Africa-Press – CentrAfricaine. Les négociateurs de la COP16 de la convention onusienne sur la lutte contre la désertification réunis jusqu’au 12 décembre 2024 à Ryad (Arabie Saoudite) ont reçu ce 9 décembre sur leur table un volumineux rapport très alarmant. Selon ces travaux financés par la République de Chine, les services des forêts de Corée du Sud et l’Agence de coopération internationale espagnole, 77,6% de la surface terrestre ont connu des conditions plus sèches lors de ces trente dernières années que dans les décennies précédentes. Depuis le début des années 1990, les zones arides ont augmenté de 4,3 millions de km2, soit un tiers de plus que la superficie de l’Inde. Elles couvrent désormais 40,6% de toute la surface terrestre, Antarctique exclue. 40% des terres arables mondiales sont aujourd’hui affectées par l’aridification.
Pour arriver à ce résultat robuste, les chercheurs ont utilisé l’index global d’aridité, bien plus précis que les simples indicateurs des précipitations annuelles et de température. Ici, c’est le ratio entre les mesures sur une longue durée des moyennes de précipitations avec l’évapotranspiration des plantes qui est utilisé. Il ne s’agit pas en effet de détecter les sécheresses, événements météo qui ont une fin, mais bien de décrire une tendance de long terme de l’assèchement du couvert végétal par le fait que les pluies sont insuffisantes pour compenser la restitution à l’atmosphère de l’eau captée par les plantes. Cet indicateur de demande de transpiration atmosphérique est lié à la température, à la radiation solaire, à l’humidité de l’air et à la vitesse des vents.
L’aridité se définit à partir de l’asséchement des plantes
Le terme de « zone aride » est ainsi défini par un seuil où les précipitations sont inférieures de 65% à l’évapotranspiration des plantes. L’aridité provient en effet de températures plus fortes qui excèdent les capacités des plantes à retenir l’eau dans leurs tissus en fermant leurs stomates, ces opercules à la surface des feuilles qui captent le CO2 et rejettent la vapeur d’eau. C’est parce qu’ils utilisaient seulement les précipitations annuelles et la température que les rapports précédents du Giec considéraient l’augmentation des surfaces arides comme un indicateur de changement climatique de « faible confiance ». Ce rapport-ci est beaucoup plus précis et constitue un réel tournant. Si le Giec estimait en 2019 que 42% de la surface terrestre était « aride », le rapport revient donc à 40,6% mais avec beaucoup plus de certitude sur le résultat.
En utilisant six modèles climatiques, les chercheurs ont pu établir une tendance à l’aridité qui va en s’accélérant. Les surfaces des zones arides augmentent peu entre 1880 et le début de la Seconde Guerre mondiale avant de connaître deux accélérations à la fin de la guerre et dans les années 1980. Ce travail montre des différences fortes entre les modèles incluant la hausse constatée de la température mondiale et ceux dont on a soustrait ce paramètre pour retrouver une situation naturelle sans influence des gaz à effet de serre.
Un phénomène en cours sur toute l’Europe et particulièrement en France
L’aridification est bien distribuée dans le monde et bien plus étendue qu’on ne pense car ce phénomène passe par des seuils intermédiaires de passage d’une zone humide à une zone plus sèche, puis de la semi-aridité à l’aridité complète. Ainsi, la presque totalité de l’Europe est considérée comme en cours d’assèchement. La zone méditerranéenne est en train de devenir aride, ce qui commence à être pris en compte dans les régions sud de la France, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie, où les économies d’eau et l’arrivée de cultures nouvelles (manioc, amandiers, grenadiers) sont désormais des politiques publiques bien établies.
Une grande partie des États-Unis et notamment la côte ouest (Californie) est considérée comme aride ainsi que le Brésil. De vastes parties de l’Afrique centrale et de l’Asie connaissent aujourd’hui une dégradation de leurs milieux naturels par manque d’eau. Le Soudan du Sud et la Tanzanie sont les pays qui ont le plus fort pourcentage de leur territoire en voie d’aridification et la Chine est l’État qui fait face au plus vaste basculement de régions de zones non arides à arides. À l’inverse, 22,4% de la planète connaît un climat plus humide. Il s’agit du centre des États-Unis, de la côte atlantique de l’Angola, et d’une partie de l’Asie du Sud-Est.
L’aridité dégrade les conditions de vie de cinq milliards d’humains
Désormais, cinq milliards d’humains vivent dans des zones arides. L’habitat de 2,3 milliards d’humains est devenu plus sec lors de ces trois dernières décennies, ce qui a imposé des changements de conditions de vie importants. Le rapport dénonce la dégradation des conditions de vie et estime que des migrations ont déjà commencé, les populations quittant des zones devenues invivables. Cependant, aucun chiffre n’est avancé. Il est malgré tout estimé que l’augmentation de l’aridité a fait baisser de 12% le PIB des pays africains entre 1990 et 2015. Cette désertification est significativement reliée à l’augmentation des grands incendies aux États-Unis et au Brésil et à la fréquence accrue de tempêtes de sable au Moyen-Orient.
Le rapport envisage enfin l’avenir. L’aridification de la planète est évidemment corrélée à l’augmentation des gaz à effet de serre. Si la tendance actuelle perdure et si rien n’est fait pour diminuer les émissions, 3% des zones humides actuelles deviendront arides d’ici à la fin du siècle. Aussi, les chercheurs font-ils une série de recommandations: améliorer la surveillance de l’extension des zones arides, mieux gérer les sols afin de lutter contre leur dégradation, investir dans les systèmes d’économie de l’eau, aider les populations locales à s’adapter aux nouvelles conditions, notamment en promouvant une agriculture résiliente. « Alors qu’une grande partie du monde devient plus aride, les conséquences désastreuses de l’inaction augmentent dangereusement si bien que l’adaptation n’est plus une option, c’est un impératif « , prévient Barron Orr, le directeur scientifique de la convention sur la désertification.
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