteurs exogènes. « Il y a deux niveaux de lecture: l’inflation locale, évidemment, si je me place dans le contexte africain. Et puis il y a l’inflation importée, qui pourrait être affectée par les prix du carburant, ce qui relève de la géopolitique. »
Zlecaf
Par ailleurs, Jeremy Awori considère que la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est essentielle pour atténuer les perturbations dans les couloirs commerciaux et plaide en faveur d’une augmentation du volume du commerce intra-africain, qui n’est actuellement que de 14 %. Il souligne aussi les possibilités offertes par le commerce en monnaie locale et la fabrication à valeur ajoutée en Afrique.
Conscient du potentiel de résilience du continent, le dirigeant de 52 ans rappelle: « Une des principales caractéristiques de l’Afrique est qu’elle est très dynamique. Nous sommes très résistants. Et tout comme nos entreprises, Ecobank est en première ligne ». Mais pour mieux résister, prévient-il, il faut aussi que les choses avancent. En particulier la mise en place effective de la Zlecaf avec deux priorités: combler les « énormes lacunes en matière de financement des infrastructures », en particulier dans les transports. Et « faciliter la circulation des personnes, dont les hommes d’affaires ». Comment y parvenir ? « Nous devons maintenir la pression », ponctue le DG du groupe togolais.
* Fondé par Jeune Afrique Media Group et l’Africa CEO Forum, en partenariat avec la Société financière internationale (IFC), l’Africa Financial Summit – AFIS soutient l’industrie financière africaine dans sa transformation.
Source: JeuneAfrique
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