Africa-Press – CentrAfricaine. Lors d’une interview accordée à la radio Ndékè Luka, Landry Michel Louanga, président de la Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine, a dressé un bilan de l’institution, créée le 3 juin 2015 et opérationnelle depuis le 22 octobre 2018.
Alors que la CPS célèbre ses 10 ans d’existence, son président qualifie ses résultats de « très positifs » et encourage les journalistes d’investigation à comparer ses performances avec celles d’autres juridictions internationales chargées de juger les crimes graves.
Selon M. Louanga, la CPS a inculpé 36 personnes, émis 27 mandats d’arrêt non encore exécutés, et jugé trois affaires en sept ans d’activité judiciaire. Le premier procès, conclu jusqu’en appel, a été suivi des affaires Ndélé 1 (presque finalisée) et Ndélé 2, dont le verdict est attendu d’ici le 19 juin 2025. Une dizaine de dossiers, dont les affaires Bossembélé, Guen, Fatima et Alindao, sont en phase terminale d’instruction ou en route vers le jugement d’ici 2026.
« C’est très positif », insiste le président, comparant la CPS à d’autres tribunaux internationaux. Il souligne que certaines juridictions, malgré des durées d’activité plus longues, n’ont pas atteint ce rythme. La CPS contribue également à l’édification d’une jurisprudence internationale, un point de fierté pour M. Louanga.
Une comparaison nuancée avec d’autres juridictions
À la demande du président, une comparaison avec d’autres tribunaux internationaux met en lumière des dynamiques variées:
– CPS (Centrafrique): Depuis 2018, 3 procès ont été ouverts (premier en avril 2022, deuxième en décembre 2023, troisième en décembre 2024), soit environ 0,4 procès par an sur 7 ans.
– TPIR (Rwanda): De 1994 à 2015, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a conduit environ 82 procès pour 92 à 93 inculpés, soit une moyenne de 3 procès par an sur 21 ans, face à un volume massif de suspects lié au génocide.
– TPIY (ex-Yougoslavie): Actif de 1993 à 2017, ce tribunal a achevé environ 90 procès en 21 ans (1996–2017 pour l’essentiel des jugements), soit 4 à 5 procès par an, dans un contexte de crimes de guerre multiples.
– CETC (Cambodge): De 2006 à 2022, les Chambres extraordinaires ont jugé 3 hauts responsables en 15 ans, soit 0,2 procès par an, avec un champ d’action plus restreint.
Si la CPS semble moins rapide en termes de moyenne annuelle, le volume de suspects et la complexité des contextes varient. Le TPIR et le TPIY ont traité des cas nombreux dans des conflits de grande échelle, tandis que la CPS, comme les CETC, opère dans un cadre plus ciblé. M. Louanga a raison de noter que des comparaisons directes doivent tenir compte de ces différences.
Un point critique nuance ce bilan: la nature des suspects poursuivis. Si la CPS a inculpé 36 personnes, ces dernières sont souvent perçues comme des “sardines”, des exécutants de moindre envergure, parfois arrêtés dans un contexte jugé politisé. En comparaison, des juridictions comme le TPIR ou le TPIY ont ciblé des figures de haut rang, architectes des crimes de masse (génocide, crimes de guerre). En Centrafrique, les “vrais suspects”, hauts responsables, parfois intégrés au gouvernement ou protégés par leur influence, semblent hors d’atteinte. Cette disparité questionne l’efficacité de la CPS à frapper au cœur des responsabilités dans les crimes graves, malgré ses avancées.
Le président met en avant des contraintes majeures: le financement et les ressources humaines. Si des partenaires, notamment les États-Unis, ont soutenu la CPS initialement, leur désengagement récent pèse lourd. « La participation des États-Unis était substantielle », déplore M. Louanga, notant que leur retrait complique la gestion des procès et des réparations pour les victimes, comme celles de l’affaire Paoua, financées par des fonds américains. Il ajoute que des moyens financiers et humains accrus permettraient de juger plusieurs affaires simultanément. Le recrutement de juges internationaux, sans mandats permanents, pose aussi problème.
Source: Corbeau News Centrafrique
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