Africa-Press – CentrAfricaine. La République centrafricaine s’est dotée d’une nouvelle loi fondamentale en août 2023. Loin de rassembler la nation, ce texte voulu par le président Kongoboro creuse les divisions. Conditions drastiques d’éligibilité, renforcement de l’exécutif, critères d’origine: les points de crispation sont nombreux. Au point que même le pouvoir peine à respecter cette Constitution taillée sur mesure.
Le référendum constitutionnel du 30 juin 2023 a été marqué par une très faible participation, estimée à moins de 1,5% de la population selon plusieurs observateurs indépendants. Pourtant, les résultats officiels font état d’un taux de participation de 64% et de 95% de votes favorables. Ces chiffres, jugés très fantaisistes par de nombreux analystes, jettent le doute sur la légitimité même du processus.
“Ce référendum était une mascarade. La population n’a pas été vraiment consultée”, dénonce Martin Ziguélé, leader de l’opposition. “Touadéra impose sa Constitution comme s’il s’agissait du règlement intérieur de son parti MCU”, ajoute l’opposant.
Parmi les articles les plus controversés figure l’article 183, qui stipule: “Seuls les Centrafricains d’origine peuvent être candidats aux élections nationales”. Cette disposition exclut de fait une partie importante de la population, notamment les Centrafricains naturalisés et leurs descendants.
L’article 67 fixe quant à lui des conditions drastiques pour se présenter à l’élection présidentielle: être “Centrafricain d’origine et n’ayant que la seule nationalité centrafricaine”, “être titulaire au moins d’un diplôme de licence”, avoir “une propriété bâtie sur le territoire national”, etc.
Pour les élections législatives, l’article 99 exige notamment d’être “titulaire, au moins, d’un diplôme de Baccalauréat.. Une barrière infranchissable pour de nombreux citoyens dans un pays où le taux d’alphabétisation dépasse à peine 30%.
“Ces critères sont clairement discriminatoires”, s’insurge Crépin Mboli-Goumba, président du parti PATRIE. “Ils visent à écarter les opposants et à garder le pouvoir entre les mains d’une élite restreinte”.
Le texte réserve également “les hautes fonctions civiles et militaires” aux seuls “Centrafricains d’origine” (article 183). Une disposition qui exclut de nombreux cadres compétents issus de l’immigration ou de parents étrangers.
Ironie du sort, le président Kongoboro lui-même est aussi inéligible au regard de sa propre Constitution. Son père, d’origine peule nigérienne, lui bloque la possibilité de se présenter à la prochaine présidentielle. Ceci dit, le chef de l’État n’est donc pas strictement “Centrafricain d’origine”, comme l’exige désormais l’article 67.
Plus grave encore, Touadéra semble ignorer ces nouvelles règles dans la composition de son gouvernement. Plusieurs ministres actuels ne remplissent visiblement pas les critères fixés par la Constitution, tels que:
– Sylvie Baïpo-Temon, ministre des Affaires étrangères, possède la double nationalité franco-centrafricaine. L’article 67 exclut pourtant les binationaux des plus hautes fonctions.
– Thierry Kamach, ministre de l’Environnement, est né d’un père syrien et d’une mère centrafricaine. Il ne répond donc pas à la définition stricte de “Centrafricain d’origine”.
– Pierre Somsé, ministre de la Santé, a un père congolais et une mère centrafricaine. Là encore, une situation incompatible avec l’article 183.
“Le président viole sa propre Constitution à peine promulguée”, s’indigne Anicet-Georges Dologuélé, ancien Premier ministre. “C’est la preuve que ce texte n’a aucune valeur à ses yeux, hormis celle d’un outil politique pour écarter ses rivaux.”
Pour de nombreux observateurs, cette nouvelle loi fondamentale vise avant tout à permettre à Touadéra de se maintenir au pouvoir. L’article 67 supprime en effet la limite de deux mandats présidentiels, ouvrant la voie à une candidature du chef de l’État en 2025.
“C’est un véritable recul démocratique”, déplore Nathalia Dukhan, chercheuse spécialiste de la Centrafrique. “Cette Constitution affaiblit les contre-pouvoirs et concentre l’autorité entre les mains du président”.
Le texte renforce effectivement les prérogatives de l’exécutif. L’article 65 confie notamment au chef de l’État la nomination du vice-président et du Premier ministre, sans contrôle parlementaire. L’Assemblée nationale voit par ailleurs ses pouvoirs réduits, notamment en matière budgétaire.
Certaines dispositions inquiètent également les défenseurs des droits humains. L’article 5 qualifie de “crime imprescriptible contre le peuple centrafricain” toute tentative de renversement du pouvoir par la force. Une formulation vague qui pourrait être utilisée pour réprimer l’opposition.
Loin de rassembler les Centrafricains, cette nouvelle Constitution semble au contraire redoubler les tensions. Les critères d’origine et de nationalité risquent de marginaliser davantage certaines communautés, dans un pays déjà meurtri par des années de conflit.
“Ce texte divise les Centrafricains en citoyens de première et de seconde zone”, s’alarme Joseph Bindoumi, président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme. “C’est une bombe à retardement qui menace la cohésion nationale.”
Dans ce contexte tendu, l’application effective de la nouvelle Constitution semble compromise. Le président Touadéra paraît lui-même hésiter à respecter à la lettre certaines dispositions, conscient de leur caractère explosif.
“Cette Constitution est inapplicable et dangereuse pour la stabilité du pays”, résume un diplomate occidental sous couvert d’anonymat. “Elle risque d’approfondir les fractures plutôt que de les résorber”.
Alors que la Centrafrique peine toujours à sortir de la crise, ce nouveau texte fondamental soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Le défi pour le pouvoir sera désormais de rassurer une population inquiète et de convaincre la communauté internationale de sa bonne foi démocratique. Un exercice qui s’annonce périlleux au vu des nombreuses contradictions de cette Constitution sur mesure.
Source: Corbeau News Centrafrique
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