Un Procès Digne d’un Tribunal d’Exception

1
Un Procès Digne d’un Tribunal d’Exception
Un Procès Digne d’un Tribunal d’Exception

Africa-Press – CentrAfricaine.
Des propos injurieux, un droit à la défense bafoué et une sentence prononcée d’avance: c’est le scénario ahurissant qui s’est joué récemment au sein de la MINUSCA, où quatre employés ont été victimes d’un “procès” digne d’un tribunal d’exception. Accusés sur la base d’un simple message de réclamation transformé en “menace de mort”, ces employés ont été suspendus sans préavis ni considération pour les lois du travail centrafricaine, dévoilant une face sombre de l’institution onusienne en RCA.

L’affaire prend racine le 2 décembre 2022, lorsque M. Tony Mushimbete, Chef Plans, Stock Control & Whse Operations à la MINUSCA, accuse formellement plusieurs journaliers de comploter pour le tuer. Une allégation gravissime, qui conduit M. Mushimbete à les photographier avec son portable, geste perçu comme un acte d’intimidation et un abus d’autorité. Selon nos informations, les enquêtes menées suite à ces accusations n’ont pourtant jamais prouvé l’implication des employés concernés, laissant planer un voile de suspicion infondée.

C’est dans ce climat de tension latente que le 3 octobre 2023 intervient l’épisode le plus choquant. Convoqués à une réunion d’information, les employés Maleyombo Prospère, Nzogna Cédric, et Passe Ndoum Ben, sont confrontés à un véritable “procès” mené par quatre responsables expatriés de la MINUSCA: M. Tony Mushimbete et M. Ali Lumanisha, tous deux Congolais (RDC), ainsi que Mesdames Fany et Laurence, toutes deux Rwandaises. Notons l’absence notable de Géhu Gouandjia, l’un des journaliers directement impliqués dans le message incriminé et destinataire de l’accusation initiale.

Dès le début de ce procès, le ton est donné sans équivoque par M. Mushimbete: “Cette réunion n’est pas une réunion de discussion, c’est une réunion d’information.” La sentence est tombée avant même que les “accusés” n’aient pu véritablement s’exprimer: “vous êtes suspendus du travail à partir d’aujourd’hui et que vous n’avez pas accès aux enceintes de la Minusca. Vous ne allez pas travailler jusqu’à nouvel ordre”.

Au cœur de cette suspension agressive se trouve un message WhatsApp. M. Mushimbete l’a brandi comme preuve irréfutable de menaces, mais son contenu, qu’il a pu lire,et que la rédaction du CNC a pu consulter, révèle une réalité bien différente. Écrit par Géhu Gouandjia, le message stipule: “Bonjour Mr Tony. Le drame que tu as cause le 02 décembre 2022 en nous accusons de planifier de te tuer ne va pas s’éteindre comme ça. Nous avons démontré notre bonne volonté de régler ça l’amiable, tu met de l’orgueil devant, et la section conduite et discipline n’a pas non plus tranche cet affaire et tu le sais pourquoi. Si cela n’est pas réparer d’ici là, nous irons au tribunal”.

Cette missive n’est en rien une menace de mort, mais plutôt une ferme intention de porter une affaire non résolue devant la justice. Elle dénote une frustration légitime face à l’inertie de la “section conduite et discipline” de la MINUSCA et à ce qui est perçu comme de l’orgueil de la part de M. Mushimbete. Transformer cet appel légitime au droit en motif de licenciement immédiat relève d’une distorsion manifeste de la vérité et d’une volonté de museler toute contestation.

Les échanges enregistrés lors de cette réunion révèlent un niveau de mépris et de professionnalisme sidérant. Malgré les tentatives désespérées des employés de nier leur implication directe dans la rédaction du message (“Je ne l’ai pas rencontré ‘j’ai eu’. Pour que je puisse vous envoyer un tel SMS, ce que je dis, Dieu m’écoute. Je ne l’ai même pas rencontré “), leurs arguments sont balayés.

Pire encore, M. Ali Lumanisha, un autre congolais de la RDC se serait permis de traiter les journaliers de “féticheurs et sorciers”, des injures inacceptables et potentiellement discriminatoires qui n’ont aucune place dans un contexte professionnel, et encore moins au sein d’une organisation des Nations Unies. Ces propos, couplés à l’agressivité verbale générale, soulignent un manque de respect pour la dignité des travailleurs.

Le comble de l’arrogance est atteint lorsque les responsables affirment ouvertement: “Nous nous défions de travailler avec vous. Que cela soit clair. Ce n’est ni la sécurité, ni la civilité qui viendra nous imposer pour qu’on travaille avec vous”.

Une déclaration qui non seulement scelle le sort des employés sans possibilité de recours interne, mais défie ouvertement les propres mécanismes de régulation et de ressources humaines de la MINUSCA. M. Mushimbete conclut d’ailleurs avec une défiance glaçante: “Que tout le monde, même les centrafricains en général, doivent comprendre que nous n’avons pas peur de vous. On n’a pas peur de n’importe quoi”.

Ce “procès” expéditif et les suspensions qui en ont découlé sont en violation manifeste du droit du travail centrafricain et des engagements de la MINUSCA. L’Accord de Siège, signé le 2 septembre 2014 et renouvelé, notamment le 15 novembre 2024, est pourtant limpide: les employés de la MINUSCA, y compris les journaliers, sont soumis aux lois et réglementations centrafricaines en matière de durée et de conditions de travail.

Or, le Code du Travail Centrafricain limite la durée des contrats journaliers à deux ans. Dans le cas des victimes, certains d’entre eux cumulaient jusqu’à 8 ans sous ce statut précaire, une pratique courante mais illégale, dénoncée comme une “utilisation abusive et une tentative d’éviter les droits liés aux contrats de travail à durée indéterminée”. Cette situation a privé ces travailleurs de droits fondamentaux tels que les primes, les congés payés, l’assurance maladie et une garantie de retraite.

Le licenciement abrupt du 3 octobre 2023, sans préavis, sans notification formelle et sans versement d’indemnités, est donc un licenciement abusif au regard de la législation nationale et des normes internationales. Le fait que la MINUSCA, par la voix de ses responsables, ait tenté de justifier cette rupture en utilisant un prétendu “dol” (faute) ou une “fin de contrat normale” alors qu’il s’agit d’une rupture anticipée et non motivée, relève de l’indignité pour une institution de cette envergure.

Les quatre journaliers, Maleyombo Prospère, Nzogna Cédric, Passe Ndoum Ben, et Géhu Gouandjia, ont courageusement saisi l’inspection du travail, le ministère et les tribunaux centrafricains pour faire valoir leurs droits. La loi prévoit des mesures de réparation claires pour un licenciement abusif: la réintégration avec des contrats en bonne et due forme, le versement d’indemnités pour dommages et intérêts, et même la nullité de la rupture du contrat.

Cette affaire dépasse largement le cadre d’un simple litige de travail. Elle expose une dérive inquiétante au sein de la MINUSCA, où l’arbitraire semble primer sur le droit, et où des personnels expatriés se croient au-dessus des lois centrafricaines et des principes d’éthique de leur propre organisation….

Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here