Africa-Press – CentrAfricaine. Si vous connaissez l’ornithorynque, le nom « monotrème » ne vous dit peut-être rien. Cet ordre bien particulier de mammifères regroupe pourtant des espèces étonnantes. D’abord l’ornithorynque en Australie orientale (Ornithorhynchus anatinus), seul représentant actuel de la famille des Ornithorhynchidae, mais également les échidnés avec Tachyglossus aculeatus, et trois espèces du genre Zaglossus, répartis entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée. Ces cinq espèces partagent une singularité unique chez les mammifères actuels: elles pondent des œufs.
Le registre fossile incomplet rend difficile l’élaboration certaine de leur histoire évolutive, notamment concernant le mode de vie de leurs premiers représentants: étaient-ils semi-aquatiques comme l’ornithorynque, suggérant que les échidnés (terrestres) auraient évolué en « sortant » des eaux, ou inversement? Une étude parue fin avril 2025 dans la revue scientifique PNAS semble confirmer cette première hypothèse.
Des mammifères qui pondent des œufs
Les monotrèmes, proches phylogénétiquement, sont pourtant très différents entre eux. Alors que l’ornithorynque est une espèce fouisseuse semi-aquatique qui se nourrit d’invertébrés d’eau douce, les échidnés sont entièrement terrestres (bien qu’ils soient capables de nager) et adaptés à la consommation d’insectes et de vers de terre. L’apparence de l’ornithorynque est presque fantasmagorique: à sa fourrure et sa queue de castor s’ajoutent un bec de canard et des pattes de loutre. Si l’extravagance pouvait s’arrêter là, le mâle se voit doter d’un aiguillon venimeux sur chaque membre arrière. Les échidnés, quant à eux, sont recouverts de poils rigides tels les piquants d’un hérisson, et possèdent un long museau dont une minuscule bouche fait office d’extrémité.
La grande particularité des monotrèmes est l’oviparité bien sûr (ponte d’œufs), mais également l’absence de mamelon pour l’allaitement. Les petits, une fois sortis de l’œuf, lèchent directement le lait qui perle sur la peau de leur mère, au niveau des glandes mammaires.
Kryoryctes, l’un des premiers monotrèmes
Les monotrèmes forment une branche très ancienne de l’arbre évolutif des mammifères, dont la séparation avec les autres lignées s’est faite bien avant la divergence entre marsupiaux et placentaires (dont l’humain fait partie). Néanmoins, leur histoire évolutive reste en grande partie inconnue et l’absence de dents chez ces animaux rend difficile la comparaison avec les mammifères éteints.
Les mammifères placentaires sont des animaux dont les petits se développent dans l’utérus de la mère grâce au placenta qui assure les échanges nutritifs entre la mère et l’embryon.
Des chercheurs se sont concentrés sur un humérus découvert il y a 30 ans à Dinosaur Cove, dans l’État de Victoria (Australie) et vieux d’environ 108 millions d’années. Cet os du bras, entre l’épaule et le coude, est le seul connu appartenant à l’espèce éteinte Kryoryctes cadburyi. La première mission des paléontologues a été de s’assurer de son antériorité à la séparation des lignées de l’ornithorynque et des échidnés au début de l’ère Tertiaire.
Déjà décrit de manière qualitative (descriptif), l’humérus a cette fois fait l’objet d’une analyse phylogénétique, fondée sur 536 caractères morphologiques observés à partir de descriptions visuelles précises. « On a réalisé un codage de la présence ou de l’absence de caractères spécifiques chez différents animaux parmi des mammifères souches, des monotrèmes actuels, et des espèces de la lignée des marsupiaux et des placentaires, actuels et fossiles. Cela nous a permis de confirmer que Kryoryctes est bien un monotrème, antérieur à la séparation des deux lignées actuelles », détaille Alexandra Houssaye, directrice de recherches CNRS au sein de l’unité MECADEV au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), qui a participé à l’étude.
Une origine semi-aquatique
La deuxième phase de l’étude consiste à comparer l’humérus fossile avec ceux des ornithorynques et des échidnés actuels afin de déterminer le mode de vie de ce monotrème basal. « Nous avons fait des analyses morphofonctionnelles, développe la paléontologue, c’est-à-dire que nous avons déduit le milieu de vie dans lequel l’animal étudié évoluait à partir de l’étude comparative de son humérus. Puisque les os ne subissent pas les mêmes contraintes, ils montrent des caractéristiques adaptatives différentes selon si l’animal se déplace essentiellement sur terre ou dans l’eau ».
La comparaison osseuse a d’abord été morphologique, examinant les formes de différents humérus de manière quantifiée (à travers des mesures). « Nous mettons les os à échelle et les alignons dans un logiciel qui calcule et montre les distances entre les différents modèles 3D, déterminant de quel animal l’os d’intérêt est le plus proche », détaille la scientifique. Si cette approche a révélé que la morphologie de l’humérus de K. cadburyi semblait proche de celle des échidnés, terrestres, la structure interne quant à elle révèle des adaptations liées à un mode de vie semi-aquatique.
Comment la modélisation 3D permet-elle de décrypter le mode de vie des mammifères à partir de leurs os? Le MNHN et Alexandra Houssaye ont ouvert leurs portes à Sciences et Avenir.
À l’aide de la microtomographie à rayons X (lire l’encadré ci-dessous), l’équipe de paléontologues a relevé que l’humérus de Kryoryctes, moins dense que l’ornithorynque, l’est bien plus que celui des échidnés actuels. Cette compacité importante est fréquemment rencontrée chez des animaux inféodés au milieu aquatique, permettant aux individus de plonger plus facilement, économisant ainsi de l’énergie. Bien que l’étude ne soit basée que sur un seul humérus, limitant les conclusions définitives, ces comparaisons suggèrent que les premiers monotrèmes étaient probablement semi-aquatiques, passant beaucoup de temps dans l’eau, plutôt qu’avec une locomotion terrestre.
La microtomographie à rayons X est une technique d’imagerie qui permet de reconstruire en trois dimensions les structures internes d’un objet grâce à de nombreuses images en deux dimensions obtenues par rayons X.
Un phénomène rare
La confirmation d’une telle théorie renforce l’idée que les monotrèmes étaient à l’origine des animaux semi-aquatiques et suggère que les échidnés, aujourd’hui terrestres, auraient progressivement conquis la terre ferme. Alexandra Houssaye souligne la rareté de ce phénomène: “en général quand on a un groupe semi-aquatique, il va le rester ou le devenir exclusivement. Ici, le fait qu’un groupe évolue vers un mode de vie terrestre, en plus chez les mammifères, est extrêmement rare d’un point de vue évolutif ”.
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