Découverte de Protéines Anciennes Révolutionne Paléontologie

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Découverte de Protéines Anciennes Révolutionne Paléontologie
Découverte de Protéines Anciennes Révolutionne Paléontologie

Africa-Press – CentrAfricaine. Une révolution ! Sous le soleil de plomb du Kenya, les chercheurs ne s’attendaient pas à retrouver la moindre trace de matière biologique exploitable. Et pourtant. Dans les dépôts fossilifères du bassin de Turkana, une équipe menée par Daniel Green (Université de Harvard) et Timothy Cleland (Smithsonian Institution) est parvenue à extraire des fragments de protéines piégées dans l’émail dentaire de mammifères disparus, pour certains, il y a plus de 20 millions d’années. Cette découverte, publiée dans la revue Nature, établit un nouveau record pour des protéines récupérées dans des environnements tropicaux, et élargit considérablement le champ d’action de la paléoprotéomique, l’étude des protéines anciennes.

L’émail dentaire, coffre-fort moléculaire

Ce sont les composantes minérales très denses de l’émail qui ont protégé ces précieuses molécules du temps et de la chaleur. « Les dents sont les structures les plus dures de notre corps, et nous savions déjà qu’elles contiennent des traces chimiques de l’environnement et du régime alimentaire », rappelle Daniel Green. « Ces travaux montrent qu’elles renferment aussi des archives moléculaires de l’évolution ».

L’analyse des protéines s’est appuyée sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC–MS/MS).  » La LC-MS/MS est bien adaptée à la paléoprotéomique car c’est une méthode sensible qui permet à la fois de déterminer la séquence des protéines et d’identifier d’éventuelles contaminations », précise Timothy Cleland. En comparant les spectres obtenus avec les bases de données de protéines actuelles, les chercheurs peuvent attribuer des séquences à des taxons fossiles ou détecter la présence de peptides (fragments de protéines) d’origine microbienne ou humaine.

Palesa Madupe.

L’étude a porté sur une série d’échantillons issus de sites kényans bien datés, s’étalant du Pléistocène (1,5 million d’années) jusqu’à l’Oligocène (29 millions d’années). Les meilleurs résultats ont été obtenus sur les dents de proboscidiens, d’hippopotames et de rhinocéros du Miocène inférieur (entre 16 et 18 millions d’années), avec une récupération suffisante de protéines pour des analyses phylogénétiques. « La possibilité d’utiliser des protéines pour étudier la vie ancienne au Cénozoïque était jusqu’ici limitée aux derniers millions d’années », explique Timothy Cleland. « La dégradation naturelle des protéines entrave notre capacité à comprendre pleinement comment ces animaux vivaient et évoluaient. Nos résultats montrent qu’en piégeant les protéines dans l’émail, il est possible de les préserver bien plus longtemps, même dans des environnements tropicaux où la chaleur accélère leur perte ».

Dans les spécimens les plus jeunes, les chercheurs ont retrouvé des dizaines de fragments peptidiques intacts. D’autres plus anciens, comme celui d’un Arsinoitherium (un mammifère herbivore apparenté aux éléphants) vieux de 29 millions d’années, n’ont livré que des traces plus ténues. Mais la preuve est faite que la conservation moléculaire s’étend sur plus d’un tiers de l’ère Cénozoïque. Daniel Green souligne l’enjeu de cette avancée: « L’ADN ancien a provoqué une révolution dans la compréhension des origines humaines récentes. Nous espérons que la paléoprotéomique pourra produire une révolution comparable pour des processus évolutifs survenus bien plus tôt ».

Une révolution pour l’étude des être vivants du passé

Jusqu’à cette étude, les plus anciennes protéines fossiles exploitables provenaient de coquilles d’œufs d’autruche datées de 3,8 millions d’années, découvertes en Tanzanie et décrites dans la revue eLife, en 2016. D’autres études avaient identifié des protéines dans des os de chameaux fossiles vieux de 3,7 millions d’années ou dans des coquilles de poissons du Miocène moyen, mais jamais avec un tel degré de confiance et de couverture dans un contexte aussi chaud.

Le progrès technique tient à la fois à l’utilisation ciblée de tissus très minéralisés comme l’émail, et à des critères rigoureux de sélection des peptides, excluant les contaminations humaines ou microbiennes. Les paléontologues peuvent alors utiliser ces protéines anciennes pour révéler des relations inattendues entre les espèces de l’arbre du vivant, des aspects de la structure des populations d’espèces sur de vastes régions géographiques, et même des adaptations comportementales impossibles à observer en examinant uniquement des os fossilisés. « Il y a toutefois des limites dans les bases de données », admet Daniel Green. « Mais le problème principal reste aujourd’hui le faible nombre de peptides fragmentaires récupérés, et leur état parfois altéré ». Pour contourner cette difficulté, les chercheurs ont sélectionné uniquement les séquences protéiques les plus fiables pour établir des arbres phylogénétiques. « Ce sont ces peptides anciens, dans lesquels nous avons le plus confiance, qui donnent les arbres phylogénétiques les plus plausibles. Mais pour l’instant, ces arbres restent assez fragiles », précise-t-il.

Dans les zones froides, une conservation encore plus durable

Dans des régions plus froides, la persistance des protéines pourrait s’étendre encore plus loin. C’est ce que montre une autre étude également publiée dans la revue Nature. Elle décrit l’extraction de protéines dentaires dans une dent fossile de rhinocéros découverte dans le cratère de Haughton, sur l’île Devon dans l’Arctique canadien. Datée entre 21 et 24 millions d’années, cette dent a livré plus de mille fragments de peptides appartenant à sept protéines différentes, dont l’enaméline et l’amélogénine. Grâce à ces données, les chercheurs ont repositionné ce rhinocéros fossile à la base de l’arbre évolutif de la famille, remettant en question une hypothèse ancienne sur une divergence très ancienne entre deux lignées de rhinocéros.

Cette extension du champ d’action de la paléoprotéomique ouvre des perspectives inédites pour l’étude de l’évolution, notamment dans les régions tropicales où l’ADN est rarement conservé et sur un temps bien plus long. En effet, à ce jour, l’ADN le plus ancien retrouvé date tout juste de 2 millions d’années. Une fraction de ce que les protéines peuvent offrir: « Je pense que la fenêtre temporelle pour les protéines va encore reculer à mesure que les méthodes d’extraction et les technologies de spectrométrie s’amélioreront », anticipe Daniel Green. « Nous travaillons sur l’émail de mammifères, mais il est probable, voire même très probable, que d’autres tissus très minéralisés chez des taxons plus diversifiés livrent aussi des protéines anciennes. Et les sites de haute latitude, froids, devraient offrir une conservation encore meilleure ».

En attendant, les auteurs de l’étude poursuivent leurs travaux au Kenya, tout en suivant les projets d’autres équipes sur des sites plus anciens ou plus froids. Et même si les bases de données restent encore parcellaires pour les espèces fossiles africaines, les premières pièces du puzzle se mettent en place.

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