Africa-Press – CentrAfricaine. 20 000 francs CFA pour sortir de cellule. Un reçu en bonne et due forme. Mais pas de libération. Bienvenue dans l’économie parallèle des commissariats centrafricains.
Dans les commissariats de Bangui, il existe un tarif officieux que tout le monde connaît mais dont personne ne parle officiellement. Pour retrouver la liberté, il faut payer. Les « frais de geôle » ont transformé les lieux de détention en véritables péages où chaque passage se monnaye.
Ossen Yackoisset Wessekpama, président de la Commission nationale des droits de l’Homme, lève le voile sur cette pratique dans les studios de Guira FM. Son témoignage révèle un système structuré, presque industriel dans son fonctionnement.
Au commissariat du troisième arrondissement, par exemple, la scène se répète quotidiennement. Un homme vient témoigner dans une banale affaire de bagarre. Il repart menotté. Pour sa libération: 20 000 francs CFA exigés. L’agent lui tend même un reçu, comme dans un commerce ordinaire. Sauf que le service n’est pas rendu. L’homme reste en cellule malgré le paiement.
Cette fausse facturation révèle le cynisme du système. Les policiers ne se contentent pas d’extorquer, ils légalisent leur vol en délivrant des reçus. Comme si l’illégalité pouvait devenir légale par la magie d’un bout de papier.
« Ces pratiques sont connues de toutes les hiérarchies », affirme Wessekpama sans détour. Cette phrase sonne comme un aveu d’impuissance collective. Les commandants savent. Les préfets savent. Les ministres probablement aussi. Mais le système continue de tourner.
Cette tolérance généralisée transforme l’exception en règle. Ce qui devrait provoquer des sanctions disciplinaires immédiates devient une pratique admise, presque banalisée. Les supérieurs ferment les yeux, parfois touchent leur part, toujours évitent les questions gênantes.
Ces « frais de geôle » révèlent une économie souterraine alimentée par la peur. Peur du citoyen de rester enfermé. Peur de la famille de voir son proche disparaître dans les méandres judiciaires. Cette angoisse devient une source de revenus pour des agents qui y trouvent un complément de salaire.
Mais cette économie parasitaire mine la confiance entre la police et les citoyens. Chaque interpellation devient suspecte. Chaque convocation au commissariat génère l’inquiétude. Les forces de l’ordre censées rassurer deviennent une source d’appréhension financière.
Wessekpama l’admet: les policiers reçoivent des formations sur les droits de l’Homme. Ils connaissent la théorie, maîtrisent les textes, récitent les principes. Puis ils retournent dans leurs commissariats et remettent en marche la machine à extorsion.
Cette schizophrénie entre formation et pratique interroge. Comment des agents formés aux droits fondamentaux peuvent-ils exiger de l’argent pour une libération? La réponse tient peut-être dans la différence entre savoir et comprendre, entre apprendre et intégrer.
Face à cette arnaque organisée, les victimes se retrouvent isolées. À qui se plaindre quand tout le système semble complice? Comment dénoncer des pratiques que la hiérarchie tolère? Beaucoup préfèrent payer et se taire plutôt que de s’enfoncer davantage dans les problèmes.
Ce silence des victimes nourrit l’impunité des bourreaux. Sans plaintes, pas d’enquêtes. Sans témoignages, pas de sanctions. Le système s’autorégule dans l’illégalité.
Cette révélation de la Commission pose des questions directes aux responsables de la police. Comment justifier cette tolérance? Quelle crédibilité pour des forces de l’ordre qui pratiquent l’extorsion? Comment restaurer la confiance des citoyens dans des institutions devenues prédatrices?
La persistance de ces pratiques malgré les formations révèle aussi l’échec des méthodes actuelles de réforme. Faut-il repenser complètement l’approche? Sanctionner plus durement? Changer les responsables? Réformer les structures?
Les « frais de geôle » ne sont que la partie visible d’un iceberg plus large. Ils révèlent une police qui s’est détournée de sa mission première pour devenir un rouage de prédation économique. Cette dérive coûte cher à la société centrafricaine.
Car au-delà de l’argent extorqué, c’est la légitimité de l’État qui s’effrite. Quand les gardiens de l’ordre deviennent des bandits en uniforme, c’est tout l’édifice social qui vacille.
La Commission des droits de l’Homme a sonné l’alarme. Reste à savoir si quelqu’un l’entendra….
Source: Corbeau News Centrafrique
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